- Le Premier ministre avait établi un constat peu reluisant sur l’économie nationale, du moins dans sa partie productive. La part de l’industrie dans le PIB est passée de 18,5% en 2003 à 5,3 % en 2010. Y a-t-il, selon vous, un bilan à défendre '
C’est désormais une habitude, lorsqu’on entend un officiel parler de l’économie algérienne, on a l’impression que l’on nous parle d’un autre pays! Pourtant les statistiques sont là, malgré leur fiabilité douteuse. La part de l’industrie dans le PIB est en régression permanente, la part des exportations hors hydrocarbure est insignifiante et les indicateurs économiques et sociaux (chômage, inflation, pauvreté…) sont au rouge. Ceci dénote d’une manière claire que le gouvernement n’a aucune emprise sur la réalité. Cette situation n’est pas propre au gouvernement d’Ouyahia, elle caractérise tous les gouvernements précédents et toutes les institutions de l’Etat. Le recours à la théorie du dédoublement des structures du pouvoir en Algérie comme paradigme explicatif des contradictions de l’économie algérienne est plus que jamais fécond. L’Algérie est un pays géré par des institutions formelles, mais sans aucune autorité politique et des cénacles informels, mais avec un véritable pouvoir. Cette «anomalie», dont les origines remontent au mouvement national, a conduit petit à petit au fractionnement du corps social algérien en deux catégories ; un centre minoritaire qui contrôle la rente pétrolière et la distribue sur des critères clientélistes pour se maintenir au pouvoir, et une périphérie constituée de la majeure partie de la population, totalement marginalisée, qui verse dans l’apathie ou l’émeute. Les interactions entre le centre et la périphérie sont régulées par le niveau de la rente pétrolière. L’utilisation des ressources économiques à des fins politiques a conduit vers «la rentiérisation» de tous les secteurs d’activité. A propos de bilans, rappelons que cela fait 30 ans que le même régime politique promet la réduction de la dépendance de l’économie algérienne de la rente pétrolière. Le résultat est nul. L’économie algérienne demeure tragiquement dépendante de sa rente pétrolière. Cet indice à lui seul est à même de nous donner une idée sur non seulement le bilan que défend M. Ouyahia, mais celui d’un régime politique, «désormais uni», selon les propos du Premier ministre.
- Des contradictions flagrantes sont apparues entre les statistiques de la Banque d’Algérie et les chiffres du ministre des Finances au sujet de l’inflation, à titre d’exemple. Quelle analyse faites-vous de cette situation '
La problématique de la fiabilité des statistiques se pose avec acuité, notamment ces dernières années où, mondialisation oblige, les institutions de l’Etat font semblant de communiquer avec la société à travers les chiffres. Le manque de coordination, les animosités entre responsables peuvent expliquer en partie cette contradiction de statistiques fournies par les différentes institutions formelles de l’Etat. Mais l’explication totale demeure en rapport avec la nature de l’Etat ou le régime politique qui l’a investi. Ce dernier est animé par une dynamique obsessionnelle d’absorber tous les pouvoirs. Il est donc clair que l’inexistence d’un institut autonome de l’Exécutif pour élaborer des statistiques économiques réelles répond à une logique politique autoritaire qui refuse à la société civile le droit de construire son avenir sur les principes démocratiques.
- Pensez-vous qu’il est réalisable le projet de hisser la part de l’industrie dans le PIB à 10% en 2014 et créer une valeur ajoutée de 15 milliards de dollars grâce à ce secteur à moyen terme, tel que cela a été annoncé par Ouyahia à l’APN '
Ce genre de déclarations pompeuses rappelle étrangement les discours d’un ancien ministre de l’industrie, ex-chef de gouvernement, en l’occurrence Belaïd Abdesslam. Il n’y a qu’à revoir les estimations de ce dernier et ses réalisations concrètes pour comprendre l’écart qui caractérise les relations entre gouverneurs et gouvernés en Algérie. Pour revenir aux estimations de l’actuel Premier ministre, il est tout à fait clair pour nous qu’elles sont plus démagogiques et trompeuses que réalisables. La raison en est que les facteurs de blocage des dynamiques d’accumulation sont toujours intacts. Ils se rapportent à la nature foncièrement rentière de l’économie algérienne qui, elle-même, est produite par l’utilisation des ressources économiques comme substitut à la légitimité électorale. Ce qu’il faut à l’Algérie ce sont des réformes politiques et économiques profondes dans l’objectif de rééquilibrer les rapports d’autorité à la fois entre les différentes pouvoirs d’Etat (exécutif, législatif, judiciaires) et entre ces deniers et la société civile – liberté de la presse, libertés syndicales, en somme les libertés individuelles et collectives. Ceci nécessite naturellement de mettre fin au dédoublement des structures du pouvoir par la mise sous l’autorité civile de toutes les institutions.
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Posté Le : 02/11/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ali Titouche
Source : www.elwatan.com