Algérie

L'aventure de l'alfa



L'aventure de l'alfa
Pour cueillir l'alfa, l'aventure est sérieuse; elle conduit au-delà des hautes plaines du Sud, en pays de transhumance et de steppes. L'alfa recouvre quatre millions d'hectares en Afrique du Nord. Plus de la moitié de ces étendues sont en Algérie, particulièrement dans la province d'Oran. A l'origine de l'alfa, deux hommes. L'un est Anglais. C'est un manufacturier curieux qui fait en 1862 un voyage d'études en Algérie. On lui montre quelques feuilles d'alfa qu'il ramène dans son pays et fait étudier. Il a eu du flair. L'alfa a toutes les qualités pour entrer dans la fabrication de la meilleure pâte à papier. Dès l'année suivante, son exploitation est commencée. Le manufacturier anglais est entré en relation avec un important propriétaire à la tête des 25000 hectares des domaines de l'Habra et de la Macta, Débrousse. Celui-ci a aussitôt demandé et obtenu une concession de plus de 300000 hectares dans le Sud-Oranais, pour exploiter l'alfa. C'est un homme imaginatif et entreprenant qui voit vite le profit que peut tirer la colonie de cette manne à l'exportation.

Mais l'Oranie doit être pourvue d'un grand port, qui reste à trouver. Oran n'a jamais été un port. Jusqu'à la conquête française, toutes les opérations maritimes s'effectuaient par Mers-el-Kébir. Il existait seulement une jetée de quarante mètres de long, construite un siècle auparavant. Peut-être dans un but stratégique, au cas où Oran se trouverait isolée de Mers-el-Kébir. Si bien que débarquant là, on doit gagner Oran par la route. Quant aux marchandises, dont le transport n'est pas ainsi facilité, elles sont amenées sur des barques ou des chalands. La plage d'Oran est toujours fort encombrée. En fait, on a entrepris depuis 1854 d'importants travaux pour doter la ville d'un port. Ce qu'on appellera cent ans plus tard le vieux port. Il est même, assez malencontreusement, inauguré le 2 juillet 1864 par le paquebot-poste "La Tamise", des Messageries Maritimes, venant de Marseille. Malencontreusement parce que, aussitôt entré dans le port, "La Tamise" a dû en repartir, et rejoindre Mers-el-Kébir. On avait oublié les bouées d'amarrage. Et c'est vingt-deux jours plus tard, cette lacune ayant été comblée, que le "Seine" inaugurera l'escale définitive d'Oran. Mais Débrousse veut son port à lui. Dans un site, il est vrai, privilégié, celui d'Arzew.

Arzew est un petit bourg créé en 1845 et devenu commune de plein exercice en 1856. La garnison qui est sur son territoire depuis 1833, les nombreux centres de colonisation fondés aux environs en 1848, contribuent à sa prospérité. Et surtout, Arzew offre un merveilleux abri naturel placé au débouché des riches plaines de l'Habra, de la Mina, et du Sig. Sa rade est une des meilleures d'Algérie. Que la population d'Arzew se fasse son tremplin politique, et la voix de Debrousse portera loin et fort. Un grand avenir pour leur ville est assuré. Il a sans doute raison. Mais, dans un contexte d'histoires de clocher, les habitants d'Arzew ne soutiennent pas ses ambitions politiques. Ulcéré, à la tête d'un empire trop grand pour lui, et auquel il n'a peut-être plus envie de croire, il cède tout. Les domaines de l'Habra et de la Macta, les concessions d'alfa. Droits et privilèges passent à la Compagnie Franco-Algérienne. Celle-ci sera plus tard rachetée à son tour par l'Etat. Ces considérations politico-économiques n'ont pas arrêté les alfatiers, bien qu ils connaissent certaines difficultés notamment a transporter la marchandise. En 1870, on mettra sur le marché 558000 quintaux d'alfa, blanc ou vert, en tiges ou en paille. Ce qui correspond à un chiffre d'affaires de 18 à 20 millions de francs. En 1927, près de deux millions de quintaux. Et la source ne peut tarir. L'Angleterre, qui gardera longtemps le monopole du papier de luxe, restera -et de beaucoup- le premier client. Mais les exportations se feront dans le monde entier.

La Compagnie Franco-Algérienne se fera constructeur-exploitateur pour résoudre ses problèmes de transport. Elle signera une convention avec le Général Chanzy alors Gouverneur Général en 1874 pour exécuter un chemin de fer d'Arzew à Saïda, avec prolongation sur Géryville. Elle aura le privilège exclusif de l'exploitation de l'alfa sur 300000 hectares. L'arrachage est effectué par les Espagnols. Ils y travaillent comme ils défrichent, en cuadrillas. Certains sont à leur compte d'autres livrent à la Compagnie Franco-Algérienne par charrettes qui vont jusqu'à Saïda ou Tlemcen. Des chantiers s'organisent ainsi, jusqu'à cent cinquante, éparpillés dans les hauts plateaux. De véritables aventuriers qui trop souvent, malmènent les Arabes qu'ils méprisent. Ceux-ci se vengeront durement en 1881, à l'occasion du nouveau soulèvement des Ouled-Sidi-Cheikh. Le mouvement partira du Sud d'Aïn-Sefra. Un marabout de l'Atlas, Bou-Amama, a exploité la baisse de prestige français après le massacre de la mission Flatters par les Touaregs. La révolte gagnera les hauts plateaux oranais. Apres avoir pris Frenda, les insurgés massacreront en 1881 les ouvriers espagnols des chantiers d'alfa de Khalfalla près du Kreider, dans la région de Saïda. C'est à la suite de ces événements qu'on décidera la prolongation, jusqu'à Méchéria, de la voie ferrée Arzew-Saïda. Cette dernière, réalisée en 1879 apporte une solution satisfaisante au transport de la précieuse matière première. A ce moment-là, seul un petit nombre d'Espagnols se maintiendra dans les chantiers d'alfa. La main-d'oeuvre deviendra essentiellement indigène. La cueillette sera réglementée. On apprendra à désarticuler la tige sans arracher la plante. Le gouvernement imposera à son exploitation des limites dans le temps et les périmètres. Mais au même moment, il la facilitera. La papeterie a des besoins sans cesse grandissants. Les alfatiers ont encore de beaux jours devant eux.


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