Les
interrogations fusent de partout à la veille du jugement du despote égyptien.
Que cacheraient les lendemains du Caire? L'apocalypse du despotisme égyptien à
la place «Tahrir» fait-elle vraiment des émules? Rien
ni personne n'est en mesure de nous le garantir.
Si la notion de
la dictature en Égypte en sa signification symbolique la plus polysémique est
désormais mise sur la voie de garage, il n'en reste pas moins que les
récupérations et les manigances politiques en tout genre demeurent le seul
apanage des caciques du régime transformés en adeptes zélés et en récupérateurs
de dernière minute de révolutions populaires. Un problème à la fois complexe et
insoluble car la question de transition démocratique ne se pose pas uniquement
au niveau des structures politiques mais également et surtout par rapport à
l'évolution des mentalités qui les encadrent. Or la profonde détresse des
bas-fonds du Nil est un cri à la base d'ordre purement social sans écho
politique vu que les ficelles du sérail sont toujours tirées à leur insu et le
destin de l'Égypte dépend étroitement des bonnes volontés de «l'establishment» militaro-financier. D'où surgissent les prodromes d'une
période de tension et de bouillonnement politique qui dépassent de loin toutes
les supputations.
Encore faut-il
constater que ce prototype classique de désenchantement subséquent à toute
remise en cause radicale d'un ordre social ou politique quelconque est devenu
en ces moments bouleversants une vérité de la Palice au pays des
pyramides. La plèbe est sur le qui-vive. Pire, elle est, s'il l'on s'en tient
aux échos médiatiques qui en parviennent, à couteaux tirés avec sa classe
politique et regarde de travers tout ce qui est de nature à décrédibiliser le
lustre de son acquis révolutionnaire par des élites militarisées et
déconnectées de leur amère réalité politique et de leur vécu social. Celles-ci,
c'est-à-dire les élites gouvernantes sont fortement imprégnées de la culture du
militarisme et rechignent avec condescendance à accepter les alternatives
civiles d'où qu'elles puissent venir. Encore faut-il rappeler dans cet esprit
que l'Égypte est par tradition une nation gouvernée par les militaires: Nasser,
Sadate, Moubarak en sont la preuve la plus irréfragable. A dire vrai, ce blocus
interactif élites-masses est le dénominateur commun à
tous les despotismes, voire le noeud gordien de leur retard. Le cas attristant
de l'Égypte n'y échappe aucunement pas.
Alors que dans
l'autre versant de la méditerranée, les espagnols font des fantasmes
hallucinatoires sur le grand réveil arabe en transformant la place de «la Puerta
del Sol» en un tremplin idéal pour s'arracher leurs
droits qui se rétrécissent chaque jour davantage comme une peau de chagrin et
cela sur fond de crise économique mondiale qui menace d'ailleurs tout le vieux
continent de la pire des catastrophes qui soit, précédent historique qui,
précisons le bien, n'a jamais été vécu depuis 1929, les masses cairotes, quant
à elles, redoutent présentement les avatars fort probables de leur exploit et
restent toujours aux aguets, craignant de la sorte une possible usurpation de
la grande révolution du Nil. En effet, L'expérience humaine recèle des exemples
à foison où l'on remarque que les pires drames surviennent souvent au lendemain
des grands soulèvements populaires. Au pays du Pharaon, ce constat est plus que
probable à l'heure actuelle d'autant plus que son architecture politique est
fort complexe et la position ambiguë de la grande muette dans ce gigantesque
virage historique reste à définir. En dépit des gages de neutralité formulés ça
et là par les hautes officines dirigeantes, les masses populaires continuent de
revendiquer une véritable purge politico-sociale des
vestiges du clan du vieux despote. Pour preuve, une décision judiciaire motivée
par des pressions citoyennes incessantes aurait dernièrement été émise par le
tribunal du Caire ayant pour objectif la débaptisation
de toutes les rues qui portent le nom de Moubarak et sa famille, ultimes
symboles d'une époque révolue. Ce regain de suspicion et de crainte de la part
de la rue égyptienne est certes naturel mais il n'est guère un fait de hasard.
Après plus de six mois de la prouesse de l'hiver, un semblant de retenue, de
temporisation et de réserve sillonne de long en large les rangs un peu
dispersés de la société civile bien que les égyptiens s'interrogent toujours
avec beaucoup plus de vigueur sur le rôle réel de l'armée dans la nouvelle
reconfiguration politique qui se profile à l'horizon. Il va sans dire en ce
domaine que l'Égypte est bien différente de la Tunisie policière de Ben
Ali dans la mesure où leurs deux systèmes de gouvernance présentent des
dissemblances exorbitantes. Contrairement à la Tunisie du Jasmin,
l'influence de l'institution militaire sur le processus de la prise de décision
en Égypte semble être fort déterminante pour la suite à donner aux dernières
convulsions politico-sociales de la rue. C'est
pourquoi, le coup de tonnerre du février peine à esquisser une véritable éclaircie
politique en mois d'août.
C'est un constat
qui coule vraiment de source, les régimes militaires arabes dont l'Égypte est
un spécimen non négligeable au côté du Soudan, la Libye, l'Algérie et à un
degré moindre la Syrie
sont des cas d'espèce opaques, impénétrables, non malléables et difficiles à
remanier dans la mesure où l'organisation officieuse du pouvoir prend la
plupart des fois le dessus sur les soi-disant sources apparentes de prise de
décisions. En témoigne cette résurgence impromptue de cette pagaille sciemment
entretenue par ces grandes pontes militaires afin de tenir perpétuellement en
laisse ces pays-là. La répression de la prison
libyenne d'Abou Salim par les comités révolutionnaires en 1996, les brimades et
les violences des baasistes à l'encontre des manifestations estudiantines en
Syrie en 1976 et le récent génocide de l'armée de Bachar
Al-assad dans la ville de «Hama» qui s'est soldé par
plus de 100 morts en une journée sans oublier les 2000 morts enregistrés depuis
le 15 mars dernier, date du début du soulèvement populaire, la crise dramatique
du Darfour au Soudan et la grande violence d'Octobre 88 ainsi que l'arrêt
injustifié du processus électoral en Algérie en 1992 ne sont que des pièces à
convictions qui prouvent, si besoin est, le degré de l'influence de l'informel
sur le formel dans la gestion des affaires sensibles des États arabes. L'Égypte
n'est pas étrangère à ce cas de figure, l'armée est infailliblement perçue
comme la gardienne du temple, ce qui se passe dans les coulisses du système
politique transparaît à merveille dans la réalité des faits. La
non-participation des forces militaires égyptiennes dans la répression de la
révolte du Caire a immanquablement mené à la décrépitude du prestige de
Moubarak.
Néanmoins elle
est tel un écran de fumée qui cache la réalité de la chose. C'est dire que sans
le soutien actif et indéfectible de la grande muette, les chances de survie de
système politique égyptien en son ensemble seraient vraiment compromises.
Certes, le déferlement des revendications sociales sur l'arène des joutes
politiques n'est en aucune manière le fruit de l'insurrection du février, le
besoin d'émancipation remonte en vérité au temps où l'émergence du mouvement «Kefaya» en 2005 comme force politique alternative s'est
fait réellement sentir dans les tréfonds de la société égyptienne. L'appareil technicoadministratif fortement hermétique dressé par la
nomenclature égyptienne comme barrière psychologique contre les masses a fait
mûrir par contrecoup inattendu les consciences. Ainsi les masses populaires
croient-elles en la nécessite impérieuse du changement. Il serait vraiment
judicieux en ce contexte de rappeler l'épisode du malheureux candidat à la
présidence «Ayman Nour»
emprisonné en 2005 qui a ravivé toutes les rancunes au sein des partis de
l'opposition et les couches déshéritées de la société. S'y ajoute la
promiscuité indésirable avec un voisin insupportable: Israël d'autant plus que
la sempiternelle crise palestinienne n'est pas dans sa voie à la résolution et tend
de plus en plus à nuire aux intérêts immédiats de l'Égypte sachant que le
problème lancinant des réfugiés politiques constitue la vraie pomme de discorde
entre les parties belligérantes. Ce qui mettrait tout naturellement l'Égypte en
ligne de mire des visées hostiles de l'Oncle Sam même
si le traité de Camp David signé en 79 par «Sadate» avait garanti jusqu'à la
veille du déboulonnement du dictateur une certaine chaleur diplomatique entre
les pharaons et l'Occident vu que cela s'est cristallisé en une garantie de
sécurisation territoriale du pays des visées expansionnistes des sionistes,
première superpuissance militaire de la région. Il ressort clairement à
l'évidence que la conjonction de tous ces facteurs est à même de donner
naissance à un jusant révolutionnaire, prémonitoire et précurseur du printemps
arabe bien avant la révolution du Jasmin.
Ironie du sort,
contre toute attente, le réveil arabe est venu cette fois-ci du Maghreb et a
dérouté bien de calculs. En effet, l'ère totalitaire de Moubarak a étrangement
domestiqué les masses, la rue égyptienne a basculé de la soumission despotique
vers un islamisme sournois et plus ou moins pernicieux parrainé par la tendance
entriste des frères musulmans, de loin très convaincue mais au souffle peu
combatif et moins résistant ces dernières temps en raison de la terreur qu'a
inspiré le régime déchu du Caire qui n'a jamais hésité à déployer les grands
moyens pour repérer en précision le moindre soupçon d'activisme politique. Il
est à signaler que tous ces ingrédients conjonctifs sont on ne peut plus très
latents dans la société égyptienne et il suffit qu'une petite allumette se
frotte à la détresse populaire et au potentiel de la haine qu'ont laissé
traîner les années du silence forcé qu'une onde de choc à triple incidence:
politique, sociale et religieuse ait lieu car les politiques économiques
néolibérales aux effets pervers engagées depuis longtemps par le parti au
pouvoir «P.N.D» sont des plus insupportables. Cependant, la goutte qui a fait
déborder le vase est sans aucun doute celle de l'orchestration machiavélique de
succession du Moubarak. Celui-ci en étroite connivence avec les cercles
décideurs de l'armée aurait préparé son fils «Gamal»
pour prendre sa relève après près de trois décennies de l'instauration de
l'état d'exception suite à l'assassinat du président Sadate. C'est dans ce
climat extrêmement délétère que la flamme de l'insurrection aurait pris dans la
paille de la maison égyptienne et s'est propagé de proche en proche jusqu'aux
confins des coins les plus reculés du Nil. Reste maintenant à connaître la
suite de cette épopée populaire et de cette chanson a cappella surnommée en la
circonstance «dégage» qui a déboulonné un Rais rachitique et à savoir si elle
allait aboutir à l'enracinement de la démocratie en Égypte. Paradoxalement et
c'est malheureux de le dire, rien n'augure un scénario qui va tout droit vers
la consécration définitive de la volonté populaire puisque tous les signes sont
préoccupants à commencer même par ce fait saillant du jugement de Moubarak. Une
ambiguïté qui couvre tant d'autres d'ambiguïtés et de confusions atroces. Alors
pourrait-on mettre en un seul jugement toute la lumière sur des décennies de
malversations et de passe-droits? Aurait-on vraiment droit d'assister à un
premier compte rendu de gestion dans l'histoire du monde arabe? Les militaires
égyptiens complices du Rais déchu ou présumés l'être se laisseraient-ils faire
en allant se livrer à un meaculpa? Il est pour le
moins que l'on puisse dire quasi impossible de donner immédiatement des
réponses palpables à ces questionnements car le tunnel égyptien paraît si
profond qu'il est si difficile de le cerner en la seule personne de Moubarak.
C'est pourquoi,
la phase de transition pourrait trébucher d'une part sur la pierre d'achoppement
du conseil militaire et d'autre part buter sur la capacité de nuisance des
frères musulmans. Les uns et les autres sont tombés dans la quadrature du
cercle du malaise égyptien: l'Égypte serait-elle d'une identité purement
islamique ou accepterai-t-elle par contre un syncrétisme bon vivant avec les
minorités coptes chrétiennes? Où en est-on au chapitre de l'attitude à tenir
face à l'ennemi sioniste? Pourrait-on remettre en cause le traité de Camp David
et en découdre à n'en plus finir avec Israël ou tout bonnement entériner
définitivement l'option de la normalisation comme enjeu stratégique de bon
voisinage? L'administration américaine aurait-elle comme auparavant une
certaine influence sur la politique intérieure et extérieure en tant qu'allié
politique et stratégique d'envergure de l'Égypte? Toutes ces questions sont à
l'ordre du jour non seulement sur la table du conseil militaire mais également
dans la conscience de tous les égyptiens car les frères musulmans ne semblent
guère vouloir mordre à l'appât de cette vieille histoire d'«entrisme politico-social» dans lequel on les enferme et commencent à
sortir leurs griffes en clamant haut et fort l'identité islamique de l'Égypte
afin de pénétrer de plain-pied dans le jeu politique. Ce qui crée la peur partout
aussi bien dans les milieux intellectuels que chez les couches défavorisées
puisque cela signifie en termes plus anodins l'exclusion pure et simple des
coptes de la scène politique et la marginalisation des tendances jugées laïques
de la société civile.
Sur un autre
chapitre, l'approche des élections législatives à l'automne prochain est source
de toutes les angoisses mais semble étrangement moins préoccuper les masses
populaires, actualité politique oblige. En réalité, c'est le jugement de
l'ex-despote qui ravit la vedette à tous les autres thèmes à sensation car il
s'annonce chaud d'autant plus que de larges franges de la société réclament la
peine capitale à son encontre ainsi que ses deux fils, coupables de répression
contre des manifestants à la place historique de «Tahrir».
Néanmoins, l'écrasante majorité des égyptiens craignent une probable mise en
scène dans cette affaire et vont jusqu'au point de douter du sérieux la
comparution de leur ex-Rais devant la justice. Ce qui est sûr est que la crédibilité
du conseil militaire qui tourne autour de la personne du maréchal «Tantawi» serait mise à rude épreuve si les chefs
d'inculpation dressés contre le régime ne débouchent pas sérieusement sur une
sentence équitable qui va remettre du baume aux coeurs meurtris des suites de
la terreur de la répression. Si les Baltaguiya sont
durement punis par la justice, le despote égyptien aurait à son tour et en
toute logique le même destin qu'eux sauf force majeure dont seul le peuple
égyptien tient le pouvoir discrétionnaire d'en faire usage. Ce qui est
également fort intéressant à relever est sans conteste le contenu des audiences
du tribunal qui seraient retransmises en direct sur les chaînes de télévision
égyptiennes. Moubarak oserait-il dévoiler tous les noms responsables de la
corruption? Va-t-il mettre sur la sellette ceux qui ont refusé de lui prêter
main forte au moment de la répression ou vat- il
seulement se contenter d'un plaidoyer pro domo
pleurnichard et plaintif puisque les dés sont déjà jetés? Les prochains jours
vont en révéler tant de points demeurés en suspens.
Il est vrai que
la société égyptienne s'est approprié une autodidaxie
d'activisme et d'engagement propre à elle-même en dehors des cercles baliseurs
des démagogues. Face au manque de transparence des responsables militaires,
l'essoufflement de la société civile et la faiblesse des pouvoirs civils, elle
a inventé une méthode spécifique de débrouille et de génie digne des grands
peuples. Ce qui tombe à point nommé et en complète parallélisme avec la volonté
des bas-fonds de la société de prendre le relais et la relève des pouvoirs
politiques décadents. Sur un autre plan et contrairement à la Tunisie post-Ben Ali,
l'Égypte regorge d'alternatives politiques de nature à mettre en branle un
véritable processus de démocratisation. Amr Moussa et Mohammed El-Baradei, respectivement secrétaire général de la ligue
arabe et ex-directeur général de l'agence internationale de l'énergie atomique
(A.I.E.A) incarnent en temps actuels des figures de proue hautement
présidentiables en dépit des réticences de l'armée pour le premier et la
suspicion occidentale pour le second étant donné qu'il a refusé de cautionner
la thèse de possession d'armes de destruction massive par l'Irak en sa qualité
de chef d'inspecteurs onusiens des sites militaires et civils en 2003.
Ce qui est
également surprenant est que le semblant de chaos et de désordre qu'ont générés
les énergumènes durant les dernières manifestations dans le but de
décrédibiliser les acquis de la révolution du 11 février n'a pas vraiment
réussi à décourager les masses de continuer sur leur lancée pour parachever
l'oeuvre du printemps insurrectionnel. C'était comme couru d'avance, les «Baltaguiya» ne sont pas seulement question de la période pré-révolutionnaire mais également et surtout de celle de
la post-révolution, la manipulation et la contre-manipulation
est l'élément incubateur sinon le trait saillant aux temps de révoltes.
Toutefois, la quintessence de toutes les luttes ne se restreint pas uniquement
à l'aspect organisationnel mais devrait aussi s'atteler au volet de la
destruction psychologique et de perturbation psychique des masses par des
éléments pathogènes, ce qu'a prouvé de façon à la fois choquante et brutale la
révolution du Nil. Raison pour laquelle, il apparaît clairement que dès le
début toutes les composantes de la contamination révolutionnaire y sont
réunies. L'Égypte est en plein carrefour de l'histoire et c'est en grande
partie de la réussite ou de l'échec de son modèle que dépendent les autres révolutions
arabes précédentes et prochaines. En ce sens, l'axe «Ankara-Téhéran-Caire»
pourrait sans l'ombre d'un doute représenter un nouveau pôle de rassemblement
des peuples arabo-musulmans en particulier et des
peuples de Sud en général. Cela dit, l'histoire égyptienne arriverait à son
summum historique si le jugement de son despote se tient dans la transparence
et l'efficacité qui s'imposent dans ce genre de
circonstances. Ce serait alors une première dans les annales politiques arabes
qu'un responsable politique de haut rang, de surcroît un président de la
république sera jugé par les siens pour sa gestion catastrophique des deniers
de l'État et de violence prémédité contre son peuple. D'où toute la symbolique
et le prestige que va certainement acquérir l'Égypte sur le plan international
dans les années à venir.
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Posté Le : 04/08/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kamal Guerroua
Source : www.lequotidien-oran.com