Algérie

L’écrivain virtuel ou le malade imaginaire!



Publié le 10.10.2024 dans le Quotidien l’Expression
Encerclé dans sa cage, l'écrivain algérien est devenu un être coupé de la réalité individuelle et collective. Absurdité ou égarement!
Un regard sur les cinquante dernières années, nous fait découvrir les changements énormes qui se sont produits dans le comportement de l'écrivain algérien par rapport à la réalité dans laquelle il vit, ou est censé vivre. Nous réalisons immédiatement l'ampleur de cet éloignement visible dans l'acte, dans le langage, dans les sensations, dans la philosophie de l'existence en somme.
Essayons d'énumérer quelques traits de l'image de l'écrivain des années soixante-dix, une période marquée par des événements politiques majeurs et des rêves sociaux, culturels et créatifs.
Dans les années soixante-dix, l'écrivain algérien était impliqué directement dans la vie politique. Sa vie privée était ouverte sur le communautaire. Un personnage des livres mais, en même temps, immergé dans sa société. Préoccupé par son entourage.
Les cafés d'Alger, d'Oran, de Constantine, de Tizi Ouzou, d'Annaba, de Bejaïa...étaient, pour les intellectuels, leur seconde maison.
Ces lieux publics étaient des universités populaires ouvertes jour et nuit dans lesquels les débats ne s'arrêtaient qu'au lever du jour. On discutait culture engagée, poésie, roman, cinéma, théâtre, et avec enthousiasme et prudence on parlait aussi politique, le sujet favori pour les intellectuels et les écrivains. Le café était le lieu préféré des écrivains bien qu'étant surveillé par les services de sécurité.
Dans les années soixante-dix l'écrivain, en général, était fasciné par la mouvance de la gauche. Le chemin vers la gauche était pour toute une génération d'écrivains, en arabe et en français, comme un sens unique et obligatoire. Celui qui n'était pas proche de cette gauche politique et culturelle était rejeté de la communauté intellectuelle et soupçonné même dans son patriotisme. L'image de l'écrivain positif était celle qui produisait un discours politique ou poétique d'opposition aux USA, à l'Occident et au féodalisme. Celle qui produisait un discours en soutien aux mouvements de libération national et à la justice sociale. L'ère où le socialisme était un constant parmi d'autres!
L'écrivain croyait dans l'engagement, l'âme et l'énergie pour toute créativité, ainsi il était impliqué dans la vie associative et dans tous les syndicats professionnels.
L'écrivain était convaincu que la culture dans toutes ses facettes, la poésie, la nouvelle, le roman, le cinéma, le théâtre, l'art plastique et la musique devaient être liés à la politique. Et toute production artistique devait être le résultat d'un contact direct avec la réalité sociale.
Un demi-siècle plus tard, quels sont les nouveaux traits de l'image de l'écrivain du troisième millénaire? A-t-il abandonné la philosophie de l'engagement politique chère à l'écrivain et à l'intellectuel des années soixante-dix? L'engagement a-t-il changé de sens?
Tout d'abord, et sans ambigüité aucune, l'écrivain algérien d'aujourd'hui est victime d'une hégémonie technologique inculte. Dans une absurdité sans bord, il s'est emprisonné dans l'univers de l'«écran» qu'il ne quitte que pour y retourner, jusqu'à ce qu'il soit devenu une sorte de drogue dure.
L'écran/prison a occulté la réalité vivante aux yeux de l'écrivain ou presque. Le virtuel est devenu alternative du réel. Cette relation (l'écrivain/écran) a créé un ensemble d'illusions politiques et culturelles. Confusion ou chimère!
Au début de leur arrivée dans les sociétés du Sud, en particulier dans les pays d'Afrique du Nord, les médias sociaux étaient un moyen important pour la mobilisation des masses contre la corruption et l'injustice sociale. Petit à petit, l'écrivain algérien a sombré dans le bourbier de la technologie inculte, en tournant le dos à la réalité, à la vie sociale et humaine. Dans un état d'illusion, croyant qu'il est connecté au monde, que le monde est à sa disposition, alors qu'il en est séparé, totalement coupé. Absence. Le fossé s'accroît de jour en jour.
Plus la distance entre lui et la réalité est grande et plus l'abîme est large, moins sa croyance en l'idée de l'engagement politique et social est visible et palpable. Dans une telle divagation psycho-politique, l'«engagement» se transforme en une «rhétorique» sans fondement réel. On perd le chemin vers la société en faveur d'un autre vers un égo emmêlé, embrouillé.
Dans cette rupture/ablation de la réalité, le moi intellectuel se voyait gonfler.
L'écrivain entre dans un labyrinthe frénétique et commence à manger sa queue comme un animal mythique jusqu'à ce qu'il se ronge lui-même, morceau par morceau.
Le narcissisme accordé par la technologie inculte, la technologie de consommation, dénigre la valeur de l'engagement, laissant le champ libre aux personnes limitées intellectuellement. L'écrivain commence à imiter les influenceurs, habite les réseaux sociaux et tombe malade de lui-même. Cette nouvelle réalité pathologique nous a produit un écrivain dont les gens connaissent le nom et l'image sans aucun accès à ses textes. Avec cette technologie inculte, le nom de l'écrivain est devenu plus connu que ses écrits.
Après que l'écrivain ait été connu par un recueil de poèmes, un roman, une pièce de théâtre ou un recueil de nouvelles; Baudelaire par Les Fleurs du mal, Naguib Mahfouz par Les fils de la médina, Mohammed Dib par La Grande maison, Mouloud Mammeri par La Colline Oubliée», Adonis par Un tombeau pour New-York, Tahar Djaout par Les chercheurs d'os, Taha Hussein par Les Jours, Rachid Mimouni par Le fleuve détourné, Kateb Yacine par Nedjma» Mohamed Choukri par Le pain nu aujourd'hui, l'écrivain virtuel est connu grâce à une pluie de photos et de vidéos postées sur les réseaux sociaux Facebook, X,Tiktok ou Instagram.
Si l'image de l'écrivain des années soixante-dix gravée dans l'imaginaire collectif, grâce à l'engagement et à la lecture, ne peut être effacée, alors que celle de l'écrivain d'aujourd'hui propulsée par les réseaux sociaux, risque d'être effacée du jour au lendemain.
Si la présence de l'écrivain n'est pas basée sur une philosophie qui plonge ses racines dans la réalité sociétale multidimensionnelle, une présence dominée par le désir de changement, celui de l'ego et de l'environnement, alors cet écrivain restera sujet à l'oubli et à l'effacement.

Amin Zaoui



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