Algérie

L’Assihar de Tamanrasset : la rencontre de l’abondance africaine



L’Assihar de Tamanrasset : la rencontre de l’abondance africaine
TAMANRASSET – A Sersouf, au centre-ville de Tamanrasset, l’entrée de l’Assihar se fait dans un bourdonnement d’enfants venus de tous les quartiers. Car si Assihar veut dire ôrencontreö en Targui, celle des enfants et des fruits est un instant de jubilation qui cette année a duré 17 jours.


Targui, Arabe, Haoussa, Zarma, Berbetiya, Bambara, les enfants s’interpellent dans toutes les langues et se bousculent du matin au soir, aux portes du Royaume de Cocagne dont ils s’assurent les droits d’entrée d’un éclat de rire.

Ils ne sont pas les seuls. Les lourds convois chargés de marchandises franchissent à flot continu les frontières puis les portes du stade de Sersouf, nouvel emplacement de l’Assihar au bord de l’oued desséché du même nom.

La rencontre africaine du troc

« Cette grande rencontre se tient une fois par an depuis le début des temps », explique Mohamed Ben Ouénsissi, ancien cadre de la station régionale de météorologie, aujourd’hui agriculteur à Abalessa, rencontré sur place.

« Autrefois, nos ancêtres y échangeaient surtout le sel contre le mil. Aujourd’hui voyez … « , sourit le grand Targui qui désigne les montagnes de fruits qui s’amoncellent dans les semi-remorques à doubles bennes, alignés le long de ce premier espace de la foire, occupé par les 48 commerçants « troquistes » de la région.

Car l’Assihar, organisé à la saison de maturité des fruits, est l’occasion pour les infatigables arpenteurs du désert d’acheminer ananas, mangues, noix de coco et ignames du Burkina-Faso, du Nigéria, du Ghana sur des milliers de kilomètres. Fruits frais et secs, épices, tissus, parfums naturels, cuirs, thés et condiments et même meubles de bois précieux arrivent à profusion parfois des bords de l’Atlantique.

Acajou et ébène, sculptés dans les ateliers de Chrostophe, artiste béninois, transitent depuis Cotonou par Parako, Manaville, Gaya, Konni, Agadès, Aghlit, Inguez, pour recueillir en fin de course les regards admiratifs des chalands de Tam.

Cependant, le roi de la fête est incontestablement le célèbre « or violet du Niger », cet oignon qui s’amoncelle partout dans des sacs de jute ajourés et qui accompagne, idéalement, nous est-il répété, la chair des moutons Sidaou, chèvres et dromadaires élevés chez nos voisins et écoulés à Souk Leghnam au quartier Gataâ El-Oued au nord de la ville où se découvre un autre visage de l’Assihar : le marché aux bestiaux.

« Durant la saison de l’Assihar, la liste des produits soumis au troc est enrichie et ce sont des cargaisons de dattes sèches, de produits électroménagers, literie, tapis et plastiques variés qui partiront d’Algérie vers les pays voisins », expliquent les douaniers et les responsables commerciaux de cette foire printanière qui a fermé ses portes samedi. Donc vers Mouradi, Tahoua, Niamey et peut-être même vers Kidal, Gao, Tombouctouà.Cette année, les chalands s’attristent des évènements qui secouent le Mali et qui expliquent l’absence de ses produits.

« Nos voisins apprécient nos produits »

A mesure que la soirée avance la foule se fait dense et plus lourd le parfum des fruits. Les clientes gracieusement recouvertes de leur Tissaghnest se dirigent vers un espace où s’alignent des dizaines de guedha ou tazoua, ces mortiers et pilons en bois de Talh (acacia) incontournables dans les cuisines du Sud algérien.

« On y pile des dattes sèches pour obtenir la seffa. Cette poudre est mélangée au mil, au beurre, à la klila (fromage sec), ce mélange est servi aux parturientes. Au Mali et au Niger on y bat également les grains de blé. Pilons et mortiers font partie du trousseau de la mariéeö, explique Khadidja, âgée de 46 ans et employée à la crèche militaire de Tamanrasset.

« Cela fait des années que j’importe ces mortiers de Mouradi ou de Tahoua. Je réside au Niger, mais ma famille vit ici », dit le vieux Abdallah, occupé à tracer dans le sable une multiplication. Il vient de céder 16 mortiers à 2.800 DA la pièce à Abdelkader d’Adrar. Celui-ci les charge dans un petit camion et décide d’y rajouter deux quintaux d’oignons, le dernier jour où la vente en gros est autorisée. « C’est pour mon frère qui est commerçant à In-Ghar, à 60 kms de In-Salah », déclare-t-il.

« Nous sommes très bien vus dans toute l’Afrique », rapporte un de ses collègues qui narre la rencontre traditionnelle des caravanes à Tahoua. Les habitants de Kidal, Tombouctou, Ghadamès, Agadès, les Beni Mzab, ceux d’Aqabli, d’Aoulef, d’Adrar et de Tamanrasset s’y rencontraient. « Les Touaregs ramenaient des dattes d’Aoulef et de In Salah », se souvient-il.

« L’Afrique est un océan de richesses et notre réputation est excellente chez nos voisins. Ils ont besoin de nous et nous avons besoin d’eux. Ils ont du cheptel, des produits artisanaux et leur médecine traditionnelle », dit-il. « Une fois nous leur avons amené des pommes et ils nous ont remerciés avec joie. Nous devrions leur prendre de tout et pas que des dattes sèches. Nos produits sont très appréciés.

Il faut développer ce commerce à longueur d’année pas seulement à l’occasion de l’Assihar. Les chinois et les Indiens sont déjà à pied d’£uvre mais ce sont nos produits qui ont la coteö, ajoute le bourlingueur des sables.

Fruits exotiques et peaux de serpent

Sous des stands improvisés, sont proposées pour quelques dinars des tranches d’ananas, de noix de coco et des verres d’un cocktail mangue-ananas. Après avoir fait le plein de vitamines, les mères de famille drapées de leur Tissaghnest colorés se dirigent d’un pas pressé vers les autres espaces du marché.

Sous un grand chapiteau et à l’extérieur des entreprises commerciales privées exposent des produits artisanaux ou alimentaires mais également des marchandises chinoises, depuis les claquettes en plastique jusqu’aux véhicules de tourisme et camions.

Les sacs en cuir de crocodile, autruches et serpent proposés par Maryama la Nigérienne, qui participe pour la 4ème fois, remporte un grand succès auprès des jeunes filles. Après la tombée de la nuit, les enfants glaneurs aident les commerçants à ranger leurs marchandises sous des nattes en paille de mil et dévorent les fruits qu’ils ont reçus comme salaire.

Des feux s’allument et on prépare le thé. Partout le calme s’installe et dans les fragrances de mangue, d’oignons et d’ananas les commerçants s’apprêtent à passer cette dernière nuit près de leurs marchandises.


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