Algérie

L'anonymat, la seconde mort



L'anonymat, la seconde mort
La foule sera immense à Cherchell pour un dernier adieu à la grande dame qui a tant aimé sa patrie et si bien chanté le courage des femmes algériennes. Assia Djebar, qui a «écrit en français mais aimé en arabe et en berbère», laisse une ?uvre dont la richesse l'a naturellement portée à l'universalité. Mais alors que la société civile n'a pas arrêté de lui rendre hommage, la plus haute autorité du pays, la présidence de la République, a gardé le silence.Il était pourtant de son devoir de réagir à cette grande perte pour le pays, car sa fonction essentielle est de traduire le sentiment national, celui de tous les Algériens qui, par culture bien ancrée, savent admirer tout ce qui est intelligence, savoir et talent.Davantage enclin à privilégier ses vues personnelles et ses calculs politiques, le président Bouteflika n'a pas semblé trop s'embarrasser de cette vertu de bonne gouvernance. Ses hommages sont devenus sélectifs, ce qui est injuste, voire scandaleux et hautement préjudiciable pour l'éducation des jeunes générations : elles voient leurs repères brouillés quand un message du chef de l'Etat, médiatisé par toute la presse publique, rend longuement hommage à un conseiller de la Présidence décédé et que le silence accompagne l'annonce de la mort d'une intellectuelle de haut vol, de surcroît membre de l'Académie française et plusieurs fois nobélisable.Le précédent d'une artiste décédée, Warda El Djazaïria, qui a bénéficié d'un hommage national et d'un enterrement dans le carré des Martyrs d'El Alia, s'il a été jugé excessif par d'aucuns, pouvait néanmoins laisser penser qu'en haut lieu a été reconnue une bonne fois pour toutes la nécessité de regarder d'un autre ?il les hommes et les femmes de l'art et de la plume : plus jamais ils ne vivront démunis et mourront dans l'anonymat ou l'indifférence, quelquefois dans la détresse sociale, souvent à l'étranger où ils finissent par trouver refuge, quelquefois pour mourir. Il n'en est malheureusement rien, les intellectuels et les artistes n'ont pas la considération qu'ils méritent.Lorsqu'ils ne sont pas méprisés ou otages de la politique, ils subissent de plein fouet les effets dévastateurs de l'indigence culturelle ambiante.Ce qui pourrait les préserver pour l'avenir, au-delà d'une révolution dans les mentalités, tant politiques que sociales, c'est à titre d'exemple la mise en place d'une institution de la République, une sorte de «panthéon» où leur mémoire sera préservée intacte, par décision de leurs pairs, uniquement eux, pour les éloigner des interférences des politiciens et des manipulations des dirigeants.Les gloires de la culture nationale auront leur place : Kateb Yacine, Slimane Azem, Mohamed Arkoun, Mohammed Dib, Tahar Djaout et tant d'autres. Gravés en lettres d'or, leurs noms seront autant d'étoiles lumineuses pour aider les jeunes Algériens à se frayer un chemin dans le ciel chaotique qui couvre le monde.




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