Algérie

L'Egypte au 4ème mois de la révolution: Une alliance militaires-Frères musulmans sous un volcan social



Le Caire en juin. Rien ne semble avoir changé quatre mois après la «révolution» de janvier. Les conditions de vie sont difficiles pour le plus grand nombre. Seul signe des journées tumultueuses fatales à Moubarak : le siège incendié du PND, l'ancien parti au pouvoir. Place Al-Tahrir, un petit groupe de manifestants scande des slogans contre le régime sous le regard débonnaire de policiers en blanc. Routine. Le Caire a retrouvé son ambiance «normale». Mais les Egyptiens ne s'y trompent pas : la transition en cours est incertaine. Le gouvernement tente de concilier entre les revendications sociopolitiques de la population et le souci des haut-gradés et de la grande bourgeoise de maintenir les choses en l'état. De quelle couleur sera le prochain parlement égyptien ? Les pronostics sont variés. Un seul point d'accord : les Frères musulmans qui ont lancé le Parti de la Liberté et de la Justice et qui font référence à l'AKP turc y seront influents. Les grandes fortunes, hormis Naguib Sawiris, n'apparaissent plus au premier rang en raison de leur proximité visible avec le régime Moubarak. Mais derrière le vernis religieux, l'organisation des Frères musulmans, est un mouvement de droite animé par la grande bourgeoisie d'affaires et de dignitaires religieux prospères. Le courant conservateur bénéficie aussi de l'influence d'Al-Azhar. Les mouvements de gauche restent faibles et dispersés même s'ils essaient de se fédérer. Ils ont des différences d'analyses sur les politiques néolibérales mises en Å“uvre sous l'égide du FMI et de la Banque mondiale. Le vrai défi pour ces mouvements – et également pour les jeunes qui ont conduit le mouvement de la place Al-Tahrir – est de se préparer à l'ébauche d'un «contrat» entre le haut-commandement militaire et les Frères musulmans pour reconduire le système avec des aménagements limités. Une marche «millionième» est programmée d'ailleurs pour exiger plus de libertés et une démocratisation réelle.

La question sociale et les ploutocrates !

Mais la question sociale est lourde en Egypte et sera déterminante pour l'avenir. Le dynamisme de l'activité économique n'a profité qu'a une petite minorité. La politique néolibérale en Å“uvre depuis 40 ans a permis l'émergence d'une classe d'affairistes liés au pouvoir. Elle a entraîné une paupérisation des classes moyennes et une dégradation encore plus prononcée des classes populaires. 18% de la population égyptienne (80 millions) vit avec moins de 2 dollars par jour, selon la Banque mondiale. Des chiffres trop «officiels» contestés par des économistes égyptiens qui les chiffrent à plus de 40% (30 millions de personnes). Les turbulences politiques ont affecté plus durement les plus pauvres, ceux qui vivent de services rendus aux touristes ou de la vente d'objets artisanaux. Les grandes zones d'attraction touristiques - Pyramides de Guizeh, Musée des antiquités ou le marché Khan El Khalili – connaissent une baisse de fréquentation sensible. En avril 2011, il y a eu une baisse de 36% de touristes étrangers par rapport à 2010. Sur l'année, la baisse serait de 25%. Les Les revenus du secteur devraient malgré tout atteindre 10 milliards de dollars en 2011 contre 12,5 en 2010. Les IDE sont en baisse. L'inflation est de 13% selon les chiffres officiels, 20% corrigent des économistes égyptiens qui soulignent que le chômage dépasse de loin les 12% admis par l'administration et dépasserait les 20%. La croissance devrait se situer à 1,5 % en 2011, contre un peu plus de 5 % en 2010. Le coût de la vie a enregistré une hausse brutale au cours des 3 derniers mois. Dans les milieux progressistes, on y voit une volonté de faire payer – au sens propre – au peuple une révolution qui a ébranlé l'édifice politico-administratif de la corruption et de la prédation. Face à la montée des revendications pour un salaire minimum de 1 200 livres (autour de 150 euros) dans la fonction publique, le Conseil militaire suprême à interdit les grèves. Le gouvernement a proposé que le salaire minimal soit porté à 700 livres (moins de 90 euros) pour atteindre 1 200 livres sur une période de cinq années. Le secteur privé, où l'informel est de mise, n'est pas concerné par le salaire minimum. Le régime de Moubarak avait réduit l'impôt sur le revenu de 40 à 20%. Il vient d'être porté à 25%. Dérisoire, juge un syndicaliste. «5%, c'est tout ce que la révolution peut enlever aux ploutocrates !».

La religion, comme calmant ?

Les Frères musulmans dans un arrangement de pouvoir pourront-ils, en usant de la religion, servir de calmant aux revendications sociales ? C'est la question qui se pose «à gauche». Synthèse des réponses : «ils peuvent le faire un certain temps, ils ne le pourront pas longtemps. Ce que la révolution à détruit, c'est le couple qui permettait la stabilité de l'ordre injuste : la peur et la soumission». Les Egyptiens ont en effet redressé la tête et ils pèsent déjà. Si le gouvernement a renoncé aux prêts auprès des institutions financières mondiales (FMI – Banque mondiale), c'est en raison de l'obligation, nouvelle, pour le pouvoir de tenir compte de l'opinion populaire. Déjà, on conteste l'idée, répandue, que la révolution n'est le fait que des jeunes issus des classes moyennes. On tente de rétablir l'ordre des priorités. Un jeune blogueur, Mohamed Abou El-Gheit, a mis les pieds dans le plat en rappelant le rôle majeur des jeunes des quartiers populaires «informels». «Ces jeunes ne sont pas sortis pour réclamer une Constitution – avant ou après les élections – ni des élections. Ils ne sont pas sortis pour un État laïc ou religieux… Ils sont sortis pour des raisons ayant trait à leur vie quotidienne : les prix des produits alimentaires, des vêtements, du logement. Ils sont sortis contre le policier qui arrête le minibus du frère pour lui extorquer 50 livres, contre l'officier qui l'a arrêté et torturé pendant des jours, pour la sÅ“ur qu'ils n'arrivent pas à marier, pour l'oncle qui a perdu son travail parce que l'usine a été privatisée, et pour la tante morte d'un cancer parce qu'on ne lui a pas trouvé de lit dans l'hôpital public…».




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