Erigé sur la carcasse des anciennes Galeries de France, le Musée d’art moderne (MaMa) présenterait, selon son concepteur, plusieurs anomalies dues au fait que la bâtisse devait être fermée après l’Année arabe afin de permettre au maître d’œuvre d’aller au bout du chantier, ce qui n’a pas été fait.
25, rue Larbi Ben M’hidi, Alger. Un imposant bâtiment blanc, aux immenses baies vitrées, trône à cette adresse. C’est le MaMa : le Musée d’art moderne et contemporain d’Alger, clin d’œil assumé au MoMa de New York.
Alentour, le quartier vaque à sa fièvre marchande quotidienne. Petit tour à l’intérieur du musée. Un vent frais nous happe d’entrée, ce qui n’est pas pour nous déplaire par cette chaleur caniculaire. A l’affiche : une expo collective regroupant six artistes peintres algériens. Aux effluves revigorants de la clim’ s’ajoute la brise de fraîcheur artistique dont nous gratifient nos six créatifs et qui nous fouette gaiement l’esprit. Quelques visiteurs solitaires arpentent les allées du bâtiment avec nonchalance. Deux vieilles dames s’extasient devant les œuvres en égrenant des souvenirs encore vivaces pendant qu’un flâneur s’attarde sur la bâtisse elle-même, ses arabesques, sa lumière, ses trois voûtes somptueuses surplombant l’atrium. Sans oublier sa blancheur omniprésente qui s’explique par l’effet «white box» voulu par l’architecte. De fait, l’édifice se laisse admirer au même titre que les œuvres. «La première chose que l’on voit dans un musée, c’est… le musée», professe Halim Faïdi, l’architecte concepteur du MaMa. Et c’est d’autant plus valable pour cet espace d’art qui a la particularité d’être le produit d’une réécriture architecturale sur un ancien bâtiment, à savoir «Les Galeries de France» signées Henri Petit. La bâtisse, qui remonte à 1909-1910, s’inscrit dans le courant «néo-mauresque» qui a vu fleurir d’autres ouvrages du même style à l’instar de la Grande-Poste et de la wilaya d’Alger.
L’Année arabe et ses «délais politiques»
Si ce joyau architectural a tout pour séduire, il n’est pas vraiment ce fabuleux écrin de lumière qui ferait la fierté d’Alger, déplore Halim Faïdi. L’architecte en chef du projet est formel : le MaMa tel qu’il se présente aujourd’hui n’est qu’un «décor». Autant dire : une maquette grandeur nature. «Le vrai MaMa n’a jamais été livré. Ce que nous avons là n’est qu’une grande et belle galerie publique. Cela ne répond ni aux normes ni aux fonctions du musée tel que le marché l’a prévu», assène-t-il.
Petit rappel des faits : en 2005, un appel d’offres est lancé par le ministère de la Culture avec pour objet «l’aménagement des anciennes Galeries algériennes en musée d’art moderne et contemporain». Un concours national d’architecture est ouvert dans la foulée, et c’est le cabinet de Halim Faïdi qui remporte le marché. Selon les termes du contrat, le MaMa est censé être livré en avril 2009. Dans l’intervalle, un agenda politique majeur vient interférer dans le travail de l’architecte et de son équipe : c’est l’événement «Alger capitale de la culture arabe». Le maître d’œuvre est dès lors prié de boucler le projet dans des «délais politiques». Il fallait qu’Alger «leur en mette plein la vue», à ses hôtes de marque du monde arabe, et le MaMa était la cerise sur le gâteau, la pièce maîtresse de cette opération de charme. «Le MaMa devait être livré au complet, avec ses 13 500 m2, en avril 2009. Nous avons engagé notre contrat et puis le ministère l’a suspendu par un ordre de service pour réaliser une galerie, soit une préfiguration de ce que deviendrait le MaMa, ceci avec des arguments très politiques auxquels nous ne pouvions qu’adhérer, en nous assurant que, passé l’événement, les aménagements définitifs seront entrepris», explique Halim Faïdi. Première mauvaise surprise : l’état désastreux du bâtiment. Et pour cause : l’ancien centre commercial est resté fermé vingt ans durant dans la foulée de la liquidation des Souks El Fellah et autres grandes surfaces de l’Etat. «Très rapidement, en diagnostiquant le bâtiment, nous nous sommes rendus compte qu’il était très vétuste et nécessitait d’abord une remise aux normes avant d’être aménagé. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que la transformation est réussie. Mais ce qu’on a réalisé jusqu’à présent est une parfaite illusion, un trompe-l’oeil. Certes, le trompe-l’oeil est un art, mais ça reste un art mineur», glisse l’architecte.
«Six mois et on ferme»
Le 1er décembre 2007, Khalida Toumi inaugure le MaMa devant un aréopage d’ambassadeurs arabes et de «people» du gratin culturel algérois. Pari tenu. L’opération est un succès complet. Pour Madame la ministre, il ne fait aucun doute que le MaMa est le «clou» de l’année arabe. Voilà qui fait du bien à «l’ego national». S’ensuivront des expos en série qui donnent très vite au lieu sa chair, son âme, ses rituels. Le MaMa s’installe dans le paysage culturel. Il vit. Il s’enracine dans le quartier, au point de faire oublier aux nostalgiques les plus inconsolables le bâtiment néo-mauresque qui prêta son corps au musée comme dans une «métempsychose architecturale». Aux dires de l’ancien maître d’œuvre, «un accord a été passé avec le maître d’ouvrage en vertu duquel, au bout de six mois, on ferme et on engage les travaux à partir de zéro ou de zéro + 1, mais cet accord n’a pas été respecté». Il est aisé de comprendre que le tournant dans cette affaire aura été cette «Année arabe». Celle-ci trahit manifestement une certaine propension dans le management institutionnel à privilégier l’événementiel au détriment des actions pérennes. «Il faut avoir à l’esprit que ce musée existe par décret. Cela veut dire que le MaMa n’a rien à voir avec Alger capitale de la culture arabe», insiste Faïdi.
Concrètement, que manque-t-il aujourd’hui au MaMa pour s’ériger en musée à part entière ? Sur plan, il est censé disposer au premier chef d’aires de stockage des œuvres «aussi clean qu’un bloc opératoire», préconise l’architecte. «Un musée, c’est d’abord un fonds. Une collection propre. Il y faut donc des réserves. Ensuite, un musée se juge à sa capacité à entretenir ce fonds, ce qui suppose des ateliers de restauration.» Au surplus, l’étude prévoit un auditorium, un atelier pour enfants, une librairie, une cafétéria en bas, et un restaurant panoramique sur le toit, avec vue imprenable sur la baie d’Alger. «Or, six ans plus tard, rien de tout cela n’a été fait. Si on avait fermé en juin 2008 comme prévu, eh bien depuis un an, on aurait eu un vrai musée, au complet», regrette notre interlocuteur. Et de faire remarquer : «Un musée n’est pas qu’un espace d’exposition. C’est avant tout un espace de performance. Si on avait réalisé l’atelier pour enfants, on aurait pu engager un vrai travail avec les écoles. Si on avait eu l’auditorium, nous aurions eu droit à des débats extraordinaires. Le restaurant panoramique aurait drainé mille fois plus de monde, et nous aurions créé une place haute dans Alger et quelque 80 emplois permanents pour l’ensemble du complexe.»
Il est vrai que le MaMa était la meilleure carte de visite de Khalida Toumi durant «l’Année arabe». Mais si la ministre de la Culture tenait coûte que coûte à ouvrir une partie du MaMa pour impressionner les hôtes d’Alger 2007, il faut savoir qu’au-delà de cette opération marketing se profilait un message à usage interne en vue d’obtenir une enveloppe plus substantielle pour la suite des travaux.
«Un budget fixé au pifomètre»
Comme le révèle Faïdi, «le budget initialement débloqué était de 350 millions de dinars seulement, un budget fixé au pifomètre, sans aucune expertise préalable». Un budget d’autant plus dérisoire que l’ouvrage dont il est question n’est rien de moins que le premier musée d’art moderne et contemporain de l’histoire de l’Algérie et, se vante-t-on, le premier du genre du monde arabe.
«Rapportez ce budget aux
13 500 m² de l’ouvrage et ça vous donne
26 000 DA/m². Or, il faudrait au minimum 120 à 130 000 DA par mètre carré pour faire un musée en réhabilitation de la partie existante», assure l’architecte. En dépit des relations difficiles qu’entretiennent aujourd’hui le maître de l’ouvrage et l’ancien maître d’œuvre, ce dernier refuse de céder au fatalisme et souhaite un règlement à l’amiable de ce contentieux. «Je demande simplement qu’on me régularise et je reprendrai le projet», dit-il. La régularisation évoquée ici concerne l’opération «études et suivi de la préfiguration du musée». «Cela nous a coûté tout de même la bagatelle de 56 millions de dinars», soutient Faïdi, documents comptables à l’appui. «Je ne cherche ni le scandale ni la polémique. Si j’ai choisi de parler aujourd’hui, c’est parce que nous sommes dans une période de réformes à laquelle je veux croire et j’ai envie de donner une occasion publique pour qu’on corrige le tir», plaide-t-il. Une disponibilité qui ne semble pas trouver écho dans l’entourage de Khalida Toumi : «Au ministère, on semble dire : ‘‘Tout sauf Faïdi !’’ C’est quand même bizarre ! De l’aveu même de Madame la ministre, s’il n’y avait qu’un mot à retenir d’Alger, capitale de la culture arabe, ça serait ‘‘MaMa’’. Drôle de récompense !» Même s’il se dit «black-listé», Halim Faïdi réclame plus que jamais la paternité du MaMa. «Ce musée, c’est quand même mon bébé. Ça, personne ne peut me l’enlever, et un père n’abandonne jamais son enfant !», martèle-t-il un brin ému.
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Posté Le : 16/07/2011
Posté par : infoalgerie
Ecrit par : Mustapha Benfodil
Source : www.elwatan.com