Algérie

L’ÉCOLE DE LA MOTIVATION Une innovation inédite (2e partie)


L’ÉCOLE DE LA MOTIVATION Une innovation inédite (2e partie)
PUBLIÉ LE 11-12-2022 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie

Par Ahmed Tessa, pédagogue-auteur
L’enfant scolarisé a un fort besoin de sécurité psychoaffective qui lui procurera cette indispensable confiance en l’institution éducative. L’amour de l’enfant pour l’école réside dans ce maître-mot : la confiance. Comment l’obtenir ? En adaptant l’école à l’enfant… et non l’inverse. Cela revient à opter pour un paradigme pédagogique qui motive l’enfant/adolescent. Lui dont la nature profonde consiste à chercher à se développer, grandir, s’épanouir et exprimer ses potentialités… en sommeil. Un nouveau paradigme qui éveillera ces potentialités et provoquera la motivation à les fructifier par soi-même, avec l’aide bienveillante de ses enseignant(es). En attendant que ce nouveau paradigme voit le jour en Algérie, peut-on contourner les contraintes imposées par le système actuel afin d’activer chez les élèves les ressorts de la motivation ?
Ici une piste explorée pour tenter de répondre à cette question. C’est une innovation inédite en Algérie.
À l’origine de cette innovation, un projet validé. Il s’agit de l’opération «Lecture/plaisir & Écriture créative» pilotée de décembre 2015 à juin 2018 au niveau du ministère de l’Education nationale. L’objectif principal était de réconcilier l’élève algérien avec la lecture : le conte pour les écoliers, la littérature jeunesse pour les collégiens et les lycéens. Trois années passées à sillonner les 10 wilayas ciblées, toutes situées à l’intérieur du pays, dans les Hauts-Plateaux et au Sud. On devait sensibiliser, encadrer, animer, évaluer. Ont été concernés une centaine d’établissements scolaires, des écoles et des collèges – tous situés dans des zones déshéritées. Au départ, on s’était posé la question de savoir si la motivation intrinsèque — sans notation, sans concurrence, mais avec des appréciations encourageantes — pouvait à elle seule suffire à motiver les élèves. Une précaution a été prise qui devait nous donner des indices quant à la validité du postulat de départ : les élèves étaient libres de participer ou non aux dix activités programmées.
Sans rentrer dans les détails de cette opération, on se contentera de son évaluation. Elle a donné des résultats encourageants ; engouement des élèves, enthousiasme des enseignants et satisfaction des administrations et des parents. Sur le plan purement pédagogique, grâce à la dizaine d’activités mises en place, les élèves en difficulté dans l’apprentissage des langues ont atteint le niveau moyen ; les élèves moyens sont devenus performants et ceux, déjà bons en langues, ont accédé à l’écriture créative (poèmes, petits contes, nouvelles, traductions d’une langue à l’autre). Comme les belles choses ont une fin, l’opération sera stoppée net. Alors qu’elle devait être généralisée sur tout le territoire national dès la rentrée 2018/19. C’est cette mise à mort qui donnera naissance à une autre innovation plus large : «l’École de la Motivation». Elle sera menée dans une école primaire de statut privé pendant trois années – de 2019 à 2022. Dans cette modeste contribution, on se contentera d’en délivrer les grandes lignes.
Afin d’installer un climat de confiance et faire sentir aux enfants cette sécurité psychoaffective sans laquelle il n’y a pas de confiance et de motivation, il a été décidé de créer une atmosphère proche de celle qu’ils vivent au sein du milieu familial. Dorénavant, l’élève n’appellera plus les adultes de l’école par Monsieur (oustedh) ou madame (oustedha), mais par «tonton» ou «tata». Les parents et les enseignants ont été sensibilisés et ont adhéré avec enthousiasme aux objectifs assignés à cette innovation : climat de confiance, aucune pression sur les élèves liée aux programmes ou lors des évaluations (compositions), activités de remédiation quotidienne et hebdomadaire, mise en place d’instruments et d’activités gérés par les élèves eux-mêmes (ceux de 3e, 4e et 5e année), voyage entre les langues, les dix activités de Lecture/plaisir & Écriture créative, autodiscipline des élèves à la cantine et lors de la collecte des déchets selon le tri sélectif, le jardin pédagogique, etc.
C’est ainsi qu’au moment où leurs camarades des autres établissements souffraient l’angoisse et la peur, les élèves de notre école passaient les épreuves de composition sans aucune pression, avec le sourire.
En salle de classe, ils n’affichent pas de compétition/concurrence pour la simple raison qu’ils n’ont pas accès aux notes chiffrées mais aux lettres (A, B, C, D). Les notes sont du ressort des enseignants et de l’administration et figureront dans les bulletins scolaires remis aux parents. Cependant, pour répondre au besoin de l’enfant de se valoriser, il lui sera, souvent, offert des appréciations positives, verbales ou écrites sur ses cahiers. Tous les élèves ouvrent droit au diplôme d’encouragement remis aux parents au cours d’une cérémonie clôturant la fête de fin d’année. La compétition saine et bienveillante, ils la rencontrent dans les séances de basket-ball, de hand-ball ou d’athlétisme. Comme motifs de satisfaction, les avis unanimes des parents qui s’étonnent de voir leur enfant pressé d’aller à l’école et, une fois à la maison, de s’adonner avec joie aux différentes activités hors programme officiel, celles qui constituent l’ossature du projet de «l’École de la Motivation». Les enseignant(es), eux/elles, savourent l’esprit de camaraderie de leurs élèves et le confort professionnel engendré par les différentes activités qu’ils jugent efficaces pour les apprentissages.
Il y a lieu de signaler que cette innovation ne déroge nullement au programme scolaire officiel arrêté par le MEN. D’aucuns diront qu’il est impossible d’innover si on doit respecter les contraintes du système scolaire actuel. Et pourtant, cela est possible : à condition de savoir les contourner et d’alléger au maximum leur impact (ces contraintes) négatif. Prenons le programme de chaque matière. En principe, les enseignants sont sommés par la tutelle de les boucler coûte que coûte. À «l’École de la Motivation», le savoir-lire un programme, compétence indispensable à tout enseignant, fera l’objet de quelques séances de formation. Munis de cette compétence et des techniques à utiliser, ils ont pu gérer le temps et assurer une progression calquée sur le niveau de l’élève moyen. Les difficultés des épreuves d’évaluation sont graduées afin de permettre aux élèves en difficulté de ne pas perdre pied. Tares du système bureaucratisé et inégalitaire, le parcœurisme de l’élève et le bachotage chez l’enseignant sont inconnus des élèves. Ils ont à leur disposition deux cahiers spécifiques qui leur servent d’outils de gestion de leurs apprentissages. Ils s’auto-évaluent et jouent au rôle de l’enseignant avec leurs camarades au cours de séances questions/réponses qui clôturent la fin de chaque journée. Chacun a choisi une matière et prépare, à la maison, deux ou trois questions qu’il soumet à ses camarades. C’est lui qui délivre la mention «Bravo» ou «Qui peut répondre?». Cette forme ludique permet de réviser de façon efficace. Un enseignant s’est même étonné de trouver chez ses élèves des questions qu’il a préparées pour les devoirs ou les compositions. Et les enfants en raffolent. Confectionné périodiquement et librement par les élèves, le journal mural reçoit les photos et reportages rédigés par les élèves suite aux sorties pédagogiques. La seule intervention de l’enseignant est de corriger les éventuelles erreurs.
En tant que projet éducatif, «l’École de la Motivation» valide l’hypothèse de départ : l’enfant algérien n’est pas hostile aux études, il est doué comme tous les enfants du monde. Une remarque de taille : la convivialité ambiante et l’absence de sanctions négatives n’ont en rien altéré la motivation des enfants. Les ressorts psychoaffectifs de la motivation sont sans cesse relancés, sollicitant l’intelligence émotionnelle des élèves et la développant. Cette forme d’intelligence est totalement ignorée dans le paradigme des systèmes scolaires bureaucratisés/inégalitaires. Or, nous savons que, dans le cerveau de l’enfant, l’affect et l’intellect sont en interaction permanente. Peut-on développer l’intelligence générale de nos enfants/adolescents sans stimuler son intelligence émotionnelle ? Pas sûr !
Les contraintes rédactionnelles ne nous ont pas permis de détailler ce projet éducatif, mais ces grandes lignes ainsi exposées suffisent à dire que l’école/corvée doit céder la place à l’école de l’épanouissement… de nos enfants. Et c’est possible si on se décide à faire disparaître tous les écueils qui empêchent cet épanouissement… salvateur, pour eux et pour notre cher pays.
A. T.

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