Publié le 12-01-2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie
Par Ahmed Tessa (pédagogue, auteur)
«Sous-estimer ou méconnaître les notions élémentaires de la psychologie de l’enfant mène l’enseignant vers la médiocrité professionnelle.»
«Votre enfant ne participe pas en classe» ; «votre fille est trop dissipée en classe» et tant d’autres phrases du même genre. Les parents d’élèves les entendent souvent prononcer par l’enseignant ou l’enseignante de leur enfant. À quoi renvoient ces constats ? Avant de poser le diagnostic d’un déficit en attention ou d’une éventuelle hyperactivité – solution de facilité souvent préjudiciable à l’enfant – il y a lieu de connaître les conditions matérielles, psychologiques et pédagogiques qui déclenchent et nourrissent l’attention. Ou qui la desservent. L’attention n’est pas une faculté spéciale mais une attitude qui amène l’enfant à concentrer ses opérations intellectuelles sur une activité, un objet ou une situation/problème. Certains la désignent par l’expression : tonus mental. Le bon tonus mental signifie que l’attention de l’enfant est éveillée, ce qui traduit une intelligence qui s’autogouverne, libre. Selon la typologie établie, l’attention évolue sur trois paliers.
• Elle est d’abord dite spontanée : réaction quasi-instinctive ; elle est aussi naturelle que la faim ou la soif. C’est le cas de l’attention que nous prêtons à un bruit soudain. Observez votre enfant : il jouit d’une forte capacité en attention spontanée. Un peu comme l’animal toujours aux aguets.
• Elle est dite volontaire, quand l’attention de l’élève se met au service d’un effort et que la concentration se mobilise pour une activité pédagogique même si elle (cette activité) est contraire à son goût et à ses désirs. Cette forme d’attention est très sollicitée dans nos classes. Dans certaines situations d’apprentissage, cette forme d’attention risque de se déliter et de disparaître. Par exemple : quand la durée demandée à l’effort d’attention est trop longue ; quand le contenu de l’activité proposée dépasse le niveau intellectuel de l’enfant (lui proposer à lire et à apprécier un texte d’un niveau élevé de difficulté).
• L’idéal pédagogique est atteint quand, chez l’élève, l’attention devient habituelle et évolue vers un état permanent.
De quoi est redevable l’école pour stimuler l’attention/concentration chez ses pensionnaires ? C’est arriver à doter l’élève de l’attention volontaire et de l’attention habituelle. Quand les programmes et les méthodes sont appropriés, l’art d’enseigner consistera à déclencher et entretenir le tonus mental de l’élève : là est l’essentiel de la mission éducative. Le bon enseignant se préoccupe en permanence de l’état de vigilance et de l’attention de ses élèves. Pourquoi ? Tout simplement parce que le rôle joué par cette attitude (l’attention) est vital dans le processus enseignement/apprentissage.
L’attention est l’une des conditions majeures pour la conquête de toute culture en ce sens que, sans elle, notre esprit ne recevrait que des impressions furtives et confuses qui, vite, s’effacent de la mémoire. L’élève attentif accroît son capital — connaissance en y apportant clarté et ordre. Grâce à l’attention d’autres facultés mentales sont mises en branle et concentrées vers l’objectif pédagogique : la mémoire et la curiosité notamment. L’enseignant qui retient l’attention de ses élèves est assuré de réussir sa leçon : il les a captivés, motivés. Il n’y a pas pire situation pour un enseignant que des élèves inattentifs, distraits et rêvassant. Ses explications, sa leçon entière s’évaporent et ses élèves voient leurs efforts vains et sans résultat. L’éveil et le maintien de l’attention sont conditionnés par le plaisir qu’éprouve l’élève pour telle ou telle activité. Quand il y a plaisir cela signifie que dans celle-ci (activité), l’élève trouve un intérêt certain qui comble et satisfait un besoin qu’il ressent en son for intérieur (plaisir du coloriage, la comptine, le conte magique, le roman fiction..). Ainsi, en développant et en fortifiant l’attention de ses élèves, l’enseignant les amène à aimer l’école, être assidus pendant les leçons, fructifier leurs potentialités. Un bon tonus mental favorise le développement de l’intelligence générale. Facile à dire mais comment s’y prendre ? D’abord connaître les facteurs dont dépend la puissance d’attention chez l’élève. Ce que nous enseigne la chronobiologie :
- l’âge en premier : la vigilance ou durée de l’attention croît avec l’âge, dix à quinze minutes en début de scolarité (1re et 2e AP) ; de trente à quarante minutes vers les dernières années. En maternelle, les activités/jeux sont libres, laissant l’enfant épuiser son centre d’intérêt sur telle ou telle activité.
- Les matinées, c’est à partir de 9h que l’attention aux activités intellectuelles entame son ascension pour atteindre un pic vers 11h/12h. L’après-midi, c’est vers 15/16h que l’état de vigilance s’affirme.
- le temps qu’il fait dans la salle : l’excès de chaleur ou le froid atténuent la puissance d’attention. Dans un milieu confiné (le local/classe), ces deux facteurs (chaleur et froid) pourraient avoir un impact nocif sur le système nerveux. Ils ralentissent la circulation cérébrale.
- la position du corps en séance d’apprentissage : là aussi, depuis longtemps des spécialistes ont prouvé que certains élèves assimilent et retiennent mieux quand ils sont en position couchée. La preuve nous est donnée par la pédagogie du préscolaire qui encourage cette position auprès des enfants.
- le régime alimentaire : une ration alimentaire équilibrée, sans excitants.
- Il y a aussi les facteurs d’ordre psychopédagogique : la personnalité de l’enseignant, son caractère ; l’entrain et l’intérêt que procurent des activités attrayantes.
- L’addiction aux écrans (exposition exagérée) amoindrit la capacité d’attention/concentration.
L’enfant du préscolaire ou du primaire est de nature distraite, il a une attention/papillon. Très mobile, celle-ci bouge au gré de ses sensations, de ses centres d’intérêt et de ses rêvasseries : ce qui peut le détourner des activités pédagogiques, de ses études. Cet état d’esprit est le lot des salles de classe dans les écoles maternelles et les écoles primaires. Et tout le talent et le professionnalisme de l’enseignant(e) consistent à stimuler l’attention/concentration, la relancer, la fixer.
Nous devons méditer cette vérité : tout enfant normalement constitué dispose dans son capital génétique d’une capacité d’attention/concentration. Si, en classe, l’enfant n’arrive pas à fixer son attention sur l’activité proposée par l’enseignante(e) cela signifie quelque part que le contexte dans lequel se déroulent les apprentissages n’est pas favorable, mais contraignant pour l’élève. Que faire pour y remédier et rendre attentif ses élèves ?
Comment la stimuler
Pour paraphraser Daniel Pennac, le verbe «lire» ne supporte pas d’être conjugué à l’impératif tout comme les verbes «aimer» et «rêver». On y ajoutera comme les verbes «sois attentif et apprends». Peut-on imposer à un enfant de lire ce qu’il n’a pas envie de lire ou de lire à un moment où il n’éprouve pas ce désir ? Suffit-il de lui dire ‘’sois attentif’’ pour qu’il le soit ou ‘’apprends’’ pour qu’il apprenne et assimile ? La réponse coule de source : non ! En éducation, la contrainte est toujours contre-productive. Cette formule pose l’une des problématiques les plus épineuses de la pédagogie scolaire. Ou comment éveiller et stimuler l’attention des élèves en classe – et plus largement comment les motiver pour les études ? Nous avons exposé les conditions extérieures qui agissent sur l’attention de l’élève en classe (sa santé, la température du local, l’effectif, la tranche horaire de la journée, son âge, son régime alimentaire..). Toutefois, les facteurs d’ordre psychopédagogique sont déterminants à plus d’un titre.
Il est admis que la pédagogie relève aussi bien de la science que de l’art. Il faut connaître la psychologie de ses élèves, leur personnalité et, aussi, maîtriser les méthodes d’enseignement. Mais cela n’est pas suffisant, l’enseignant doit aussi posséder l’art de communiquer, d’expliquer, d’éveiller et de fixer l’attention de ses élèves. Avoir une personnalité sympathique — mais pas laxiste —qui met l’élève en confiance et le sécurise. Tout un programme !
Aimanter les esprits «affamés» de ses écoliers exige de l’enseignant(e) un talent certain. Sa voix, sa position dans l’espace/classe, ses mouvements, la clarté et la netteté de ses propos aussi accessibles que possible sont autant de facteurs à même de gagner l’attention des élèves. Une pointe d’humour n’est pas à négliger pour détendre l’atmosphère. Il doit s’appuyer sur une caractéristique propre à l’enfance : sa curiosité naturelle. Quand elle est provoquée et satisfaite, la curiosité alimente l’attention et la fixe, le temps de la leçon.
La nature enfantine, y compris celle de l’adolescent n’est pas compatible avec la routine ennuyeuse. Ne pas confondre routine et bonnes habitudes. L’élève est avide de changement et aspire à la nouveauté, à la variété, au contraste. D’où l’effort de l’enseignant à présenter des leçons attrayantes qui répondent à ce besoin de changement. À cet effet, il aura à utiliser des objets insolites et/ou familiers pour expliquer telle ou telle leçon, leur faire manipuler des objets hétéroclites en cours de mathématiques, les initier à la recherche expérimentale en sciences, ils aiment le travail de labo. En histoire, rien ne vaut une visite sur un site historique ou d’un musée – sinon par vidéo – pour expliquer des faits historiques. En leçon de morale, ce sera des exemples de faits concrets d’un personnage illustre, ou un simple geste de solidarité d’un camarade pour déclencher l’attention et l’intérêt…
Cependant, il est une précaution d’usage à prendre : ne pas tomber dans l’excès. La multiplicité risque de mener à la confusion qui déroute l’attention de l’élève et dessert l’objectif de la leçon.
• Au service de l’attention
L’intérêt et la motivation sont deux notions fortement liées à une autre qui les soutient : le besoin. Le grand psychopédagogue suisse Edouard Claparède écrivait : «Chez l’enfant, un acte qui n’est pas directement relié à un besoin est un acte contre la nature enfantine.» Il entend par là que l’intérêt de l’élève pour les études, pour une leçon ou pour une activité proposée par l’enseignant découle d’un besoin ressenti par cet élève. En psychologie, on dira que le besoin d’un objet crée l’intérêt pour cet objet. C’est cet intérêt qui donne naissance chez l’élève à une recherche/tension vers l’objet désiré. Ainsi naît la motivation intrinsèque ; elle émane de l’élève et le pousse à aller de l’avant, à mobiliser son attention et à bénéficier des leçons dispensées quand celles-ci répondent à ce besoin vital. Pour mieux illustrer, on usera d’exemples familiers. Auprès d’une famille, la recherche d’un cadre agréable à vivre fera naître chez elle l’intérêt pour décorer, orner sa maison. Cette recherche d’un beau cadre obéit à une motivation. Lors d’un mauvais temps, s’abriter est une motivation suffisante qui répond au besoin de se protéger de la pluie. Il est indéniable que le besoin et les intérêts sont les fondements psychologiques de la motivation chez l’élève.
Mais comme en politique, les débats en pédagogie sont souvent enflammés. Face aux innovateurs qui s’appuient sur les progrès de la psychologie pour faire avancer les méthodes pédagogiques, nous trouvons —hélas, même de nos jours ! — les partisans du conservatisme pédagogique arc-boutés sur les méthodes dogmatiques qui assurent le dressage et non l’éducation. Ces derniers rétorquent souvent par cette formule en guise de parade: «Si nous devons attendre que se manifeste l’intérêt spontané chez l’élève, on risque d’attendre assez longtemps.» En effet, il y a lieu de nuancer la notion d’intérêt pour mieux l’utiliser au service de l’attention.
Nous distinguons deux formes d’intérêt : l’intérêt spontané et l’intérêt provoqué. Elles peuvent influer différemment sur la motivation et sur l’attention de l’élève. Si les intérêts spontanés alimentent la bonne motivation dite intrinsèque, l’intérêt provoqué lui aussi peut contribuer à motiver l’élève. On dira que tel enseignant sait intéresser ses élèves, attirer leur attention. Mais à condition que l’objet de l’étude ou de la leçon soit conforme aux besoins ou que l’effort exigé ne dépasse pas les capacités et le niveau des élèves. De prime abord, une leçon de grammaire ou de mathématiques, par exemple, exige des efforts de la part des élèves et c’est tout à fait normal. Pour que ces efforts soient librement consentis par les élèves, l’enseignant doit user de tact et de souplesse et ne pas brusquer ou culpabiliser l’élève en difficulté. Il est un aspect des choses que l’école passe sous silence : l’inadéquation des programmes et des manuels scolaires, voire même des méthodes avec les exigences, les caractéristiques psychologiques de l’enfant. Ainsi, on peut trouver des textes inaccessibles au niveau scolaire ou à la maturité mentale de l’enfant. Parler de l’enfer ou du paradis à un enfant de cinq ou six ans, c’est lui faire perdre son temps. Mais lui donner à lire un conte qui lui parle, le touche dans sa sensibilité, c’est assurément l’amener à fixer son attention sur la lecture de ce conte. Il en redemandera. En classe, l’enseignant a face à lui des élèves avec des tempéraments différents mais qui ont tous un même besoin : celui du concret, de la progression du simple au difficile. Rien n’est nuisible à l’attention de l’élève que les leçons où l’enseignant fait usage de la «pédagogie de la salive», du cours magistral, passant son temps à parler, parfois à crier. Ce n’est que vers l’âge de 11/12 ans que l’enfant accède à l’abstraction, commence à poser des hypothèses et des déductions. Son attention se fixe plus longtemps, son effort est plus constant, persévérant. Au cycle primaire, là où tout se joue, et particulièrement dans les premières classes, l’élève n’est pas apte à cette ténacité et cette persévérance dans l’effort : son âge est celui du «papillonnage» de l’attention laquelle est fragile. On dira qu’il butine en fonction de ses besoins et de ses centres d’intérêt. C’est pour cela que les activités variées et attrayantes sont une condition de base pour lui rendre les apprentissages scolaires utiles et efficaces : c’est là tout l’enjeu de l’institution scolaire via le programme officiel, les manuels, les horaires et surtout la formation (et le recrutement) des enseignants.
A. T.
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Posté Le : 17/01/2023
Posté par : rachids