Algérie

L'Egypte sur un brasier



L'Egypte sur un brasier
Le Caire (Egypte). De notre envoyé spécial

 

Des centaines de personnes ont investi la place dès que le Premier ministre, Kamel El Ganzouri, a annoncé la mort de huit manifestants lors des affrontements de la veille. Craignant une déferlante humaine, les forces armées se sont déployées bloquant avec des blindés tous les accès menant à la place Tahrir non sans violence. Une intervention musclée. Les éléments de la police militaire ont brûlé les tentes implantées au cœur de la place et pourchassé les manifestants dans toutes les rues qui mènent au cœur battant de la révolution.
Ceux qui n’avaient pas la chance d’échapper aux mailles des militaires ont subi l’acharnement d’une violence sans pareille des éléments de la police militaire. Des scènes qui rappellent celles du soulèvement du 25 janvier contre Moubarak. Une véritable guérilla urbaine. Les militaires ont installé des barrages au niveau de la rue Abdelmoneim Ryadh du côté du Musée de l’Egypte et du côté du siège de la Ligue arabe pour empêcher les manifestants d’arriver à place Tahrir. Mais la prise de cet endroit stratégique par les forces de l’ordre n’a pas duré longtemps. Près de trois heures d’échanges de projectiles et de jets de pierres entre la police militaire et les manifestants, ces derniers ont pu repousser les forces de l’ordre vers le boulevard Kasr El Ainy (ouest de la place Tahrir), où se trouve le palais du gouvernement. Les manifestants ont pu reprendre la place Tahrir vers 16h. Et pour la garder, ils ont mis en place un cordon humain au niveau de l’université américaine du Caire. Pendant ce temps, le feu ravageait le prestigieux Groupement scientifique d’Egypte qui conserve des ouvrages d’histoire, d’archéologie et de géographie rares. Une perte inestimable. Les manifestants affirment qu’ils n’ont rien à voir avec cet incident. Il est vrai que dans la confusion générale qui règne «des baltaguias se saisissent de l’occasion pour s’introduire et cibler des édifices publics et faire porter la responsabilité au mouvement de contestation pour le discréditer», a indiqué un animateur du Mouvement du 6 avril.  Alors que les affrontements se poursuivaient jusque tard dans la soirée, le gouvernement a annoncé que le bilan des victimes s’est alourdi pour atteindre neuf morts et plus de 300 blessés. Le Premier ministre a promis la fermeté dans le règlement de ce conflit. Dans une conférence de presse, hier matin, il a accusé la fameuse main cachée «interne et externe qui veut déstabiliser le pays». Il a assuré également que «l’armée n’a pas réprimé les manifestants» et parle de «conspiration contre la révolution».
 Il a décidé d’ouvrir une enquête sur les évènements pour «punir tous ceux qui sont impliqués dans les troubles». Le discours du Premier ministre a été rejeté par l’opposition. Le chef du parti El Ghad, Ayman Nour, a qualifié l’intervention de Kamel El Ganzouri de «contraire à la réalité».
Le Mouvement du 6 avril, de son côté, a répliqué en accusant le Premier ministre d’avoir mis le feu aux poudres, lorsqu’il avait déclaré qu’il pouvait «déloger les manifestants qui occupent le palais du gouvernement en un quart d’heure». Le mouvement réclame un débat télévisé avec le Premier ministre. En somme, ces évènements ont plongé tout le pays dans l’émoi après la mort de neuf personnes. Pour le chercheur Tawfik Aclimandos, il s’agit «d’un face-à-face entre des activistes, en général gauchistes, plus ultras et plus défavorisés d’un côté et de la police militaire de l’autre qui a dérapé. Le peuple du Caire semble être contre la radicalité de ces manifestants pour le moment, mais cela peut changer». A la question de savoir comment évolue la situation, le chercheur estime que «soit l’armée va mater les manifestants jusqu’à la fin des manifestations, ce qui est peu probable, soit le peuple va rallier les manifestants, mais cela aussi semble improbable pour l’instant. La situation pourrait connaître une tournure plus grave. Mais de toutes les manières, c’est l’armée qui est le grand perdant dans cette affaire». A l’est de la place Tahrir, plus exactement à la célèbre mosquée d’Al Azhar (Le Caire fatimide), la tristesse et la colère se mêlaient. La cour de la mosquée était noire de monde. Plus de 10 000 personnes sont venues assister à l’enterrement du mufti Imad Aifat, mort la veille, atteint d’une balle lors des affrontements devant le palais du gouvernement.
 Des figures religieuses chrétiennes se sont jointes aux imams d’Al Azhar au premier carré des funérailles. Des nombreuses personnalités politiques de confessions musulmane et chrétienne étaient également présentes à l’enterrement. L’activiste George Isshak, le coordinateur du parti laïque copte, Kamel Zakher, étaient aux côtés du président du Parti de la liberté et de la justice (Frères musulmans), Mohamed Morsy, le candidat aux élections législatives, le politologue Amr Choubaki. Tous accusent le Conseil militaire d’être «responsable de ce dérapage meurtrier». «Ce qui se passe est dû à l’absence d’une vision et de l’humanisme dans la gestion des affaires du pays», a estimé Kamel Zakhr. Sous les cris «A bas le pouvoir de l’armée», «Le peuple veut la chute du maréchal» ou bien «Y a chahidouna nam wa ertah sa nouassel el kifah» (notre martyr repose en paix, nous continuons la lutte», les funérailles se sont transformées en manifestation contre le pouvoir militaire. A l’université Aïn Shams (Le Caire), des milliers d’étudiants et d’enseignants ont investi la rue pour condamner l’assassinat de leur camarade, Alla Abdelhadi, lors des heurts de la place Tahrir.
Le pays est ainsi (re) plongé dans l’angoisse des lendemains incertains. «On en a marre du sang et des larmes. Nous avons tant versé, la terre va nous insulter. Nous avons cru que nous étions définitivement sortis du long tunnel sombre dans lequel nous avaient embarqués Moubarak et son clan corrompu, mais, hélas, la haine et le mépris de la personne humaine sont encore présents dans l’esprit de ceux qui gouvernent. Où va-t-on. Le pays et notre brave jeunesse méritent autre chose de plus précieux que la mort», a lâché, les larmes aux yeux, une mère qui a perdu son fils lors du soulèvement de janvier passé. «Chaque fois que j’entends des affrontements à El Maydane, je viens implorer les gens pour éviter d’autres victimes», nous confie cette femme.
En somme, «la fête démocratique», que devait célébrer les Egyptiens à l’occasion de la tenue des premières élections législatives démocratique post-Moubarak, s’est transformée en un deuil national. Dix mois après la chute de Moubarak, l’Egypte est encore sur un brasier. Le processus démocratique risque d’être mal négocié.  
 


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