Algérie

L'échiquier politique tunisien face aux urnes Aujourd'hui se tient l'élection de l'Assemblée constituante



L'échiquier politique tunisien face aux urnes                                    Aujourd'hui se tient l'élection de l'Assemblée constituante
La soirée du dépouillement des urnes, ce dimanche, risque de se prolonger très tard. La première élection libre en Tunisie sera en effet d'autant plus fastidieuse que le nombre de candidats, qui se sont lancés dans la course, s'élève à 10 000 dont la moitié sont des femmes, répartis sur pas moins de 1600 listes électorales.
Tunis.
De notre envoyé spécial
Tel est d'emblée l'un des enjeux auquel l'administration chargée d'organiser ce scrutin, à savoir l'Instance supérieure indépendante pour les élections (ISIE), que préside le droit de l'hommiste Kamel Djdendoubi, devra être confrontée au soir du vote. Tout le monde se demande comment seront les premières élections démocratiques dans le premier pays arabe de la révolution qui a eu raison de sa dictature. Tant et si bien que les organisateurs, eux-mêmes, peinent à cacher leurs appréhensions par rapport à la complexité de l'opération. Le succès de la consultation électorale repose, en tous cas, en bonne partie sur la clarté et la facilité à porter son choix à l'heure des urnes. «Le bulletin de vote aura la taille d'un journal dans lequel il y aura des dizaines de listes ' pas moins de 40 sur un bulletin- où l'électeur doit choisir le nom des listes mais pas le nom des personnes, ça va être difficile», commente Ayachi Hammami, avocat et militant politique, membre de la célèbre haute instance chargé d'atteindre les objectifs de la révolution présidée par Ayad Ben Achour, et qui a clôturé sa mission le 14 octobre dernier.
Nombreux sont ceux qui, effectivement, ont émis les craintes d'une mauvaise surprise le jour «J», en raison de la situation compliquée de ce vote qui va élire une Assemblée constituante de 217 sièges à travers 33 circonscriptions, dont 6 à l'étranger. La plus petite circonscription comporterait quatre candidats.
Mais Kamel Djendoubi, président de l'ISIE, lui, ne l'entend pas de cette oreille. «Nous avons fourni des efforts pour émettre un bulletin qui soit très présentable, plus visible. Chaque liste a un numéro, et chaque liste a un sigle et, donc, ne serait-ce que par le fait du numéro et du sigle, ce sont deux facteurs qui peuvent faciliter le choix», explique-t-il. Soit. Optimiste, lui en tous cas table sur un taux de participation aux élections de pas moins de 60%. Il reste néanmoins difficile de pronostiquer de l'affluence des électeurs pour au moins une seule raison, en dépit de l'enthousiasme provoqué par l'élan de la révolution. La campagne électorale a été quasiment absente dans la rue.
Le nombre des partis créés explose
A Tunis, jusqu'aux derniers jours, il n'y avait très peu d'images de campagne, à l'exception des quelques affiches des candidats placardées sur les espaces de publicité réservés sur des murs plutôt dégarnis. Seul remontant, un fait aussi inattendu que surprenant d'ailleurs, le film franco-iranien Persépolis, qui a défrayé la chronique, et les deux grandes manifestations de rue, successivement salafistes-islamistes et démocrates. Ces événements, à eux trois, ont eu comme effet de sortir l'ambiance de sa torpeur. Mais aussi et surtout de polariser les identités politiques. Le résultat, même s'il n'est pas évident, semble avoir permis d'appuyer sur les traits de démarcation globalement de deux camps politiques, les islamistes d'un côté et les démocrates de l'autre, si on peu les dénommer ainsi. Pourtant, dans un paysage politique aussi large que celui qui renferme 112 partis politiques, l'observation peut paraître superflue.
Le nombre de partis créés dépasse tout entendement. Une anarchie ' Les avis différent même s'ils doivent être presque aussi pertinents les uns que les autres. Certains voient là une liberté de faire de la politique que personne ne peut et ne doit contester. A l'image d'ailleurs de l'actuel ministre de l'Intérieur qui, s'exprimant dans l'hebdomadaire arabophone tunisien Arabia, Al Azhar Al Akroumi, considère que «c'est un phénomène naturel». Le ministre voit dans cette multiplication des partis, l'expression de la volonté des militants de la révolution du 14 janvier à se donner une chance pour se tester dans l'aventure politique, avant de souligner que personne ne peut priver ces gens de leur droit. Sauf, que tout le monde ne pense pas la même chose sur cette question. La méfiance est là aussi au rendez-vous. D'aucuns y voient carrément un élément qui pourrait parasiter cette élection ne serait-ce que parce que l'électeur n'y comprendra rien du tout, vu le nombre astronomique de petits partis inconnus.
Les candidats indépendants : qui sont-ils '
Mais en réalité, tous les partis ne se sont pas engagés dans la course, faute de moyen. En effet, seuls 45 partis, sur un total de 112, ont pu être au rendez-vous au moins avec une liste. Le reste est disqualifié de la compétition. Les candidats indépendants restent, par ailleurs, une des grandes spécificités. Ces derniers sont d'un poids appréciable puisqu'ils représentent quelque 40% de l'ensemble des listes. Près donc de la moitié des candidats n'ont pas choisi des partis politiques. Ainsi, Il s'agit là d'une équation à plusieurs inconnues que les moins optimistes considèrent à peine comme une sorte de piège pour façonner la prochaine première Assemblée constituante de la Tunisie. Du monde arabe aussi. D'autres au contraire, décèlent une volonté de représenter largement les différentes sensibilités politiques au sein de la future Assemblée. C'est l'avis même de Ayachi Hammami, membre de l'instance de Ben Achour, qui nous a expliqué que le choix du mode scrutin du 23 octobre s'est effectué en fonction de cet objectif, d'assurer une base sociale la plus large possible pour une représentation nationale au sein de l'Assemblée constituante. Le mode de «scrutin de listes à un tour et à la proportionnelle avec le plus fort reste» paraît être, selon lui, la recette qui sied aux résultats escomptés.
Mais grosso modo, le paysage politique tunisien n'a pas vraiment changé depuis la révolution. Ceux qui occupaient déjà la scène, notamment l'opposition, sont eux qui sont les plus en vue actuellement. La famille de l'opposition de l'ère Ben Ali est à scinder en deux catégories, puisqu'il y avait d'un côté l'opposition légale et la position illégale, celle non reconnue et interdite d'activité. La première se matérialise par le Parti démocratique progressiste (PDP) de Nadjib Chebbi, et dont la SG est Maya Jribi, Attakatol de Mustapha Ben Jaâfer et Attajdid (ex-parti communiste ayant eu 6 députés). Ces trois partis étaient les vrais opposants de Ben Ali. La seconde, la plus radicale, clandestine, était le Congrès pour la république (CPR) de Moncef El Merzouki, Ennahda de Ghannouchi, le Parti communiste des travailleurs tunisiens (PCOT) de Hamma Hammami et le Watad. Ces partis interdits d'activité, sous la dictature, avaient par contre tous investi l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT). Le dynamisme de cette organisation, dont l'engagement n'est plus à montrer depuis notamment le rôle précurseur qu'elle a joué durant la révolution, doit beaucoup à ces quatre partis. Par ailleurs, le PDM (Pole démocratique moderniste ) est le seul parti à avoir respecté la parité entre les candidats tête de listes (16 femmes et 17 hommes).
Mais le foisonnement des ces formations ne s'explique pas, loin s'en faut, par l'enthousiasme suscité par l'ouverture du champ politique et la parole retrouvée. D'abord, d'anciens partis sous le régime Ben Ali tentent, eux aussi, de se maintenir en orbite. L'opposition-maison. Des observateurs avertis de la scène politique tunisienne rangent dans cette catégorie le Mouvement des démocrates sociaux (MDS), l'UDU (Union démocratique unioniste), le Parti socialiste libéral (PSL), le Parti vert tunisien (PVT) et le parti de l'Unité populaire. Ceux-là sont considérés comme ayant évolué dans le giron du pouvoir. Reste ensuite, d'anciens responsables dans le parti dissous, l'ex-RCD, qui ont lancé leurs propres partis. Il s'agit ainsi de Al Watan, dont le SG Med Jegham était ministre de l'Intérieur du temps de Ben Ali. El Moubadara, Kamel El Mourdjane, ex-ministre des Affaires étrangères. Ces deux derniers sont cependant inéligibles compte tenu de la loi électorale qui interdit à ceux qui ont occupé des postes de responsabilité durant les 23 ans du règne de Ben Ali de se présenter à l'élection du 23 octobre. Ministres et députés sont ainsi tous exclus de candidature à ce scrutin.
Entre les modérés et ceux qui demandent des comptes
Il y a enfin les listes des indépendants. Qui sont-ils en définitive ' Leur poids est tel qu'il est à se demander d'où viennent-ils et surtout quelle est leur couleur politique. Selon Mourad Sellami, journaliste politique au Quotidien, parmi les listes les plus connues, on enregistre les Abdelfatouch et les Mouru. Très connu, ce dernier est un cofondateur avec Ghannouchi du parti Ennahda. Il dispose à lui seul d'une vingtaine de listes. Islamiste modéré, son différend avec Ghanouchi est la raison qui l'a poussé à présenter des listes de candidats indépendants. Un autre parti islamiste, l'Alliance nationale pour la paix et la prospérité (APP) de Skander Rekik a 2 listes indépendantes. Et Doustourna, une liste d'intellectuels de couleur libérale démocrates dispose, lui, de 14 à 15 listes. Voilà en tout l'ensemble des acteurs politiques qui vont peser de leur poids électoral à l'issue du vote ce soir. La constituante va élire le président de l'Assemblée et deux assesseurs. Après on élira le président de la République qui, lui, nommera le Premier ministre.
Les observateurs tunisiens évoquent plusieurs noms de personnalités comme candidats potentiels à la magistrature suprême. Des noms comme ceux de Nadjib Chebbi du PDP, de l'actuel premier ministre Nejib Caïd Essebsi, de Ayad Ben Achour de la Haute instance chargé de réaliser les objectifs de la révolution, de Monecf El Merzouki du Congrès pour la république et de Mustapha Ben Jaffer de Attakatol.
Mais, pour l'instant, tout le monde garde les yeux braqués sur Ennahda qui, selon les observateurs, est à priori la première force politique du pays. Son leader, Rached Ghannouchi, s'exprimant dans les colonnes d'El Watan, n'en pense pas moins. Ses plus proches collaborateurs, eux, s'attendent surtout à un raz-de-marée. Le dernier sondage effectué mais dont il convient de dire que les Tunisiens n'en tiennent pas compte vraiment, crédite Ennahda de 22% des suffrages, suivi par le PDP 15%, Attakatol 14%, le PDM 12% et le CPR 8%. Ces résultats, faut-il le signaler, en privé, sont rejetés du revers de la main par de hauts responsables du parti qui, pourtant, est présenté comme le grand gagnant. Ennahda est-il dans l'état de dominer la future Assemblée constituante qui aura la charge d'élire le premier président de la République de la Tunisie démocratique et l'élaboration de la loi fondamentale du pays ' Ayachi Hammami fait remarquer que le mode du scrutin choisi «est une technique qui ne permet pas à un parti qui a le plus de voix d'avoir la majorité». Autrement dit, aucun parti ne pourra, à lui seul, régner sur l'Assemblée. «Par exemple, si un parti bénéficie de 60% de voix ,a-t-il expliqué, il ne pourra avoir pourtant qu'environ 30% de sièges à l'Assemblée. On a discuté les différents modes de scrutin, celui qui est choisi est un mode spécial pour la constituante. Celle-ci sera diversifiée».
Mais tout ce dynamisme des partis ne s'exprime pas dans une seule symphonie. Le ton n'est pas forcément le même chez tout le monde. On peut considérer qu'il y a d'abord ceux qui sont plus ou moins d'accord sur la mise en mouvement du processus électoral et la conduite des premiers pas de la transition démocratique, à l'instar du PDP et du PDM. Et puis il y a ceux qui comme le CPR, le forum Attakatol, El Watad et le POCT qui, eux, font monter les enchères en considérant qu'il faut aller plus avant dans le processus révolutionnaire, c'est-à-dire en mettant en branle ce qu'ils appellent par «la justice transitionnelle». Le PCR de Moncef El Merzouki, pour ne pas le nommer, considère, lui, qu'il faut des poursuites judiciaires de tous les coupables de la période Ben Ali. Il s'agit là de l'aile dure de la scène politique.
Et il y a la troisième tendance, le silence de Ennahda. Mais serait-ce là la plus dure de tous ' La question reste entièrement posée tant le parti Ennahda a perdu toute spontanéité.


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