La mort de Oussama Ben Laden ressemble à une fin de mission pour un
homme qui au cours d'une vie d'aventurier a plutôt rendu service à ceux qu'il
croyait combattre. Ce riche saoudien a été l'un des hommes clés du djihadisme antisoviétique en Afghanistan dans les années 1980,
au cÅ“ur des réseaux de recrutement de combattants anti-communistes, il a donné
de sa personne en participant directement à la défaite de l'armée rouge, contrainte
au départ en septembre 1989. L'aide occidentale et saoudienne aux moudjahidines musulmans – plusieurs milliards de dollars
par an – et le prestige médiatique ont transformé la piétaille de
l'anticommunisme en idéologues d'une interprétation hallucinée de l'Islam. Déçus
par le cours d'une histoire ou une fois leur but obtenu, les Américains et les
Saoudiens ont renvoyé sans plus de formes les «freedom
fighters» antisoviétiques, Ben Laden et ses
desperados, regroupés dans ce qu'il est convenu d'appeler Al Qaeda, se sont engagés dans une confrontation terroriste
contre les Etats-Unis qui a culminé dans les hyper-attentats
de New York, le 11 septembre 2001. Le spectacle d'apocalypse avait frappé
d'horreur l'opinion mondiale et fourni aux néoconservateurs
au pouvoir un prétexte à la mise en Å“uvre d'une politique belliciste dont les
premières victimes ont été les populations irakiennes et afghanes.
Explosion des
dépenses militaires
Les dépenses
militaires américaines en augmentation forte depuis la seconde moitié des
années 1990 ont connu une impulsion extraordinaire. De 15% des dépenses
publiques en 2001, la part du budget militaire a atteint plus de 21% à la fin
de la décennie, passant de 329 milliards en 2002 à 661 milliards de dollars en 2009.
De ce point de vue, Al Qaeda a directement contribué
à légitimer des dépenses financées par le déficit public des Etats-Unis, à
renforcer considérablement le complexe militaro-industriel américain et élargi
son domaine d'intervention à la sécurité, au sens le plus général du terme. Il
suffit de se remémorer les discours de G.W. Bush et ses références quasi-incantatoires
à Al Qaïda pour mesurer les services rendus aux néoconservateurs et à leur mise sous tutelle militaire de
la planète. Le terrorisme islamiste global a servi de couverture très commode
aux guerres économiques. Ben Laden avait été associé, contre l'évidence, à Saddam
Hussein pour justifier l'invasion de l'Irak. Pourtant la vérité des intentions
est admise, y compris par des républicains alliés des néoconservateurs.
«Cela m'attriste qu'il soit politiquement incorrect de reconnaître ce que
chacun sait : la guerre en Irak est largement une question de pétrole» écrivait
en 2007 Alan Greenspan, le patron de la Federal Reserve sous G.W. Bush, dans ses mémoires,
The Age of Turbulences : Adventures
in a new world (L'Age des turbulences : Aventures dans un nouveau monde).
Des acteurs
économiques d'un type particulier
Les guerres des néoconservateurs ont ouvert de nouvelles perspectives à des
acteurs économiques d'un type particulier. En Irak et en Afghanistan, la sous-traitance
de la guerre est devenue une très importante source de revenus pour des
sociétés comme Blackwater, Executive
Outcomes, Kroll, Control Risks, Olive Security, Wackenhut qui ont obtenu de juteuses parts de marchés. L'effet
Ben Laden a boosté les activités de ce secteur. Une
firme comme CACI, qui emploie près de 10 000 personnes et possède une centaine
de bureaux aux Etats-Unis et en Europe, a présenté en 2003 un chiffre
d'affaires de 840 millions de dollars, dont les deux tiers concernent des
contrats avec le Pentagone. Pour la société Titan, qui reconnaît un effectif du
même ordre, le montant des opérations au cours de la même année s'est élevé à 1,8
milliard de dollars. Kellog Brown and
Root qui avait été chargé de la logistique militaire
de l'armée américaine dans les Balkans pour un montant évalué à 2 milliards de
dollars, fournit les mêmes prestations en Afghanistan et en Irak selon des
contrats de l'ordre de 4 milliards de dollars. En 2004, les entreprises privées
en contrat de sous-traitance avec le Pentagone ont dégagé un chiffre d'affaires
astronomique de l'ordre de 100 milliards de dollars.
«L'avantage
comparatif de la supériorité militaire»
La guerre
«éternelle» contre le terrorisme a un sous-jacent économique particulièrement
significatif. Cette guerre permet à l'économie américaine en perte de vitesse
d'utiliser l'avantage comparatif premier des Etats-Unis : leur écrasante
supériorité militaire. Mais au fil du temps et des crises, Ben Laden a perdu
son statut d'épouvantail, l'effet repoussoir a fait long feu. Les révolutions
arabes ont montré, s'il en était encore besoin, que les discours nihilistes
n'ont aucune substance politique réelle dans le monde arabo-musulman.
Au désespoir apolitique des djihadistes, les
populations ont nettement opté pour la lutte politique ; le printemps des
peuples n'a strictement rien à voir avec les délires d'illuminés fabriqués par
les services secrets saoudiens. La guerre éternelle contre le terrorisme ne
paye plus ; elle est remplacée avantageusement par le droit d'ingérence pour
justifier les expéditions guerrières des marchés armés. Loin de Tora Bora et de
la dure existence de maquisard qu'on lui prêtait, Oussama
Ben Laden était «planqué», depuis des années semble-t-il, dans une résidence
forteresse dans un quartier habité par des officiers généraux de réserve de
l'armée pakistanaise. Sa retraite est terminée, Ben Laden a fait son temps : le
dernier service qu'il pouvait rendre était de disparaître, définitivement.
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Posté Le : 03/05/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Said Mekki
Source : www.lequotidien-oran.com