L'Egypte profonde derrière le maréchal Al Sissi

Avant même le lancement officiel de la campagne présidentielle, de nombreuses provinces rurales semblent plébisciter le même candidat, le maréchal Abdelfattah Al Sissi. Reportage dans le Fayoum.Le Caire (Egypte)De notre envoyé spécialA 130 kilomètres du Caire, en plein c'ur du Fayoum, la campagne présidentielle résonne comme la promesse d'un retour à la stabilité. Dans le village d'Al Agamiyyin, le portrait du maréchal Abdelfattah Al Sissi s'impose en maître. Il volerait presque la vedette à Gamal Abdel Nasser, héros du nationalisme arabe. Passé le chemin qui trace le périmètre de la bourgade, la verdure des champs domine le paysage : une succession de cultures de fèves, de figues, de plantes médicinales... Depuis l'Antiquité, cet ancien grenier à blé vit au rythme des récoltes et accorde une grande place à la terre. «Nous avons besoin d'un président qui comprenne ce que l'agriculture représente pour les paysans, affirme Ahmed Mostapha, tout en cueillant les fèves. Les Frères musulmans n'avaient rien saisi de tout cela. Al Sissi, lui, est différent. Il ressemble à Moubarak dans les débuts de sa présidence. Un homme fort, capable de tenir le pays.»Comme Ahmed, de nombreux villageois affichent leur soutien au ministre de la Défense et maréchal Al Sissi. Après trois années d'instabilité politique et de crise économique, l'homme est devenu, en quelques mois, l'incarnation d'un possible retour à la normale. Une opportunité à saisir pour les Felouls, le nom donné aux Egyptiens qui gravitaient autour du clan Moubarak et qui regrettent encore aujourd'hui son éviction. Mostafa Abdel Fatah, un notable du village, reçoit ses hôtes dans une pièce de la maison aménagée en salon mondain. Dans une ambiance feutrée, il énumère toutes ses responsabilités, comme celle d'être l'intermédiaire entre le pouvoir et les paysans ou le juge traditionnel consulté en cas de litige ou de divorce. La tête recouverte d'une étoffe blanche, l'homme distille les bons mots devant ses invités et ponctue ses phrases d'un insistant : «Il n'y a de dieu que Dieu.» Près de huit mois après la destitution du président islamiste, Mohamed Morsi, l'homme reconnaît sans ambages sa proximité avec le régime passé. Avant de poursuivre : «Je ne suis ni à droite ni à gauche. Je veux tout simplement que le pays avance.» Contrôle des campagnesL'ancien régime est-il de retour dans les campagnes, qui, selon un récent rapport de la Banque mondiale, concentrent 56% de la population égyptienne ' Pour Mohamed Hakim, un activiste socialiste originaire de la ville du Fayoum, le Parti national démocrate (PND), ou son prochain avatar, ne peut pas se réimplanter aussi facilement. Contrairement aux Frères musulmans qui ont calqué le système clanique du régime Moubarak, les dirigeants de l'actuelle coalition n'ont aucun parti pour asseoir leur autorité dans les campagnes. «Il existe certes des personnes influentes, mais celles-ci n'appartiennent pas à un seul et même parti, comme c'était le cas sous Moubarak, argumente Mohamed Hakim. Les paysans, surtout les femmes, ne votent pas en faveur d'un camp militaire ou islamiste, elles choisissent toujours le bulletin de la stabilité.»Dans son atelier de poterie, Rawiya confesse à demi-motson soutien à l'actuelle coalition. Il y a encore deux ans, cette trentenaire encourageait les groupes de jeunes révolutionnaires, comme beaucoup d'artistes pensionnaires du village Tounis, un site inscrit sur la carte de l'écotourisme. Mais aujourd'hui, elle ne souhaite qu'une seule chose : que le maréchal Abdelfattah Al Sissi gagne la prochaine élection présidentielle et que son atelier redevienne une destination touristique. Vendredi dernier, dans la capitale du Fayoum, des heurts ont à nouveau éclaté entre les partisans de l'ex-président Mohamed Morsi et les forces de l'ordre.Le gouvernorat, certes éloigné de l'agitation des grandes villes, n'en est pas moins touché par le bras de fer qui se poursuit entre le gouvernement intérimaire et la confrérie islamiste.