Anciennement
appelée «Ecole de filles», l'école « Ibn Khaldoun » de Bou Saâda était, en ce
vendredi 11 juin 2010, le théâtre d'une liesse infanto-juvénile. L'association
« Aissa Bisker » pour la promotion de la culture de l'enfant, y organisait
comme à l'accoutumée sa fête annuelle célébrant, conjointement, la journée
internationale de l'enfance (1 juin) et la journée de l'enfant africain (16
juin). Massif et imposant, ce sanctuaire du Savoir à deux niveaux accroche le
regard par une architecture assez particulière. Ses brise-soleil alvéolaires en
brique pleine protègent ses larges fenêtres de l'intense réverbération solaire.
Crépie au gros pisé à chaux, elle ne présente aucune arrête angulaire ; tout en
souplesse, les arrondis, les poutres en bois saillantes et les colonnes
couvertes d'écorce de palmiers, désarçonnent par leur irruption dans l'espace.
Le minaret sur la terrasse n'est pas sans
rappeler ces vieilles cités afro-musulmanes de Tombouctou. Elle disposait, à
l'époque coloniale, de deux entrées ; celle du préau d'un degré supérieur et
celle du bas, généreusement ensoleillée. Elles menaient, chacune, à une cour de
récréation, reliées entres elles en dégradé par une étroite coursive. De
mémoire d'écolière indigène, ces cours étaient destinées chacune à une
communauté bien distincte : la communauté européenne, notamment juive et la
communauté dite franco-musulmane.
Dallées de pierre, elles sont entourées de
préaux à arceaux couvrant les classes. Cela suppose que l'élève circulait
confortablement abrité, été comme hiver. Une grande salle, destinée
probablement aux travaux pratiques, pouvait servir de salle d'exposition et de
salle de projection.
L'épaisseur des murs renseigne quelque peu
sur le souci architectural de l'époque. Celui de réduire les aléas climatiques,
par la seule utilisation des matériaux locaux ; tels que la chaux et le bois de
genévrier. A l'entrée inférieure, une petite plaque restitue le nom du maître
de l'Å“uvre et l'année de réalisation de l'ouvrage. L'école de filles ouvrait
ses portes à la rentrée scolaire 1935/36.
Il est 16h 30, les premiers invités affluent
déjà dans la cour supérieure et remplissent, peu à peu, les rangées de chaises.
La scène, richement décorée de guirlandes et d'un panneau peint à la main,
plantait le décor. Une coulisse, cachée à la vue par des tentures, servira de
loges aux petites vedettes du moment. Une musique de fond donnait un avant-goût
sur l'événement festif.
La morosité qui a gagné tous les espaces de
convivialité, semble peu à peu se dissiper sous l'initiative d'un tissu associatif
naissant. Souvent heureuses, ces initiatives tentent, vaille que vaille, de
réintroduire le loisir récréatif dans les mÅ“urs.
L'acte culturel, qui ne peut être du seul
fait d'une administration qui s'est mêlée les pinceaux, entre la gestion bureaucratique
de la création artistique et le suivi des chantiers de construction, est devenu
peu ou prou une aspiration, tout autant que le plus prosaïque des besoins
végétatifs. Les ancêtres, dont l'instruction en stricto sensu ne pouvait être
que parcellaire, n'en cultivaient pas moins, le sens du partage par des
regroupements festifs épisodiques appelés « ziara ». C'était des processions à
visée maraboutique, où la bonne table couscoussière, les envolées poétiques de
chantres bédouins et la complainte nostalgique de la « gasba » faisaient
l'essentiel. La période de déroulement correspondait, généralement, au terme
d'une féconde moisson où le négoce n'en était pas exclu.
Les alliances maritales se pré-nouaient en
ces lieux. Espace privilégié de communication entre de multiples fractions
tribales, il en était aussi le lien culturel qui cimentait les structures
d'appartenance identitaire. Les temps, bien qu'ayant décidément changé, n'ont
entamé en rien ce besoin de convivialité affective et cette joie de se réapproprier
les antécédents généalogiques.
A la prise de parole de Djamel Bisker,
l'initiateur de la fondation culturelle, la cour était déjà comble. Les hommes
ont, maintenant, reculé devant la poussée des jeunes filles et des femmes
venues en nombre. D'anciennes élèves, probables aïeules d'une nombreuse
descendance, faisaient assurément leur pèlerinage sacerdotal. Des jeunes mères,
venues admirer leur progéniture, comédienne ou chanteuse en herbe, devaient
ressentir un ineffable bonheur devant les acquis de leurs propres enfants.
Elles, qui n'ont certainement pas eu cette chance, doivent en tirer une
légitime fierté.
Nourredine Labadi,
directeur du centre culturel Aissa Bisker, a quant à lui déroulé le programme
pour l'auditoire. Il rappelle, entre autres, que cette édition est dédiée à la
mémoire de Mohamed Bouti, plus connu sous le nom de Monsieur Bensaci. Ancien
normalien de Bouzarèa et camarade de promotion de Mouloud Féraoun, il lui est
reconnu le sens aigu de la pédagogie. Il aura consacré à la petite enfance, une
bonne partie de sa vie professionnelle qui a duré de 1935 à 1973. De maître
d'école à Maginot (Chellalet El Adhaoura) en 1935 et après plusieurs
affectations autour de Bou Saada, il est nommé directeur en 1960 à l'école de
Zouaoua (Chéraga) où il encadrait 3 instituteurs d'obédience ultra. Il était le
relais de l'organisation politico-administrative (OPA) locale ; le mot de passe
convenu en était : « encrier ». Son militantisme pour la cause nationale
remonterait à sa prime jeunesse. En dépit de son statut de fonctionnaire devant
soumission et obéissance à l'administration coloniale, ceci ne l'empêchait pas
de dire son mot.
On rapporte qu'un jour en devisant avec ses
collègues français, dans la cour de récréation de l'école Chalon en 1956, il
entendit son directeur dire avec jubilation : « A la bonne heure, on vient
d'apprendre que l'adjudant a été arrêté ! ». Il faisait allusion à
l'arraisonnement de l'avion marocain transportant Ben Bella et ses compagnons
vers Tunis. Sans se contrôler, M. Bensaci, le regard par-dessus sa monture de
lunettes, lui rétorquait par cette mémorable et cinglante réplique : « Pardon
M. le directeur, Hitler n'était-il pas, lui même, caporal ? ».
Il termine sa brillante carrière comme chef
d'établissement en 1973 au Climat de France où son école enregistrait les
meilleurs résultats scolaires. Il s'éteignait le 12 décembre 2003 à l'âge de 90
ans. Son Å“uvre s'est particulièrement singularisée par la prise en charge des
classes d'initiation, tâche qu'il était difficile d'assumer dans une langue qui
plus est, n'était pas la langue maternelle des apprenants. Le portrait du
disparu, réalisé par l'artiste peintre-enseignant Toufik Lebcir, laissa les
propres enfants du défunt sans voix. La restitution, criante de vérité,
laissait ceux qui l'ont côtoyé pantois. L'hommage était aussi rendu par le
pinceau, à la défunte Ahlem Bensiradj, ravie aux siens à la fleur de l'âge.
Elle eut la lourde charge de mettre sur rail, l'institution Bisker qu'elle
dirigea l'espace d'un matin. Bravo, l'artiste ! L'atelier de peinture que
dirige le même artiste a, à l'occasion, dressé des chevalets à même la scène.
Les jeunes, Maroua et Mohamed, jouèrent du pinceau et de la palette tout au
long du spectacle.
Dzib Messaouda faisait
ses classes entre 1931 et 1938. Elle dit qu'en dépit de l'obtention de son
certificat d'études primaires, elle fut dirigée sur le centre d'enseignement
technique, où l'on dispensait l'apprentissage de la cuisine, du tissage et de
la… buanderie. Oum Ennoun est cette ancienne élève présente à la cérémonie,
dont la copie du certificat d'études primaires était arborée comme un trophée
de guerre. Elle l'obtenait à la cession de juin de l'an de grâce 1948.
Inimaginable, pour des filles dont l'origine indigène ne faisait aucun doute
sur le conservatisme ethnico-religieux prégnant. Après le cérémonial
d'ouverture, la fête pouvait débuter pour calmer le piaffement d'impatience des
bambins.
Les fillettes en tenue d'apparat, portant sur
leurs joues fardées de petits cÅ“urs rouge-carmin, se pavanaient pour exhiber
leurs « toilettes » et leurs chignons torsadés. Younès, en costume trois pièces
gris anthracite, imitant inconsciemment Karim Boussalem du JT et sa sÅ“ur Mériem
ouvraient le bal en enfilant le rôle de maîtres de cérémonie. Agés de 13 à 14
ans à peine, ils auront la lourde charge d'assurer la présentation du
programme, l'un en arabe et l'autre en français ou en anglais, qui durera un
peu plus de deux heures. La chorale, exclusivement féminine et vêtue des
costumes du monde, dont celui de l'Indien peau-rouge, chantera les « Enfants de
la terre » où le bilinguisme est savamment instrumentalisé. Cet hymne chante
les vertus de la science et rappelle la fameuse sentence « Science sans
conscience n'est que ruine de l'âme ». Enchaînant avec « Shams El Atfal » de la diva
arabe Fairouz, la chorale accompagnée musicalement par Djamel Chérif, musicien
et enseignant d'art lyrique, perlait son tour de chant par : « We need
éducation » (Nous avons besoin d'éducation) et « We are the world » (Nous
sommes le monde). L'assistance ne pouvait être que saisie, par la maîtrise du
verbe et la clarté des voix cristallines. L'intermède musical permit à Naila,
Fifi, Ziad et Madani d'exécuter sur clavier électrique des morceaux de musique
universelle sur partition.
Le sketch, exécuté
en langue française par un duo mixte,
ajoutait une note de gaîté par le rire. La chorale revint ensuite avec une
opérette intitulée : L'enfant, son environnement et ses droits. Le clou de la
soirée fut sans doute « Les femmes savantes » du répertoire théâtral universel.
Meftah Bachir, en choisissant cette Å“uvre de Molière, ne faisait pas dans la
facilité. Il venait de prouver, une fois encore, que l'enfant est ce
réceptacle, immensément vierge, capable d'assimiler aussi bien la connaissance
linguistique, que la maîtrise artistique, par la déclamation et la gestuelle.
L'acte 3 de la scène 3 de cette immense Å“uvre
du quatrième art a fait admettre que des enfants, issus de diverses couches
sociales, pouvaient, moyennant une attention particulière, créer l'illusion
artistique. Filaminte-Lina, Bélise-Amira, Trissotin-Zahra, Henriette-Ghania et
Vadius-Imène, habillées de costumes d'époque chatoyants, ont fait oublier à
l'assistance qu'ils ne s'agissait, en fin de compte, que de ses propres
enfants. Le leurre était presque surréaliste. Le petit Mansour, pas plus haut
que trois pommes, lisait avec brio le poème de Boualem Bensayah, consacré aux «
Djamila » de ce pays. Dans le registre du chant religieux, le prodige petit
Belkacem, entouré de la chorale, entonna « Khiwani ya khiwani » du terroir, ce
qui mit le feu aux poudres.
Les youyous qui
fusaient de l'assistance féminine, couvraient par l'intensité les décibels des
puissantes baffles de sonorisation. La chorale donnait par « Salma ya Salama »,
rendez-vous à l'année prochaine. Qui a dit que les enfants et les adolescents
ne savaient pas y faire ? Cette oasis de bonheur, plantée en plein désert
culturel, n'aurait pas été, sans le don de soi de personnes qui ont fait de
l'acte d'instruire, un sacerdoce. Il s'agit de Mmes Boutaiba, Dissi, Mekerkeb
et MM. Badri et Brahimi.
Dans la salle d'exposition, des albums photo,
déroulant plusieurs générations d'élèves et d'instituteurs et la projection
d'un dessin animé, réalisé par Lebcir sur l'environnement, clôturaient
l'événement.
A l'instar des bardes antéislamiques de
Okkadh, le poète populaire Abdelghafar, juché sur une chaise, déclamait une
épître à la gloire de Hadj Kouider Bisker et de sa descendance. Il rappelait,
par la rime, les étapes séquentielles de la vie de cet illustre aïeul,
notamment son périple vers le Machrek. Accompagné de Hadj M'hamed son cousin,
ils rendaient, tous deux, visite à l'Emir dans son exil syrien. Une solide
amitié les liait à Abdelkader El Djazairi, bien avant l'occupation coloniale du
pays.
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Posté Le : 17/06/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Farouk Zahi
Source : www.lequotidien-oran.com