La sphère
culturelle algérienne connait de très sérieux désagréments. De l'argent, il en
coule à flots, à tel point que les uns et les autres cherchent à en profiter.
Mais point de public à déguster les produits proposés, souvent médiocres, ne
dépassant pas quelques rares représentations, désertées par des spectateurs peu
enclins à cautionner ce type de choses.
Que se passe t-il concrètement dans l'univers
« culturel » algérien ? Pourquoi continue t-on à nier les évidences en
n'arrêtant pas d'ânonner que tout va bien dans le meilleur des mondes. Tout le
monde soutient, surtout en aparté, même ceux qui profitent aisément de la
rente, que la situation vire au tragique. On ne cesse, au niveau du ministère
de la culture, d'aligner des chiffres de pièces, de films et de livres produits
sans aller au fond des choses, interroger réellement les produits dont il est
question et le niveau de leur diffusion, en exposant la billetterie et le
nombre de salles susceptibles d'accueillir les films qui n'ont parfois
d'algériens que le nom puisque produits ailleurs. On sait qu'un film acquiert
la nationalité de son producteur. Absence de salles de cinéma et de structures
de cinéma, théâtres fonctionnant comme des administrations, galeries d'art trop
rares…
Aujourd'hui, les
festivals pullulent. Souvent sans objectifs. Comme d'ailleurs certains
colloques se passant devant des salles clairsemées alors que de nombreux invités
étrangers étaient conviés, totalement pris en charge. Dans de nombreux cas, des
«invités» sans CV sérieux, alors que des Algériens connus et reconnus sont
exclus. Est-ce une volonté délibérée de pousser les nationaux à l'exil ?
Interrogation légitime. Qu'apporte un «événement» littéraire ou artistique
quand il est organisé simplement pour faire une sorte de comptabilité
administrative excluant le public qui ne compterait pas et qui pourrait payer
sa place quand il y a un beau spectacle ? Jusqu'à présent, les festivals et les
rencontres artistiques sont organisés sans une préalable définition d'une
démarche cohérente et d'objectifs clairs. Des semaines culturelles, bouffeuses
d'argent, trop mal conçues, ne fonctionnent que comme des chiffres comptables bons
à gonfler le cahier d'activités d'un ministère de la «culture» réduit à la
fonction presqu'exclusive d'organisateur de festivals. Cette singulière
situation montre le peu de sérieux qui marque le territoire culturel et
touristique frappé d'une sorte d'anarchie et de gabegie indéfinissables.
A quoi sert un
festival ? Quels sont ses moyens de financement ? Quels sont ses objectifs ?
C'est à partir des réponses sérieuses données à ces questions qu'on envisage de
mettre en Å“uvre la préparation d'une manifestation qui absorbe de l'argent et
qui ne peut nullement être exclusivement considérée comme une opération de
prestige. Cette propension à vouloir organiser des manifestations sans
déterminer au préalable les champs possibles de rentabilité, symbolique et/ou
matérielle ne participe nullement d'une bonne gestion de la chose publique.
Cela relèverait de la dilapidation des deniers publics, pour reprendre les
propos repris par El Khabar. Comment est-il possible d'organiser un festival
international de cinéma dans un pays où il n'y a même pas de salles ou de
structures de cinéma dissoutes dans les années 90 sans espaces de substitution
? Les instances organisatrices oublient souvent que l'argent utilisé appartient
à la communauté et que le fait d'être ministre, directeur ou commissaire ne lui
permet pas, en principe, d'user de son autorité, en prenant des décisions
injustifiées. Les responsables devraient rendre compte de leur gestion. On se
souvient de la réaction du ministère de la culture et de l'office national de
la culture et de l'information (ONCI) par rapport aux artistes égyptiens et de
certains journalistes, suite au match de foot Algérie-Egypte où il était dit
que certains invités ne méritaient pas d'être honorés et présents. Quels sont
les critères déterminant telle ou telle invitation ? La question ne devrait
nullement se poser en termes de nationalité. L'Egypte et l'Algérie restent deux
grands pays, ayant des ressources culturelles particulières et un certain
nombre d'intellectuels autonomes, respectables. L'Egyptienne, Samiha Ayyoub
s'est vu inviter à quatre reprises, avec accompagnatrice, au festival national
du théâtre professionnel. Elle avait même fait le voyage, avec sa coiffeuse,
frais payés par l'Algérie, Le Caire-Rome-Alger. On peut décidément tout se
permettre. Des hommages sans fin à des acteurs ou à des critiques étrangers
souvent peu connus, venus en touristes, ne pouvant nullement permettre à
l'Algérie de redorer un blason déjà très affecté, à tel point qu'un poète
libanais a vivement réagi dans «El Khabar» contre «Okadiat echi'r» organisé par
l'ONCI, qui dépenserait beaucoup d'argent, selon lui, pour inviter des poètes
obscurs auxquels on accolait le nom d'un pays. Comme beaucoup de troupes de
théâtre qui passent ici, ou ces «critiques» participant à des colloques sans
préparation sérieuse, consommant énormément d'argent. L'Algérie a beaucoup de
fric pour ce type de manifestations qui ne semblent pas profiter à une
«culture» déjà agonisante.
Les différents
festivals organisés, abstraction faite de la distribution des jeux de rente à
des commissaires nommés, souvent au-delà de leurs responsabilités de directeurs
de structures publiques, déjà appointés, donnent à voir une image peu
reluisante de notre pays. Dans un catalogue de l'année de l'Algérie en France,
le FLN de la guerre de libération est qualifié de repaire de terroristes.
Personne n'avait réagi. Alger, capitale de la culture arabe a vu la réaction de
«cadres du ministère de la culture» dans un écrit rendu public sur Internet
dénonçant de graves préjudices. Le festival panafricain aurait dépassé les 150
millions d'euros. Une question légitime se pose : comment avait été dépensé
l'argent public durant ces manifestations et qui en a profité ? Comment se sont
opérés les invitations et la répartition des enveloppes financières ?
Concrètement, qu'ont apporté ces rencontres sur les plans symbolique et
matériel à notre culture ? Ont-elles profité aux Algériens, à l'université ?
Les colloques ont-ils été organisés en procédant à des appels à communications,
évitant par là la médiocrité et les jeux du renvoi d'ascenseur ? Toutes ces
questions mériteraient des réponses précises. Parce qu'il s'agit de l'argent
public. Cela aiderait à la transparence et permettrait peut-être, la rectification
de certaines choses. Actuellement, se tient un «festival international du
théâtre», à Alger, procédant de la même logique rentière, avec deux présidents
et un commissaire, appointés et beaucoup d'argent à dépenser, programmant
quelques troupes trop peu connues que quelques uns des journalistes, parfois
grassement payés par les services des festivals pour leur collaboration,
foulant ainsi aux pieds l'éthique et la déontologie journalistique, n'arrêtant
pas de porter au comble de la perfection tout ce qui vient de leur bailleur de
fonds, sans aucun esprit critique. Nous ne pouvons parler de ces productions
que nous n'avons pas eu le privilège de voir, mais Internet permet désormais de
jauger le parcours de ce type de structures. Pas d'appels à communications, ni
choix rationnel de troupes. Que gagneraient nos artistes dans ce type de
gymnastique trop peu rentable où il est désormais une tradition qu'une pièce du
co-président du festival et du TNA soit présente dans ce type de
manifestations? On croirait qu'à la faveur du poste occupé par M'hamed
Benguettaf, tout le monde découvre enfin les qualités de ce comédien qui
s'essaye depuis longtemps, grâce à Mustapha Kateb, au jeu de l'écriture. Des
hommages avaient été programmés, mais certains invités avaient refusé de
cautionner ce type de rencontre trop peu sérieuse. Ariane Mnouchkine, du
théâtre du Soleil, une extraordinaire femme de théâtre, l'une des plus grandes
voix du théâtre d'aujourd'hui, rejette gentiment l'invitation. C'était tout à
fait prévisible. Cette désastreuse situation marque tout le territoire culturel
qui vogue sans aucun projet clair et cohérent.
Il serait utile de revoir le fonctionnement
des entreprises culturelles et des démarches suivies jusqu'à présent par les
pouvoirs publics, trop intéressés par une sorte de gymnastique de chiffres à
aligner, occultant la question très actuelle du public tragiquement absent des
travées de la représentation artistique et littéraire. La gestion des espaces
laisse sérieusement à désirer. De véritables ouvertures au monde et à
l'université, favorisant des interrogations sur la nature du théâtre à faire et
promouvant une sérieuse politique, loin de ces rencontres dites pompeusement de
formation organisés par certains théâtres régionaux, est à entreprendre. Ainsi,
tous les métiers devraient être encouragés, permettant une meilleure
connaissance d'arts vivants fonctionnant comme des machines cybernétiques, pour
reprendre Roland Barthes. Faut-il continuer dans la même démarche qui fait de
certains théâtres sans spectateurs payants, les lieux où se multiplient les «
festivals » (un cachet pour le dirlo), où le « patron » se métamorphose en
directeur de la production (un autre cachet, une première dans le monde) et où
on se sucre en frais de mission intégraux ? Faut-il accepter que l'Algérie soit
privée d'images après la disparition des structures publiques de cinéma ?
Est-il normal de « post-produire » un film sorti deux ans avant pour
l'introduire dans une manifestation ? Est-il correct d'éditer dans le cadre d'un
festival des livres mal traduits, d'ailleurs absents des librairies? Serait-il
rentable de bouder la Safex pour organiser le salon du livre sous un chapiteau
?
L'Algérie a
besoin d'un véritable projet culturel permettant la redécouverte du public et
la définition précise d'objectifs pouvant fournir au pays la possibilité de
donner à voir une autre image marquée par la mise en Å“uvre d'un discours et
d'attitudes citoyens où l'exclusion serait bannie et la liberté de parole
respectée. Ainsi, ne serait-il pas temps d'ouvrir un débat national sur les
questions culturelles et de penser sérieusement au problème du public sans
lequel aucune activité artistique ou littéraire n'est crédible. Quel théâtre
faire ? Quel cinéma devrait-on mettre en Å“uvre ? Quelle politique éditoriale
est-elle possible aujourd'hui ? Comment devrions-nous encourager la peinture ?
Ce sont autant d'interrogations pouvant articuler de véritables discussions
mettant en scène le présent et le devenir de pratiques artistiques et littéraires
vivant actuellement de sérieuses crises. Ce serait une bonne chose, au-delà de
discours redondants, de récupérer des pans de notre mémoire culturelle en
favorisant la mise en place de structures spécialisées. Ce travail fondamental
n'est pas encore réalisé par les pouvoirs publics qui devraient s'y atteler le
plus vite possible tout en redéfinissant les contours des espaces
institutionnels et législatifs. Ainsi, seraient redéfinies les prérogatives des
« coopératives », trop floues, parfois nées uniquement pour bénéficier de la
manne des subventions accordées dans une totale opacité. Autre chose : le
plagiat fait des ravages. Nos écrits et nos conférences sont l'objet de
quelques actes de pirateries par quelques « critiques » qui devraient, au
moins, avoir la correction de citer le nom de l'auteur.
Mais dans ce
contexte chaotique, évoluent heureusement quelques belles hirondelles dans une
saison trop maussade, comme ces clubs littéraires et de cinéma de Bejaia,
apportant un baume au cÅ“ur, en touchant un très large public, ou des
associations comme celle de Bordj Bou Arreridj, Tedj, ou ces jeunes de Sedrata
qui, même enterrés dans un environnement peu amène, sont là, présents, ou ces
rares journalistes, à l'instar de l'excellent Said Khatibi d'El Khabar…
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Posté Le : 21/10/2010
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ahmed CHENIKI
Source : www.lequotidien-oran.com