De sa Casbah natale au monde, entre poésie et art plastique?.J'ai découvert sur internet quelques unes des ?uvres picturales de Kamel Yahiaoui, peintre d'origine algérienne, installé en France depuis plusieurs années. Bien que virtuelle, cette révélation fut fructueuse car elle suscita ma curiosité et m'incita à aller admirer in situ pour palper de mes sens ces ?uvres qui ont une résonance existentielle dans l'esprit de quiconque porte son regard sur les personnages, hommes et femmes qui, du haut de leur tour de l'absence, nous observent dans une présence pourtant imposante !C'est à la galerie K021* à Paris que Kamel Yahiaoui a exhibé quelques unes de ses ?uvres, dans le cadre d'une exposition intitulée «homotrace» (l'absence de majuscule est délibérée). C'est dans ce lieu dédié à l'art que j'eus le plaisir d'offrir à mes organes de perception et de jugement un «spectacle» pictural où la beauté, l'énigme, le mystère, la colère, l'indignation, l'empathie, la dignité humaine structurent la presque totalité de l'?uvre exposée.Des clous plantés sur un socle métallique exécutent une danse immobile. Les pas dansés au rythme d'une musique insonore entraînent l'imagination du visiteur dans une ronde qui provoque le tournis. Une sorte de transe qui rappelle les mouvements de la danse Sama des derviches tourneurs de l'ordre soufi des Mevlevis, en Turquie.Sur une table en bois, une cocotte-minute mijote une cuisine d'Etat. A l'intérieur, les voix à peine compréhensibles d'hommes politiques français et algériens psalmodient des discours dans une langue de bois aux sonorités tantôt vaporeuses tantôt fallacieuses. Debout, sur le rebord de cet ustensile de cuisine très usité par les ménagères, une forme humaine tourne dans ce brouhaha qui évoque une cacophonie. L'incompréhension ! Le désordre ! Le chaos ! Le monde serait-il sur le point d'exploser 'Sur un tissu blanc qui fait office de rideau, le corps d'un homme. Debout, en position verticale, les mains dans les poches, il est représenté, en noir, dans une posture méditative. Quel mystère, quelle énigme cherche-t-il à élucider ' Quel est le lien entre cet instant de halte et la posture, les mains dans les poches 'Dans ce monde de l'urgence et de la réactivité à tout prix, le temps de l'introspection est sans doute une étape nécessaire à toute action.Sur le bois d'une chaise «vintage», trois femmes sont peintes, nues et enceintes. Trois corps féminins à l'image des Trois Grâces (1504-1505), tableau de Raffaeloo Sanzio en référence aux déesses romaines Euphrosyne, Thalie et Aglaé, filles de Zeus et de la nymphe Eurynomé. Dans la mythologie romaine, ces trois femmes symbolisent l'amour, la beauté, le désir, l'abondance, l'allégresse. Sur le bois suranné de cette chaise, accrochée à un fil, suspendue sur la tête des visiteurs, ces trois femmes nues et enceintes représentent la cruauté des hommes. Le peintre les met sous notre regard après qu'elles aient été sauvagement violées. Leurs ventres portent les stigmates de cet acte violent. Engendreront-elles des monstres 'En me promenant parmi les ?uvres de Kamel Yahiaoui, de panneau en panneau, de visage en visage, de corps en corps, je réalisais alors que j'endossais le rôle de témoin des traces d'un monde d'injustices et de cruautés humaines, poignantes, absurdes, qui révoltent toute âme éprise de justice, de dignité et de liberté. Imprégné de ces idéaux humains et humanistes, il s'attelle, à travers le langage de ses créations picturales, à nous inciter à réfléchir sur des événements qui ont jalonné l'histoire et qui, pourtant, ont été relégués dans le continent obscur des historiographies officielles. Et ce sont quelques unes de ces histoires (de vie) méprisées, marginalisées, oubliées, que l'artiste, à travers son geste créateur, tente de sortir de l'ombre dans le but de leur donner une existence, virtuelle soit-elle, pour les mettre en valeur.Les Tirailleurs africains font partie de ces acteurs de l'histoire, dont les actes ont été réduits au silence. Peints en noir, couleur qui évoque la mort, la tristesse, les visages anonymes, alignés à la queue-leu-leu, ces hommes sont représentés par le peintre dans l'expression de l'indifférence dans laquelle ils ont été maintenus tout au long de l'histoire.Sur des surfaces lisses, sur du bois, du tissu, du papier froissé, en noir et blanc, en noir, en blanc, en noir sur blanc, Kamel Yahiaoui crée des visages, peint des corps, représente des situations qui ont la spécificité de raconter l'épopée malheureuse de l'humanité. D'une ?uvre à une autre, le visiteur est happé par l'expression percutante de ces êtres que l'artiste efface jusqu'à atteindre l'anonymat. «Au début, le visage est là, explique Kamel Yahiaoui. Puis je le travaille jusqu'à l'épuisement, jusqu'à l'usure, jusqu'à l'effacement. L'anonymat qui caractérise mes figures picturales est volontaire. Les personnages que je choisis ont traversé des épreuves difficiles.»Cet artiste qui construit un pont entre deux genres, l'art et la poésie, peint au rythme des idées qui effleurent son esprit en bouillonnement de colère, de révolte contre les injustices qui bafouent la dignité humaine. A travers ses créations artistiques, il lève le voile sur des vérités interdites relatives à des êtres marqués par des malheurs et des tragédies. C'est alors que son art devient le lieu où foisonnent les silences de l'histoire. C'est alors que le thème de l'âme humaine bafouée dans sa dignité devient le creuset de sa réflexion. C'est alors que, par souci de réhabilitation, il donne naissance à des figures aux regards absents qui, pourtant, nous atteignent par la profondeur qu'ils laissent sourdre de leur puissance émotionnelle. L'art de Kamel Yahiaoui se situe à l'articulation de la figuration et de l'abstraction. Son langage pictural nous transmet l'image d'un art de l'effacement, du dépouillement et de la réhabilitation qui exprime un mélange d'effroi, de colère, de plaisir visuel et sensuel. Ses ?uvres ont le don de nous toucher, de nous émouvoir, de nous bouleverser, d'ébranler nos certitudes. Telles des balles, elles nous frappent droit au c?ur de notre sensibilité artistique et humaine.L'artiste vient d'être sélectionné pour la biennale de Dak'Art 2014 qui se tiendra du 9 mai au 8 juin 2014.*La Galerie KO21, au 78, rue Haxo, Paris 20e, est tenue par Belkacem Tatem et Malka de Alcaraz.
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Posté Le : 01/03/2014
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : NADIA AGSOUS
Source : www.elwatan.com