Algérie

«L'Arabie Saoudite n'est pas à l'abri de secousses retardataires du Printemps arabe» Dr Mansouria Mokhef. Responsable du programme Moyen-Orient/Maghreb à l'IFRI



«L'Arabie Saoudite n'est pas à l'abri de secousses retardataires du Printemps arabe» Dr Mansouria Mokhef. Responsable du programme Moyen-Orient/Maghreb à l'IFRI
-L'Arabie Saoudite est secouée par des mouvements de protestation mineurs mais récurrents. Faut-il s'attendre à plus d'ouverture visant à déverrouiller un peu ce pays '
L'Arabie Saoudite a subi maintes pressions pour un déverrouillage politique, fut-il partiel. Des pressions externes (émanant de la communauté internationale et notamment de ses alliés les Etats-Unis), mais aussi depuis peu des pressions internes. Même si l'Arabie Saoudite a été épargnée par le Printemps arabe, il y a des frémissements de contestation, et à défaut de les voir gonfler et prendre de l'ampleur, des dignitaires, comme le prince Al Walid Ben Talal, un neveu du souverain et l'une des grosses fortunes du monde (25 milliards de dollars), recommandent des mesures pouvant montrer que la monarchie est à l'écoute des préoccupations de la population relatives aux conditions sociales qui se sont dégradées malgré les redistributions financières du régime, la hausse du chômage qui touche principalement les jeunes et beaucoup de femmes, liberté d'expression pour une jeunesse dont l'accès à Internet ne peut être ni fermé ni limité, etc.
Ce ne sont ni des mesures phare ni des réformes profondes qui sont suggérées à travers des élections du majliss al choura, une instance créée, en 1993, juste après la guerre du Golfe, qui n'est pas élue, mais nommée par le roi, qui ne dispose ni d'un pouvoir ni d'un droit de légiférer, et dont le rôle se limite à conseiller le gouvernement sur les politiques générales du pays. Même si le prince Al Walid Ben Talal est perçu comme un libéral (il a maintes fois appelé à diverses mesures de libéralisation, telle que l'autorisation pour les femmes de conduire), il ne faut pas traduire cela comme un quelconque changement de cap, ni même comme les prémices d'une véritable ouverture, mais y voir, tout au plus, une concession sans risque et sans danger pour l'équilibre du pouvoir dont le but viserait à renforcer celui-ci et non à l'affaiblir.
-On a pourtant l'impression que le royaume commence à s'ouvrir un peu à travers quelques gestes, certes, mineurs'
Les dirigeants saoudiens ont bien compris qu'il leur fallait introduire certaines réformes et ils s'y emploient, notamment sur les questions relatives à la condition féminine, dans un royaume où les femmes ont clairement moins de droits que celles des autres pays arabes. Même si le régime n'est pas véritablement remis en cause, des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour critiquer un système politique et social, qui reste extrêmement rétrograde au regard des changements et bouleversements que la région a connus.
Depuis l'explosion du Printemps arabe, le pouvoir distille des petites réformes, d'abord la distribution de 35 milliards de dollars (une hausse de salaire de 15% pour 1 million de Saoudiens travaillant dans la Fonction publique et l'injection de près de 11 milliards de dollars dans un Fonds d'aide au logement) et des autorisations mineures en faveur des femmes : autorisation de pratiquer un sport, de vendre dans certaines boutiques spécialisées, la nomination de 30 femmes au Conseil consultatif (sur les 150 qui siègent), décision présentée comme «historique», le droit de vote aux élections municipales de 2015.
Sont-ce pour autant des vraies mesures destinées à améliorer le sort des Saoudiennes qui sont de plus en plus éduquées (elles représentent plus de la moitié des étudiants dans les universités), informées, branchées sur les réseaux sociaux et déterminées à secouer la tutelle dont elles en sont l'objet ' Alors que le pays souffre d'un taux de chômage (notamment des femmes) très élevé et que la grogne sociale est de plus en plus grande ' Le pouvoir occulte les véritables réformes politiques qui concerneraient un meilleur partage du pouvoir et une amorce de démocratisation. Comme cela fut le cas pour d'autres régimes autoritaires qui ont utilisé la question des femmes comme carte de visite d'honorabilité (Tunisie), le régime saoudien joue les effets d'annonce pour satisfaire l'Occident, d'autant plus que Mme Clinton avait à plusieurs reprises porté ses critiques sur le sort fait aux Saoudiennes, et aussi pour renvoyer une bonne image à l'Occident. D'ailleurs, la presse étrangère a très bien accueilli cette mesure et lui a donné un large écho, la présentant comme une avancée majeure. Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, lui-même, a félicité le royaume pour cette décision.
-La minorité chiite est un peu le porte-étendard de la protestation. Pensez-vous qu'elle puisse contaminer la population du royaume '
Depuis des années maintenant, des revendications non satisfaites et des soulèvements fortement réprimés à l'est du pays ont mis la question chiite au c'ur du débat politique en Arabie Saoudite, et en constituent aujourd'hui une sérieuse source d'inquiétude pour le régime qui n'y voit que la «main de l'étranger», nommément l'Iran. Il faut savoir que la contestation chiite saoudienne émane d'une région riche en pétrole, habitée par quelque deux millions de chiites qui représentent plus de 10% de la population du royaume ; que cette mobilisation ne date pas d'hier : les revendications pacifiques chiites pour une meilleure représentation dans un pays où tout le pouvoir est concentré entre les mains des élites wahhabites issues majoritairement de la région du Nedjd et du Hedjaz datent d'avant la révolution iranienne qui a mis en lumière l'existence sur le territoire de ces communautés considérées par les wahhabites comme hérétiques et mécréantes.
Les chiites exigent des réformes économiques et sociales sans demande de sédition ou de remise en cause du régime, ils sont cependant accusés de terrorisme à la solde de l'Iran et leurs actions régulièrement dénoncées comme faisant partie d'un complot fomenté par la République islamique contre le royaume, contre le sunnisme et contre tous les pays de la péninsule. La persistance du cauchemar relatif à la volonté de l'Iran de mettre en place un «croissant chiite» a justifié la décision des pays du CCG, l'Arabie Saoudite en tête, de tenter d'écraser la rébellion chiite à Bahreïn, et continue d'alimenter la méfiance à l'égard de la population chiite saoudienne, qui réclame avant tout une reconnaissance et des réformes sociales.
-Donc cette agitation ne remet pas en cause le régime wahhabite'
La récurrence de l'agitation maintient une pression certaine sur le régime, mais la mobilisation reste circonscrite aux régions chiites, elle n'a pas débordé de celles-ci et ne risque donc pas d'embraser le pays, tant la méfiance qui prévaut entre les nationaux wahhabites et chiites du royaume est grande et empêche toute entente ou coordination. Tant que les puissances occidentales (Etats-Unis en tête) qui redoutent, autant que les pays du Golfe, l'émergence d'un axe chiite qui pourrait alors déstabiliser toute la région en faveur de l'ennemi commun qu'est l'Iran, laissent le royaume soucieux de maintenir sa domination sur la région et ses richesses pétrolières, et continuaient d'assimiler ces troubles à une nouvelle forme de terrorisme intérieur, celui-ci ne considère guère une autre politique que celle de la répression.
C'est dire que si l'Arabie Saoudite n'est pas à l'abri de secousses retardataires du Printemps arabe, du fait de son système politique autoritaire, despotique et sclérosé, le danger ne viendra pas forcement des chiites du royaume. D'autant plus que le régime iranien, affaibli et isolé sur le plan régional, et connaissant de sérieux troubles intérieurs, n'est pas véritablement en position de soutenir une remise en cause de l'équilibre régional.
Du moins pas dans l'immédiat.


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