Algérie

L?asphyxie financière, un enjeu politique


Digne et non résigné même si au fond de lui le correspondant à Jijel du quotidien arabophone Echourouk El Youmi, Yasser Abdelhaï, ne doit pas cacher la légitime inquiétude qui l?habite de voir débarquer l?huissier de justice en son domicile dès ce samedi, délai de rigueur fixé par la justice pour saisir ses biens dans le cas où il ne pourrait pas s?acquitter de l?amende de 4 millions de dinars retenue contre lui par la justice suite à sa condamnation dans une affaire de délit de presse l?opposant au wali de Jijel. Alors que le compte à rebours est enclenché, le journaliste, qui n?a pas les moyens de payer l?amende quand bien même il le voudrait, apparaît bien seul face à son triste sort. Il ne peut même pas compter sur la corporation et ses confrères qui assistent, en spectateurs, à sa « mise à mort » professionnelle et sociale. Abdelhaï découvre à son détriment dans ses moments de profonde solitude que la solidarité dans son sens active et dérangeante telle que vécue dans les moments de grande mobilisation qui avaient marqué la vie des médias en Algérie dans les années 90 a bel et bien déserté la corporation et que la tête d?un correspondant de presse locale ne vaut pas plus que celle d?un prévenu de droit commun qui a agressé une vieille dame ou volé un mobile. Le ton du journaliste qui s?exprimait hier dans les colonnes de notre journal nous plonge dans une triste ambiance d?une arène de corrida où la bête blessée à mort, vidée de tout son sang après avoir livré un combat inégal au matador, se retrouve affaiblie au milieu de l?arène face à son bourreau pour le coup de grâce fatidique sous les ovations d?une foule en délire. Si la menace de saisie des maigres biens du journaliste venait à être mise à exécution même en sachant que, vu ses conditions sociales modestes, ils ne pourront, au demeurant, jamais couvrir la facture que lui réclame la justice, cela signifie que le pouvoir est passé à une autre stratégie dans ses relations conflictuelles avec la presse. Les peines d?emprisonnement de journalistes qui n?ont pas bonne presse à l?étranger pour les régimes qui ont recours à ces méthodes, sans être abandonnées comme le prouvent les dernières condamnations pesant sur le journal El Watan, sont désormais couplées à de fortes amendes contre les journalistes condamnés dans des affaires de délits de presse et les éditeurs. Le but recherché est à l?évidence d?asphyxier financièrement les titres en instaurant au sein des rédactions, éditeurs et collectifs relationnels confondus, un climat de peur et de démobilisation qui les contraindra au silence et à ne plus s?occuper des affaires qui ne les regardent pas. Et pourtant, il suffit d?un geste de la société civile et d?abord de la corporation pour montrer que la liberté de la presse est un précieux acquis démocratique que l?on n?acceptera pas de négocier. En mettant la main à la poche, en lançant, à défaut de trouver l?argent ailleurs, une quête citoyenne pour payer l?amende du correspondant d?Echourouk. Et cela autant de fois que de besoin, chaque fois que la liberté de la presse sera menacée sous cette forme nouvelle et insidieuse qui est autrement plus mortelle que la prison dont on pourra toujours se remettre même si elle laisse des séquelles indélébiles.
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