Algérie

L'éclat du passé pour oublier la grisaille du présent



L'éclat du passé pour oublier la grisaille du présent
Printemps 1930. Une photo en noir et blanc illustrant la rue Dumont D'Urville (Rue Abane Ramdane-Alger). Un joli kiosque s'y tient fièrement.Un tramway creuse un sillon sur le macadam. Quelques silhouettes déambulent entre les arbres bien taillés. Automne 2014. Non loin de la Grande Poste d'Alger, devant un commerçant proposant d'anciennes photos et cartes postales d'Algérie, deux étudiantes ne peuvent s'empêcher d'esquisser un sourire en scrutant les détails du cliché. En fouillant encore dans la collection de photos, elles s'arrêtent sur celle du président Boumediene, au pouvoir du temps où les deux jeunes filles n'étaient pas encore nées. «Il paraît que c'était la belle époque. Nous sommes nées dans les années 90', tout ce qu'on sait de l'Algérie c'est le terrorisme, l'incivisme et la misère», dit Maïssa, jolie brune aux yeux brillants. Cet air de mélancolie traverse aussi les réseaux sociaux. Les pages consacrées aux photos et aux cartes postales anciennes sont légion sur Facebook. Et aux internautes, qui aiment à se balader dans le passé, de s'exclamer : «C'était tellement propre» ; «Je donnerai tout pour vivre ces années-là» ; «La différence est immense...»Nostalgie de la lumièreCet espace, nous explique le créateur de la page «Alger dans les années 70'», a été créé pour «sensibiliser les internautes, leur montrer qu'autrefois on vivait mieux et que l'Algérie avait plus de valeur à l'étranger.» «Aujourd'hui, dit-il, je suis trop triste et je suis même très déçu.» Dans la même veine, Hacène, qui gère la page «Alger à une certaine époque», se dit fasciné par «le charme de la ville d'Alger, celle que j'ai connue à la fin des années 70' et 80' avec le respect, la ??horma'', la quiétude, la joie de vivre, les femmes en haïk, les hommes en bleu Shanghai, la plus belle époque qu'a connue l'Algérie».L'archéologue des images qui sévit sous le nom «Rabnass Archives Algérie» ? ayant diffusé plusieurs pépites sur Youtube ?, tient un discours bien plus teinté : «Ce sont deux époques différentes avec chacune ses problèmes et ses moments forts. Ce n'est pas du tout le but de cette chaîne de comparer. Les gens sont libres de le faire s'ils veulent.»Celui qui collectionne les vidéos et les photos d'archives depuis trente ans considère que «la nostalgie est un sentiment subjectif de quelque chose que l'on a déjà vécu.Or, une partie de la génération des Algériens de l'époque coloniale n'est plus et l'autre partie n'a pas accès au Net. Cet engouement est dû, à mon avis, au fait que pour les Algériens le passé colonial et lié tout de suite avec les images de la guerre de libération. Beaucoup ignorent que notre passé ne se limite pas à la Révolution de 1954 avec les images de la guerre. Il y avait autre chose aussi. Les gens vivaient, fêtaient des mariages, allaient au cinéma, à la plage ou au théâtre. Il y avait une vie culturelle, sportive et artistique. Mahieddine Bachtarzi, Maâlma Yamna, El Anka, Hadj M'rizek avait bien un public. C'est ce côté de l'histoire de notre pays dont les médias lourds (TV et radio) ont complètement occulté que je voulais montrer.» Hassene Zerkine, grand collectionneur de cartes postales anciennes, dont la fille gère une page sur Facebook, souligne qu'à l'origine sa collection visait à préserver les traces iconographiques de l'Algérie.«Lorsque j'ai commencé la collection il y a quarante ans, je n'avais pas d'autres préjugés et j'étais loin des questions que se posent maintenant les jeunes Algériens», explique-t-il. Et de poursuivre : «A lire les commentaires des internautes, nous retenons la classique nostalgie du passé avec, pour nous, l'intervention de la situation dégradée de l'environnement et de l'insalubrité qui règne dans l'Algérie indépendante. La nostalgie serait celle de l'ordre et de la propreté coloniaux imprégnés de mythes et de la propagande de l'époque qui rendait Wahran ??Bahia'' et Annaba ??Coquette''.»Hassene Zerkine s'étonne du fait que les jeunes Algériens en viennent à «idéaliser» la période coloniale dépassant le but des photographes de la colonisation qui avaient pour objectif de mettre en avant le progrès et la civilisation apportés par la France.«Le constat fait, nuance-t-il, ils remarquent l'état miséreux de la majorité de leurs parents. Ils n'ont aucun engouement pour cette période d'exclusion. Plaignant leurs aînés, ils constatent que malgré tout ces derniers restaient dignes. Ils voient en eux les libérateurs du pays dont ils sont fiers et qu'ils remercient».Le goût de la rouilleHistorienne de formation, Mira Gacem Babaci, responsable de publication du site électronique «Babzman», voit dans cet engouement pour les images anciennes une «quête identitaire» liée, d'après elle, au fait que l'Algérie connaît une période relativement «stable et tranquille». «C'est un intérêt nouveau. On a toujours l'impression que le passé était meilleur, qu'on pouvait y faire plus de choses. Il est des périodes dans lesquelles les jeunes ont l'impression que tout est possible. Et il y a cette la volonté d'être acteur plutôt que spectateur.»Pour beaucoup, ces photos permettent de s'évader d'un présent qui deviendrait, selon eux, oppressant.«La décadence, soupire un internaute, c'est à travers la tenue vestimentaire que je la constate le mieux. Regardez ces jeunes dames sans hijab, djelbab où je ne sais quel autre accoutrement elles utilisent de nos jours». C'est pourtant en haïk que des jeunes filles ont voulu fêter le 1er Novembre dans les rues de la capitale.Dans ce musée numérique, il est possible d'admirer aussi bien des femmes algériennes au port altier portant bijoux et seroual que les produits achalandés dans les anciens souks El Fellah. «Je me rappelle fort bien de ce jus, c'est la rouille qui lui donnait un si bon goût», lance un internaute, rappelant les pénuries et les interminables files d'attente. Et aux représentants d'une génération en quête de mythes et de légendes de répondre : «C'était le bon vieux temps !»




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