Algérie

L'appel de la sirène...



Jamais le phénomène de la harga n'aura été aussi bien raconté que dans ce roman de 242pages, signé Saïd Saâd. Intitulé «Les rescapés de Pula», ce roman aborde avec force détails l'histoire d'un jeune candidat à l'émigration clandestine avec de menus détails, de son embarcation de fortune, sa traversée et de la misère rencontrée une fois mis le pied sur le sol ainsi que ses mésaventures, entre déception et coups durs, rencontrés au bout du tunnel avec son lot de désenchantements pour les personnes sans papiers comme lui. Il s'appelle, en effet, Mokhtar, il vit avec sa mère. Son père et son grand frère sont décédés. Ses deux soeurs sont mariées. Cela fait quatre ans qu'il attend une réponse de la part de l'Ansej.En vain. Avec des amis du quartier, il tente tant bien que mal d'écouler une marchandise au niveau du marché «Tnache» de Bab El Oued. Ses amis comme lui rêvent de partir pour se libérer du poids de ce quotidien où tous les jours, des plus ternes se ressemblent. Mokhtar a bien un oeil sur sa jolie voisine Naziha, mais il n'a pas les moyens pour se marier avec elle. Un jour, après avoir bien réfléchi, il décide de voler le bracelet de sa mère pour compléter le montant de la traversée et le voila, en direction d'Annaba, la nuit, embarquant seul, son ami Fateh, l'ayant lâché à la dernière minute, car sa mère est malade. Sur cette embarcation de fortune, Mokhtar rencontre tout type de gens, des jeunes oisifs, un homme plus aisé que lui, des Subsahariens et même une femme avec son enfant.
Le petit bateau vogue vers la Sardaigne, destination l'Italie. Une fois arrivé là-bas, Mokhtar pense aller vers Milan revoir ses amis algériens ou à Marseille, ces derniers lui ont vanté grandement la qualité de vie en Europe...Mais va t-il vraiment y arriver'
Mésaventures et rêve suspendu
Saïd Saâd est journaliste et traducteur de formation, l'on comprend sans doute son souci des langues au niveau du choc entre les populations, mais surtout sa façon qu'il a de bien analyser la situation de l'émigration clandestine en Algérie. Non, les raisons de partir ce n'est pas tant le manque d'argent ou le besoin sidéral de matériel, de trouver du travail,mais c'est encore beaucoup plus profond que ca..Si les jeunes veulent à tout prix partir, quitte à périr en mer, c'est pour recouvrir un semblant de dignité en espérant vivre comme tous les jeunes de leurs âges, c'est-à-dire, s'épanouir, aimer et grandir, évoluer, fonder un foyer, s'en sortir en devenant des hommes à parts entière, loin des regards inquisiteurs des traditions et des coutumes conservatrices, des aléas sociopolitiques qui empêcheraient un individu de se réaliser complètement.
Des travers qui poussent tout compte fait à l'étouffement même chez soi dans son pays, alors qu'il est entouré de sa famille...mais Saïd Saâd ne s'attarde pas à évoquer la frustration seule du cas de Mokhtar,au contraire il décline différents profils qui laissent entendre la gravité de cette
tragédie humaine, qui causent par ricochet de gros problèmes une fois arrivés à destination, dans les pays européens, poussant, parfois, ces derniers à bafouer les règles des droits de l'homme...
Vivre là-bas et crever
Dans «Les rescapés de Pula», Mokhtar résiste à différentes épreuves et décide, une fois à bout de souffle, de rentrer au bercail, mais le destin s'acharnera contre lui. Pour autant, le roman laisse une fin ouverte... Mokhtar aura payé au prix fort son rêve d'évasion, transformé en désillusion.
Une chimère qu'il regrettera amèrement. Ceci est toutefois le parti pris de l'auteur qui, loin de brosser un tableau édulcoré de l'immigration clandestine, choisira de donner à voir et à ressentir un cadre des plus noirs, sinistre et pénaud, bien que flanqué de réalisme accru car le roman de Saïd Saâd est prenant. Il se lit vite tant nous sommes happés par ce qui arrive à Mokhtar. Nous vivons avec lui chaque dur moment, tout comme nous respirons mal avec lui et éprouvons ses hauts-le-coeur, son mal de mer ou ses émerveillements lorsqu'il est devant ces jolies scènes de baleines en haute mer et ou de ciel étoilé...
L'auteur fait en sorte que le lecteur se prenne de pitié pour Mokhtar quand il sera mis au centre de détention en Italie ou quand il tombera malade... Tout est soigneusement bien décrit dans ce roman qui nous tiendra en haleine jusqu'à la fin, et ce, malgré la lourdeur du format de sa pagination, qui s'allège au fur et à mesure que nous avançons dans notre lecture....
Notons que Saïd Saâd n'est pas à son premier essai en écriture, Il est l'auteur de deux romans, à savoir «Parfums d'une femme perdue», paru aux éditions Thala en 2010 et «les tranchées de l'imposture» (2018) éditions Dar El Othmania. Avec «Les rescapés de Pula», il aborde le thème de l'émigration clandestine, un sujet d'une brûlante actualité tant en Algérie que dans d'autres régions du monde et dont il réussit avec brio d'en restituer le pouls et l'image avec une plume remarquable.


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)