Algérie

L'ANP ne veut plus qu'on l'appelle SNP


Une ! Deux ! Une ! Deux ! l'ANP, l'Armée algérienne, n'est pas muette ! Esgourdez-le, braves gens, l'Armée nationale populaire parle. Elle en a même ras la casquette, jusqu'à la jugulaire dorée, de se faire traiter de muette. Surtout quand certains adjoignent l'adjectif «grande» à ce qualificatif dépréciatif. Elle le voit même comme un jugement de valeur morale posé sur un sous-entendu politique lourd de sens. Une épithète infâme qui ne l'honore pas. Et, bien entendu, qui ne grandit guère ceux qui l'utilisent continûment et avec incontinence. Elle l'a donc fait savoir par un texte récent aux journalistes algériens, d'une rare courtoisie militaire. Un tenez-vous-le pour dit à ces pies-grièches cancanières qui continuent de l'appeler muette quand son silence radio les intrigue. Pourtant, elle a un nom, l'armée algérienne. Comme un vin ou un produit de terroir labellisé, c'est même une AOC ou bien, si l'on veut, une AOG. Une appellation d'origine contrôlée ou une appellation d'origine garantie. Alors elle veut qu'on l'appelle ANP. A.N.P., pour Armée Nationale Populaire. C'est un nom ce sigle, pas un S.N.P., l'obscur Sans Nom Patronymique que des Algériens avaient inscrit en trois lettres froides, sur leurs fiches d'état civil, au lendemain de l'Indépendance. L'ANP, c'est le nom de la glorieuse ALN, une fois l'indépendancerecouvrée. Alors que ces indécrottables journalistes l'appelaient toujours Muette, sans qu'elle s'en formalise, voilà que l'Armée ne veut plus l'entendre de cette oreille. Elle se fait même pédagogue à l'endroit de ces gros lourdauds de folliculaires qui, par «volonté de se distinguer et par insouciance de lexique (sic !)», parlent toujours d'une entité silencieuse qui aurait été privée de parole. C'est connu, quand les journalistes algériens, qui, parlons-en, maîtrisent peu l'abécédaire de l'ANP, n'ont rien à dire de précis à son sujet, ils parlent alors d'une muette, une taiseuse forcément grande. C'est que, dans la mare aux canards, on a pris l'habitude d'utiliser des mots-valises dans lesquels on fourre tout et rien. C'est-à-dire peu de faits et rarement du sens. D'où l'usage répétitif du mot composé grande muette, inventé par le Canard Enchaîné durant la Première Guerre mondiale. Comme les journalistes sont paresseux et moutonniers, ils en ont usé et abusé sous toutes les latitudes même quand les armées sont au pouvoir, font la guerre et organisent des coups d'Etat. Ce composé lexical unifié est donc français d'origine. Il qualifiait naguère une armée qui, avant 1945, n'avait pas le droit de voter, de s'exprimer publiquement, de se syndiquer ou d'adhérer à des partis. Ceci dit, n'aurait-il pas été plus judicieux de se demander si on était, ici ou là, en présence d'une grande inconnue plutôt que d'une grande muette ' Car, en Algérie comme en France, en dehors du cadre institutionnel et prescriptif, les militaires s'expriment à l'occasion, par voie de presse, parfois sous des noms d'emprunt.
Parole d'ANP, notre armée à nous, qui agit en silence, a toujours parlé. Certains de ces représentants, quand ils retrouvent l'usage de la parole publique, parlent parfois en l'air. Ils sont même bavards et bruyants : ils causent aux journalistes, écrivent ou se font écrire des livres où ils tissent la métaphore et filent l'anecdote. L'ANP, à savoir l'armée d'aujourd'hui, elle, possède des directions de la Communication, des relations publiques et des relex. Elle a même des généraux pour ça et une revue mensuelle interne, accessible aux journalistes. Le droit de s'exprimer lui est même garanti, sous condition, par la loi. L'ordonnance 06-02 de février 2006 permet aux militaires de dire des choses dans la presse, après autorisation de la hiérarchie. Tenus au respect de l'obligation de réserve, les militaires, qui ne sont pas des tombes ou des carpes, ne peuvent être candidats à un mandat électif. C'est juste qu'ils n'ont pas le droit d'adhérer à un parti, un syndicat, une association, pas plus qu'ils n'ont celui de faire grève, sauf la grève du zèle, même pas celle de la faim. La loi, le pouvoir et la patrie reconnaissante attendent d'eux discipline, loyalisme, esprit de sacrifice, abnégation, sujétion et
désintéressement. Si l'armée algérienne veut qu'on appelle désormais un chat militaire un chat militaire, est-ce à dire en l'occurrence qu'elle se normalise ' Qu'elle entend respecter scrupuleusement les normes fixées par l'ordonnance 06-02 de 2006 ' Hier, colonne vertébrale d'un pouvoir réel qui déléguait souvent sa représentation à une façade civile, l'ANP précise qu'elle veut être désignée par son nom. Et, fait nouveau, accepte que les journalistes fassent leur métier en la critiquant publiquement. Mais, à y regarder de près,
pourquoi insiste-t-elle pour qu'on l'appelle ANP ' Pourquoi s'offusque-t-elle d'être perçue comme une «grande muette» ' Précisément en cette période où le printemps politique parle arabe et où les armées, comme en Egypte, ne sont pas si muettes que ça. Comme les temps changent et que l'Algérie est à la recherche du temps démocratique perdu, l'ANP rajeunie, modernisée et technicisée, par définition moins politique que naguère, semble inspirée par George Clémenceau. Le Tigre, qui a séparé l'Eglise de l'Etat en France, a dit des militaires qu'ils peuvent «tout faire avec une baïonnette, sauf s'asseoir dessus !» Les nôtres, on en a la forte impression, ne veulent pas s'asseoir sur l'urne en mai 2012 ou en 2014. Contrairement à 1992 où on l'appelait encore, en ce temps-là, la Grande muette.
N. K.
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