Algérie

L'Egypte et nous


L'Egypte et nous
Rarement dans le monde, voire jamais, élection présidentielle n'aura suscité autant de passion, crispation, suspicion et nervosité.
On eût dit, hier, que le Caire était en train de battre le rappel des réservistes suite à un état de guerre constitutionnellement décrété contre un puissant ennemi extérieur. Quel contraste, quelle disproportion, pourtant, entre l'enjeu autour d'une fonction présidentielle dépouillée de l'essentiel de ses prérogatives et la détermination affichée de ses prétendants à ne pas laisser leur échapper l'os jeté par les militaires ! Faute de grives, les deux candidats se sont montrés disponibles pour manger des merles. Mais le goût en aura été amer, on le verra. Première leçon du scrutin, si la démocratie formelle égyptienne confère un semblant de légalité au président élu, elle est loin de le revêtir de l'habit d'une légitimité populaire incontestable. Les chiffres ne s'inventent pas, certes, et pris pour ce qu'ils sont ils mettent plutôt en relief un préoccupant déficit de légitimité populaire. Un problème dont n'a pas à se soucier la véritable autorité de fait du pays, le Conseil suprême des forces armées (Cfsm) qui avait pris les devants en s'arrogeant le pouvoir de légiférer après qu'il eût procédé à la dissolution de la Chambre des députés dominée par les Frères musulmans et les Salafistes. Elu d'une courte tête avec moins de 2 points d'avance sur son adversaire Ahmed Chafik, le candidat des Frères musulmans aura du mal à exciper du titre de chef de l'Etat égyptien et encore moins à se prévaloir, sans avoir l'air de mentir, de la magistrature suprême.Retour aux chiffres et à ce qu'ils traduisent comme réalités : sur environ 51 millions d'électeurs inscrits et à peine 26 millions de votants sur une population totale qui avoisine 90 millions d'habitants, seuls 13, 2 millions d'Egyptiens ont donné leur suffrage à Mohamed Morsi. Le vainqueur de la présidentielle doit certainement sa victoire, au moins en partie, aux bulletins nuls et aux abstentionnistes. Peu charismatique mais ne manquant pas de perspicacité politique, il savait à quoi s'attendre, de toute façon. Tout au long de l'entre-deux-tours, il a multiplié les professions de foi conciliantes et réconciliatrices en prenant l'engagement solennel d'élargir l'exécutif qu'il supervisera à toutes les composantes de la société égyptienne, avec une mention spéciale pour la dizaine de millions de chrétiens coptes qui ont toutes les raisons d'avoir une peur bleue des islamistes. Avec la division en deux du peuple d'Egypte -autre leçon de cette présidentielle- il apparaît difficile, ou alors juste pour le respect des usages terminologiques, de parler de vainqueur et de vaincu. Car, au fond, tout ancien hiérarque militaire qu'il était, le candidat malheureux Ahmed Chafik n'aurait pas eu les coudées plus franches que son rival vainqueur. En effet, dans un scénario qui n'est pas sans rappeler la Turquie des années 80, l'Egypte semble partie pour être sous la férule d'un pouvoir militaire pour un bon bout de temps. La stabilité du pays et la gestion, difficile, de ses relations de voisinage et internationales seront largement tributaires de la qualité et de la nature des garde-fous posés par le maréchal Tantaoui et son équipe du Cfsm. Comme en Tunisie, les islamistes n'auront alors d'autre choix que de s'atteler à ce qu'ils savent le mieux faire, c'est-à-dire islamiser encore plus la société, les institutions et les comportements. Avec une situation économique peu reluisante et des
ressources financières chichement comptées, il leur sera extrêmement difficile de répondre aux attentes sociales des Egyptiens. Serait-ce à ce tournant que les attendront les militaires qui choisiront probablement le moment qui leur semblera le mieux indiqué pour organiser de nouvelles élections législatives 'À voir avec quelle désaffection et apathie la majorité des Egyptiens se sont «impliqués» dans cette élection présidentielle et ses résultats, on constate une inversion de leur «courbe de mobilisation» en faveur des islamistes qui n'entrevoyaient de victoire que portés par un raz-de-marée électoral. L'heure du reflux islamiste a-t-elle sonné ' Ce qui semble vrai pour l'Egypte s'est en tout cas vérifié en Algérie à l'occasion des législatives du 10 mai dernier qui ont vu la déroute électorale des islamistes, toutes tendances confondues. À ce niveau d'analyse, la similitude entre les deux -grands- pays est loin d'être inopportune. Il reste à savoir comment les détenteurs du pouvoir au Caire et à Alger vont intégrer cette donne dans leur stratégie de «containment» de l'islamisme politique. Si, toutefois, ils en avaient la volonté et l'intention. A. S.
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