D'une manière
générale, le bilan du pouvoir algérien fait ressortir les incohérences d'une
stratégie et son coût social, la croissance des dépenses improductives, la
non-maîtrise de l'appareil productif, la formation de féodalités économiques et
politiques (techno-bureaucratie civile et militaire), les dangers de
l'extraversion et le mépris des masses en prime.
Ainsi, ni
l'autogestion et le «gouvernement par le parti», ni les «industries
industrialisantes» n'ont produit la matrice nécessaire au décollage économique.
Pas plus que l'économie de marché tant annoncée. De même, le caractère
d'exploitation qui découle de la confusion entre formes juridiques de propriété
et rapports de production n'a pas été supprimé. Par ailleurs, depuis la
Constitution de 1976 à ce jour, un régime présidentialiste hermétique à
l'opposition a été mis en place, le président de la République ayant droit de
vie et de mort sur l'ensemble des institutions. Certes, en apparence du moins,
depuis la Constitution de 1989, le pouvoir cherche à tempérer cette situation
par la répudiation du parti unique et du «socialisme spécifique» pour épouser
l'économie de marché, l'adoption du principe de la séparation des pouvoirs
(appelées fonctions auparavant) et le renvoi de la direction de l'armée hors de
la sphère du politique. Cependant, pour peu qu'elles soient appliquées, ces
innovations ne doivent pas masquer les carences préjudiciables au devenir de la
démocratie en Algérie (le viol de la Constitution n'étant que la partie émergée
de l'iceberg).
En effet, le chef d'Etat conserve, au-delà de
l'écran politique du pluripartisme affiché, la haute main sur les institutions:
il pourvoit aux postes élevés de l'Etat - civils et militaires -, il nomme et
destitue le chef du gouvernement qui est responsable devant l'Assemblée, il
peut procéder à la dissolution du Parlement avec lequel il a l'initiative des
lois. Le président de la République demeure donc le centre «dictatorial» du
pouvoir, ne fût-ce que du fait de son irresponsabilité politique; ainsi,
échappe-t-il à tout contrôle populaire. En ce sens, depuis l'indépendance, les
différentes Constitutions algériennes sont constantes. Evoluant dans le cadre
d'un régime présidentialiste, le modèle de développement élaboré par le Conseil
de la Révolution et poursuivi dans la perspective d'une politique dite
«changement dans la continuité», a sécrété un capitalisme d'Etat bureaucratisé
et situé à la périphérie de l'économie mondiale de marché.
Dès son accession au pouvoir, chaque équipe
au pouvoir s'emploie à annoncer de «grandes réalisations» (voire des plans de
relance qui ne sauraient faire office de politique économique), feignant
d'omettre les déséquilibres profonds et sérieux vécus au quotidien par le
commun des citoyens. L'autoroute est-ouest est devenue un fétiche. La fracture
sociale, culturelle et politique ne semble pas incommoder outre mesure nos
dirigeants politiques; ils n'ont pas hésité, en son temps, à désigner à la
vindicte publique les exploitations agricoles (autogérées et coopératives) pour
corroborer leur analyse militant en faveur d'une politique économique dont le
secteur privé doit devenir la pierre d'angle au détriment du secteur public qui
a servi de tremplin aux différentes fractions de la bourgeoisie algérienne pour
asseoir leur hégémonie, et à l'ombre duquel des fortunes colossales se sont
constituées. «L'après-pétrole» étant devenu depuis longtemps le leitmotiv de la
stratégie politique du pays, avec pour toile de fond la réorientation de la
doctrine économique.
Les grands axes en sont connus: la
transformation des grandes entreprises (type Sonatrach), l'appel au secteur
privé et au capital étranger et la relance de l'agriculture par la remise des
terres nationalisées à leurs propriétaires. Cette nouvelle vision de l'économie
conduit à une remise en cause au niveau des alliances. L'affairisme d'Etat
favorable aux couches bourgeoises sert de soubassement à cette réorientation.
Contre mauvaise fortune, le régime fit dès après 1988 le diagnostic de ses
propres maux. Inaugurant ce mea-culpa, le chef de l'Etat d'alors eut à évoquer
une perte de revenus. Il annonça des mesures destinées à réduire les achats à
l'extérieur et un programme d'austérité en matière de dépenses publiques. Par
ailleurs, la faible rentabilité du parc industriel - devenu un secret de
polichinelle car tournant à environ 30-40% de ses capacités - s'accompagna
d'une baisse sensible de la production agricole nationale, ne couvrant plus que
40% des besoins alimentaires dont 60% sont assurés par les importations au
niveau des cultures céréalières, maraîchères et l'essentiel des viandes rouges.
Par ailleurs, le secteur privé s'est élargi,
de plus en plus depuis, à l'agriculture, la pêche, la transformation, la
construction, le commerce et les prestations de service. Contrairement à la
Tunisie et au Maroc, l'Algérie a peu d'arboriculture fruitière et l'élevage
reste une activité traditionnelle et cantonnée aux nomades ou semi-nomades des
Hauts Plateaux et du Sud. De la même manière, un domaine aussi vital que celui
de l'habitat est abandonné au pouvoir de l'argent alors que, du fait du
dépeuplement des campagnes, le taux de croissance annuel de la population
urbaine oscille autour de 6% contre 4,5% au Maroc et 4% en Tunisie. Pour
étoffer cette politique dite «pragmatique» entamée avant les «événements»
d'octobre 88, le pouvoir en place s'est doté d'un arsenal juridique en vue
d'asseoir, d'une manière durable, une économie de marché qui devait constituer
l'infrastructure de ses réformes. La principale de ces lois concerne la monnaie
et le crédit qui introduit la possibilité pour les entreprises de transformer
leurs obligations provenant de dettes ou de créances, en actions.
En outre, la
convertibilité du dinar comme préalable à la relance économique, devait «rendre
à la monnaie nationale sa valeur réelle», sachant que la sphère informelle
détient en toute vraisemblance plusieurs milliards de dinars échappant
totalement au circuit bancaire». Par ailleurs, la situation des entreprises
nationales est désastreuse; à titre illustratif, «Air Algérie» a eu à
enregistrer un déficit de 800 à 900 milliards de centimes. S'agissant de la
dette extérieure (43% du PNB), elle était financée par les exportations des
hydrocarbures (96%), absorbant 40% des investissements. D'après la Banque
d'Algérie, le service de la dette pour 1990 a été de 7 milliards de dollars
entre principal et intérêts, soit 60% des recettes d'exportation. Pour
refinancer celle-ci, l'Algérie avait alors demandé au Crédit Lyonnais, d'être
le chef de file d'un consortium bancaire international chargé de lever un
emprunt de 2 milliards de dollars pour «pallier le remboursement du service de
la dette sans sacrifier la croissance économique». Certes, la dette est résorbée,
mais sans doute au détriment des investissements.
La politique économique algérienne - ou ce
qui en tient lieu - semble privilégier l'aspect monétaire, l'objectif
fondamental des réformes devait concerner «la réduction de la masse monétaire
dont les instruments principaux sont le flottement du dinar, l'inflation et le
drainage de l'épargne par une réorganisation du dispositif bancaire». En vain.
La traduction de cette politique économique pousse le pouvoir à mettre en place
un marché financier et une bourse, à la refonte du code de commerce
relativement à l'émission des valeurs mobilières, à libérer plus de 90% des
prix et à pousser les dirigeants des banques et des entreprises à jouer le rôle
de propriétaires en économie de marché. A cet égard, M. Hidouci, ex-ministre de
l'Economie, a pu dire: «Nous avons obtenu du FMI et de la Banque mondiale
qu'ils déclarent notre programme juste du point de vue de l'orthodoxie
économique... Ce qui est attendu de nous, en réalité, c'est de privatiser». Or,
la dénationalisation du secteur public n'assure-t-elle pas un ticket pour une
«solution à la polonaise»: 1 million de chômeurs et 1.000% d'inflation en 5
semaines (1,4 million pour l'ex-Yougoslavie et 2 à 3 millions pour l'ex-RDA).
Ainsi, il est
loisible de constater au grand jour des différenciations sociales jusqu'ici
inégalées, y compris chez les couches moyennes. De fait, il semblerait que les
cadres moyens et supérieurs, dans les entreprises et les administrations,
souffrent tout comme les catégories sociales à bas revenus. Ainsi, si ces
cadres ne contestent pas les «vertus thérapeutiques des réformes» et marquent
leur préférence pour l'économie de marché jugée plutôt efficace, ils redoutent
néanmoins l'inflation et la dévaluation du dinar, l'aggravation du chômage et
la gestion des relations de travail devenues difficiles. Sans doute, comme l'a
remarqué M. Benissad, (économiste), «Ce n'est pas parce qu'on a augmenté les
taux d'intérêts, déprécié le taux de change, ou libéré les prix que l'on va
résoudre les problèmes vrais que vit l'économie algérienne». C'est le cas de
l'Argentine et du Brésil, deux géants aux pieds d'argile.
Face à la montée du péril social, l'état
d'urgence qui mit fin à la «récréation démocratique» (sorte de démocratisation
«spécifique») et mit l'Algérie face à un syndrome tout à la fois libanais -
déliquescence de l'Etat - et polonais - crise économique aiguë -, La Mecque des
révolutionnaires hésiterait-elle entre une «solution à la chilienne» et une
révolution des oeillets ?
* Avocat-auteur
algérien
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Posté Le : 08/10/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Ammar Koroghli *
Source : www.lequotidien-oran.com