Algérie

«L'économie de notre pays va subir une double peine»



? Un accord vient d'être signé par les pays membres de l'OPEP+. Quelle est votre appréciation de l'accord et de ses retombées sur le marché pétrolier 'Il s'agit d'un accord ambitieux tant par sa durée que par l'étendue des réductions de production qu'il préconise. Il met fin à la guerre des prix et écarte, pour le moment, le spectre de la saturation des capacités de stockage, qui aurait inévitablement conduit à une détérioration plus poussée du marché, voire même à des prix négatifs. On a donc évité le pire. A court terme, il devrait stopper la chute des prix et amorcer une légère reprise des cours du Brent.
A plus long terme, l'évolution dépendra de l'étendue et de la sévérité de la crise sanitaire. L'objectif initial des principaux producteurs était de rétablir l'équilibre du marché avec une réduction globale de l'ordre de 20 mmbj pour compenser la chute dramatique de la demande mondiale. L'accord convenu au sein de l'alliance OPEP+ pour une réduction de 9,7 mmbj permet donc d'éponger la moitié de l'excédent. Le déséquilibre serait plus grave si la pandémie devait s'amplifier.
? L'Algérie subit de plein fouet une crise qui risque d'être désastreuse pour le pays, du fait de sa forte dépendance aux ressources des hydrocarbures et du déclin de la production. Comment analysez-vous la situation et quel serait, selon vous, le scénario possible pour une sortie de crise '
L'économie de notre pays va en effet subir une double peine : une réduction de l'ordre de 20% de nos exportations (200 mbj environ) et de ses revenus pétroliers, avec l'effondrement du prix du pétrole et le déclin corrélatif du prix du gaz.
Les éléments d'une sortie de crise sont connus et ont fait l'objet de propositions concrètes qui n'ont malheureusement pas eu d'effets notables : sobriété au niveau de la consommation énergétique, développement accéléré des énergies renouvelables, efficacité de nos moyens de production et diversification de l'économie nationale, autant d'éléments sur lesquels doit reposer le débat annoncé sur la refondation de la politique énergétique nationale. En ce qui concerne l'OPEP, il faudrait débattre des avantages et inconvénients de notre appartenance à l'Organisation.
En qualité de membres, nous sommes de nouveau appelés à contribuer à éponger un excédent de stock global dont nous ne sommes nullement responsables. Lors de la crise de 2014, j'avais déjà évoqué l'idée d'une «sortie» de l'OPEP suite au comportement erratique de l'Arabie Saoudite.
? Les Etats-Unis, le Canada et d'autres grands producteurs mondiaux hors OPEP+ ne se sont pas engagés à participer à l'effort de réduction pour stabiliser les prix. Qu'en pensez-vous ' Cela ne va-t-il pas donner un mauvais signal au marché '
Ces producteurs en sont bien conscients. Dans leur majorité, ils refusent, en effet, de s'engager formellement sur des réductions volontaires, préférant s'en remettre aux forces du marché. Cela dit, il est tout à fait clair que sans un relèvement substantiel des cours actuels, leur production déclinera du fait de la déplétion naturelle de leurs gisements et du niveau relativement plus élevé de leur coût de production.
En définitive, le niveau de leur contribution à l'effort de stabilisation dépendra de l'évolution du marché. Aux cours actuels et selon leurs propres estimations, ils s'attendent à une baisse globale de l'ordre de 3 à 4 millions de barils/jour (mbj), dont l'essentiel concernerait le pétrole de schiste américain et les bruts lourds du Canada. La suggestion de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) d'augmenter cette contribution à travers une vente ou un transfert vers les stocks stratégiques de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pourrait quelque peu améliorer la balance.
? Les deux leaders de l'OPEP+, la Russie et l'Arabie Saoudite, ont malmené l'alliance qu'ils dirigent à travers leur désaccord et la guerre des prix qu'ils se sont déclarés, suite à l'échec de la réunion du 6 mars 2020. Ils ont par ailleurs subi de fortes pressions de la part du président américain, qui a volé au secours des producteurs de son pays, tout en laissant l'OPEP+ porter seule le fardeau des réductions. Ces indices ne sonnent-ils pas la fin de l'alliance OPEP-non-OPEP, et ne fragilisent-ils pas encore plus l'Organisation, en tant que régulateur présumé du marché '
La perte de l'influence de l'OPEP sur l'évolution du marché pétrolier a commencé bien avant cette nouvelle crise. L'effet combiné de la baisse du taux de croissance de la demande mondiale, qui s'approche inexorablement de son pic, et des progrès réalisés dans le développement des énergies renouvelables et du pétrole de schiste américain a considérablement réduit la demande en pétrole OPEP.
Pour remédier à la détérioration des fondamentaux, l'Organisation à fait appel à d'autres producteurs, notamment la Russie et le Mexique, pour donner naissance à l'alliance OPEP+ dans le cadre de l'accord d'Alger de septembre 2016. La mise en ?uvre de cet accord en janvier 2017 a montré ses limites dans la mesure où il a conduit à une baisse continue de la production de l'alliance, malgré une augmentation modérée de la demande.
L'effondrement dramatique de la demande, causé par le coronavirus et la décision intempestive de l'Arabie Saoudite de déclarer une guerre des prix dans son propre camp, a fait le reste. L'OPEP réalise aujourd'hui qu'elle n'est plus en mesure de jouer son rôle de «régulateur présumé du marché» sans l'intervention des producteurs de l'OCDE.
La réticence de ces derniers à consentir une réduction volontaire de leur production, un objectif au demeurant partagé par l'Arabie Saoudite et la Russie, démontre que cette énième guerre des prix n'aura servi à rien, si ce n'est de donner l'illusion d'un retour à terme à un marché pétrolier stabilisé.


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