Algérie

L'amphithéatre de Cherchell



L'AMPHITHÉATRE

Après avoir jeté un coup œil sur les thermes de l'est, le visiteur n'aura qu'à suivre un sentier qui se détache à cet endroit de l'extrémité du champ de manœuvres, dans la direction du levant, et, après cinq minutes de marche, il arrivera à la hauteur de l'amphithéâtre, qui se trouve à une centaine de mètres sur la gauche. Ce monument servait dans l'antiquité aux combats de gladiateurs, aux chasses d'apparat, aux luttes contre les bêtes féroces. De forme ovale, selon l'usage, il mesure cent vingt mètres de long sur quarante de large ; les deux entrées se trouvaient aux extrémités du grand axe. Il y a une cinquantaine d'années, c'était le mieux conservé des édifices antiques de Cherchel, mais on y a pris tant de pierres, qu'il ne reste plus en ce lieu que quelques décombres, envahis par les oliviers, les aloès, les acanthes, les cactus, les absinthes ; au centre, s'étend un champ de maïs.

Plusieurs gradins sont encore visibles au nord- est. Un bas-relief, trouvé à Cherchel, nous fait connaître un certain Flavius Sigerus, maître des gladiateurs qui combattaient dans cette arène ; il est figuré debout, tenant à la main la longue baguette qui lui servait à tracer sur le sable les limites de l'espace assigné aux exercices de ses élèves. Un autre souvenir, plus intéressant, se rattache à notre amphithéâtre. Ce fut là qu'eut lieu le martyre de la vierge Martienne. On en a gardé le récit, écrit, il est vrai, longtemps après l'événement et entremêlé de détails fort suspects ; il mérite néanmoins quelque créance, car l'auteur qui le composa connaissait certainement très bien Césarée. Cette jeune fille, née à Rusuccuru, aujourd'hui Tigzirt, sur la côte de la grande Kabylie, était d'une rare beauté et d'une noble naissance ; cependant elle avait voulu se consacrer à Dieu. Étant venue à Césarée, elle y vivait loin du monde, dans une cellule. Un jour, pourtant, elle céda à la tentation de visiter la ville. Arrivée devant l'amphithéâtre, non loin de la porte de Tipasa, elle remarqua sur une place une statue de la déesse Diane, ornant une fontaine. Saisie de colère à la vue de cette idole, elle lui brisa la tête et la renversa. La foule s'empara d'elle, la roua de coups et l'entraîna auprès du gouverneur. Celui-ci ordonna qu'elle fût livrée à des gladiateurs, mais un mur qui s'éleva à plusieurs reprises entre eux et la vierge les empêcha d'attenter à sa chasteté. Au milieu de ces épreuves, elle fut insultée lâchement par un juif et par sa famille, dont la maison était voisine de la caserne des gladiateurs. Marcienne alors supplia Dieu d'incendier cette demeure, prière qui, comme nous allons le voir, fut exaucée. Le jour suivant, on la mena à l'amphithéâtre. Elle y fut attachée à un poteau et présentée à un lion, qui ne voulut pas d'elle. Mais le juif et ses amis, qui s'acharnaient contre elle, demandèrent à grands cris qu'on la livrât à un taureau : ce qui fut fait. La bête furieuse la blessa au sein ; puis survint un léopard, qui l'acheva. En ce moment même, la maison du juif prit feu. Bien souvent, plus tard, on essaya de la reconstruire, mais toujours elle retomba en ruines. - Sainte Marcienne périt ainsi le 9 janvier ou le 11 juillet, on ne sait pas en quelle année, ni sous quel empereur. Aux yeux des docteurs de l'Église, l'acte qu'elle avait commis était répréhensible : ils condamnaient le zèle téméraire des chrétiens, qui couraient au-devant de la mort en renversant des idoles et risquaient, par leur imprudence, d'attirer de grands malheurs sur toute la communauté. Cependant de tels traits d'héroïsme excitaient tant d'admiration parmi les fidèles, que l'autorité ecclésiastique devait souvent céder à la pression du peuple et accorder le titre glorieux de martyrs à ceux qui étaient morts pour ce motif. La mémoire de Marcienne fut vénérée non seulement en Afrique, mais même en Espagne, en particulier à Tolède, où l'on composa à sa louange une hymne que nous avons conservée.

A peu de distance de l'amphithéâtre, se trouvait, comme nous l'apprend l'écrit que nous venons d'analyser, la porte de Tipasa : de là partait la route qui allait rejoindre cette ville et, plus loin, lcosium (Alger). Des deux côtés de la chaussée, s'étendaient de vastes cimetières, où l'on a trouvé un très grand nombre de tombes païennes et chrétiennes, semblables à celles des cimetières occidentaux dont nous parlerons tout à l'heure. L'une de ces sépultures était recouverte d'une mosaïque où l'on voyait Orphée charmant les animaux par sa divine musique : image commune aux chrétiens et aux païens, car elle était, pour les uns et les autres, l'affirmation de la croyance à l'immortalité de l'âme, qu'Orphée passait pour avoir enseignée aux hommes.



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