Publié le 17.11.2022 dans le Quotidien d’Oran
par Cherif Ali
A croire que nous continuerons longtemps à créer nos malheurs avec une ingéniosité, un raffinement qui n'ont d'égal que notre inconscience (éditorialiste) !
Plus de 5000 milliards de dinars circuleraient actuellement en Algérie hors secteur bancaire, soit plus de 50% des encours des crédits accordés à l'ensemble de l'économie nationale, avait annoncé le gouverneur par intérim de la Banque d'Algérie. «Cette somme (5000 milliards de dinars, plus de 50 milliards de dollars) représente aussi plus de 30% de la masse monétaire totale du pays. Cela veut dire que la politique de l'épargne est déficiente ».
La tâche est rude même si le président de la République en a fait sa priorité de l'heure en commençant par accorder un entretien au président de le confédération algérienne de patronat citoyen Sami Agliqui est revenu notamment sur les masses d'argent qui circulent dans le secteur informel, donc en dehors de circuit bancaire.
Selon lui, «il ne s'agit pas seulement de reprocher aux banques d'être inefficaces et de ne pas être capables de collecter cette épargne. Il faut entamer des études sérieuses pour mettre le doigt sur les vrais motifs qui font que cette épargne n'atterrit pas dans le cercle bancaire». «Est-ce que les banques n'ont pas offert des produits attractifs, ou y a-t-il d'autres raisons ? Ce sont ces questions-là qui doivent être posées et étudiées», a estimé le gouverneur par intérim de la Banque d'Algérie.
Rappelons que par le passé le gouvernement avait préconisé de récupérer la masse monétaire hors circuit bancaire en instituant une taxe de 7% contre amnistie au profit des déposants. Les résultats n'étant pas fructueux, d'autres solutions ont été imaginées pour capter l'argent de l'informel en développant la finance islamique et en lançant l'emprunt obligataire. En vain !
Un ancien ministre de l'Intérieur pensait avoir la solution et a cru bien faire en faisant de l'éradication des marchés informels sa priorité; ainsi et dès 2012, c'est-à-dire peu de temps après sa prise de possession du département, il a réunit et en grandes pompes, tous les walis de la République pour leur demander, toutes affaires cessantes, « d'éradiquer tous les marchés informels et de faire partir tous les vendeurs ambulants qui ont pris possession de nos territoires ».
En cette occasion, il leur a fait la déclaration suivante : « la résorption du commerce informel n'est ni ponctuelle ni une opération coup de poing ; un choc psychologique a eu lieu et la population nous soutient dans cette action ; la plupart des commerçants seront recasés dans des espaces réaménagés ».
La sémantique a, cependant, évolué puisqu'il n'était plus question « d'éradiquer » mais de « redéployer » dans des « espaces maîtrisables », les vendeurs de ces marchés informels estimés à 70613 selon le ministre de l'intérieur, 75000 selon le ministère du commerce ou même 300.000 selon l'union générale des commerçants algériens.
Pour les espaces, les walis ont casé le maximum de ces jeunes dans ce qu'on a appelé les « 100 locaux par commune » ; la destination de ces locaux a été détournée et ils ont servis au stockage et à la revente en l'état de la bibeloterie de bas de gamme, du textile bon marché, importé de Chine, de Turquie et d'Espagne et des cosmétiques aussi variés qu'avariés.
Quant aux jeunes qui s'adonnaient à la revente des fruits et des légumes, à défaut de pouvoir s'implanter dans « les marchés parisiens » promis par l'ex-ministre de l'Intérieur, ils continuent, malgré l'acharnement qui pèse sur eux, à exercer, à la sauvette, embarrassant clients et services de sécurité.
Et le dernier exemple nous a été servi à Oran !
Entre-temps et avec le recul, ce ministre a su qu'il avait en fin de compte emprunté une mauvaise piste !
Il s'est attaqué au maillon faible de l'économie souterraine, « l'informel de survie ».
C'est celui qui est établi directement dans les quartiers pauvres qui en tirent leur subsistance. Il a été longtemps sous-estimé parce que nombre d'entreprises ne sont pas officiellement déclarées (les trois quarts n'ont qu'une existence de facto).
C'est le marché informel de survie qui continue d'absorber le gros de la vague des demandeurs d'emploi, notamment ceux qui n'ont bénéficié d'aucune formation et qui n'ont pas accès aux aides de l'Etat, y compris l'assurance sociale.
L'OIT, d'ailleurs, en donne la définition suivante : facilité d'accès ; utilisation de ressources locales ; propriété familiale des entreprises ; opérations à petite échelle ; technologie appropriée à forte intensité en main-d'œuvre, qualifications acquises en dehors du système éducatif officiel ; marché fluide, concurrentiel et non régulé.
Ce type de commerce est utile s'il venait à être encadré et pris en charge par l'Etat et pourquoi pas intégré dans le portefeuille des PMI/PME.
Aux ministres du Commerce, de l'Industrie et de l'Intérieur d'en tirer les leçons et de ne pas se laisser entrainer par des opérations « coup de poing » improductives car aujourd'hui, il y a déjà fort à faire avec :
1. les grandes villes qui sont autant de marchés d'intérêt national(M.I.N) ; elles peuvent, par exemple, constituer des centres de commerce importants et favoriser périodiquement des échanges spécialisés à travers des foires où seront échangés des spécificités et des produits régionaux, ce qui aura pour impact d'encourager le « tourisme domestique » et de maintenir le chômage à un taux acceptable
2. et les villes à faible potentiel industriel qui doivent également s'investir dans ces espaces intermédiaires en veillant à promouvoir leur production locale.
De ce qui précède, on peut s'autoriser à dire que l'informel de survie :
- absorbe la force de travail en réduisant «officiellement» la courbe statistique du chômage
- il fournit biens et services à la portée des bourses de la population pauvre.
Contrairement à « l'informel prédateur », qui est nuisible à l'économie nationale !
L'informel prédateur a un visage, c'est celui des propriétaires des conteneurs, des grossistes du Hamiz, par exemple, qui ont leurs informateurs qui leur signalent, instantanément, les descentes «inopinées» des contrôleurs du fisc et du commerce.
Ce qui leur permet de baisser, impunément, le rideau !
La lutte contre l'informel prédateur passe, nécessairement, par l'assèchement des sources de son financement, entre autre le marché noir de la devise.
Un ancien ministre avait émis un avis disant que « le citoyen y trouve son compte et que l'Etat n'est pas disposé à ouvrir des bureaux de change ».
Pourtant les économistes et les experts de la finance, sont unanimes à dire que l'existence d'un marché parallèle de la devise nuit gravement à l'économie nationale ; la circulation des grandes sommes en devise, en dehors de tout contrôle des autorités monétaires met en danger la sécurité économique et financière du pays.
Il sera difficile de sortir tout ce beau monde de la mangeoire autour de laquelle se sont attablés tous les spécimens de notre société y compris ceux relevant d'institutions en charge du contrôle et de la préservation des deniers publics.
La facture alimentaire explose et les poches des maffieux aussi !
Le pays importe tout, nourriture, vêtements, médicaments et autres pièces détachées. La ressource première est constituée, pour quelques temps encore, des revenus du pétrole et du gaz et peut-être plus tard, de ceux qui seront engrangés à partir des gisements de gaz de schiste ; ni l'agriculture, encore moins l'industrie ne répondent suffisamment aux besoins internes de la population algérienne.
Il faudrait dire aussi que les gouvernements qui se succèdent font un pas en avant et deux pas en arrière comme par exemple pour cette obligation de l'utilisation du chèque pour les transactions dépassant les 500 000 dinars, mesure rappelons-le, qui devait entrer en vigueur le 31 mars 2011 et reportée sine die.
Notre système bancaire est paralysé même s'il suffoque du trop plein de liquidités et le Président Abdelmadjid Tebboune l'a rappelé lors d'un conseil des ministres.
Quant au paiement électronique, mieux vaut ne pas en parler dès lors qu'il reste marginal voire inexistant.
Il existe en Algérie des milliers de sociétés-écrans représentant un volume de transactions de l'ordre de plus de 20 à 25% du PIB ; l'économie souterraine brasse, à elle seule, 50% de la masse monétaire en circulation, soit près de 60 milliards de dollars disent les économistes ; plus de 40 milliards de dollars circuleraient en cash dans le pays.
Il faut aussi évoquer ce problème de la sous-bancarisation de la population (7 Algériens sur 10 ne possèdent pas de compte bancaire) ; il y a aussi ce grave déficit de projets bancables, en dehors des investissements étatiques, ce qui a pour effet de doper, encore plus, l'économie informelle.
Cette situation engendre un trop plein de liquidités et enfonce, davantage, l'économie nationale de « l'import-import », l'investissement non étatique étant insignifiant.
Est-ce à dire qu'il n'existe pas de volonté réelle de lutter contre l'économie souterraine dès lors où l'on continue de privilégier l'importation à la production nationale ?
Au moment même où le Président Tebboune a fait du « patriotisme économique » et la «diplomatie économique» deux mesures phares de son programme économique ?
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Posté Le : 19/11/2022
Posté par : rachids