Algérie

L'amour du cinéma et surtout l'amour d'un pays


L'amour du cinéma et surtout l'amour d'un pays
Saïd Ould-Khelifa (à gauche) fait ses premières armes de cinéaste avec René VautierL'Algérie, ce pays pour lequel il a donné les plus belles années de sa vie et a éclairé la mienne... Donc comme tu le disais, si bien, à la fin de chacune de tes lettres, René: «Paix et fraternité»...René Vautier a contribué à faire de l'image un vecteur de transmission de ce qui ne va pas dans la société, dans le monde... Dans la sphère méditerranéenne il fut pratiquement un précurseur, un pionnier... Vautier a été là où Jean Rouch, le cinéaste-anthropologue, avait mis un«filtre» sur son objectif, que ce soit en Afrique noire («Afrique, 50») ou au Maghreb, et donc en Algérie...J'éprouve aujourd'hui un sentiment de tristesse et de fierté mélangées...Tristesse parce que je sais que je ne le retrouverais plus, pour nos rencontres biannuelles au cours desquelles, le prétexte d'un film ou, (comme la dernière fois) d'une bd inspirée de sa vie, donnait occasion à le faire parler (ce qui n'était pas, en soi difficile, René étant un admirable conteur, mais pas du tout un affabulateur, contrairement à certains de ses contemporains).Triste aussi parce que mon pays, qui est aussi le tien, (sa qualité de Moudjahid lui a été reconnue officiellement) ne lui a pas présenté des excuses officielles, pour l'avoir mis injustement en prison (25 mois, à Denden, banlieue de Tunis) lui faisant ainsi payer les frais des querelles intestines qui commençaient déjà à miner le mouvement de libération de l'intérieur... René fit une grève de la faim, au point de devenir assez filiforme pour réussir à se faufiler, par la petite fenêtre de sa cellule et parcourir à pieds une vingtaine de kilomètres, pour finir par téléphoner à la permanence du Gpra, rue des Entrepreneurs à Tunis, leur demandant de venir le chercher...Leur prouvant ainsi son innocence, sa loyauté, à l'égard d'une cause qu'il avait choisie de son plein gré. Celle de la Révolution de Novembre... cet «embastillement» s'était passé au moment où ses premières images filmées sur la ligne de feu, du côté de la Base de l'Est, étaient diffusées à l'international.Je l'ai retrouvé en France où il poursuivait sa lutte aux côtés des ouvrières bretonnes, des dockers, des immigrés... Mais le moment le plus fort a été, sans conteste, le procès que lui intenta Le Pen... J'avais peur pour lui, le tortionnaire de la Casbah étant aussi un redoutable rhéteur... Je m'accrochais tout au long de ce procès, à ce regard si caractéristique de Vautier... Cet oeil, au léger sourire permanent en bord de cils... Il gagna cette manche historique qui avait eu pour terrain, le Palais de justice de Paris!Reste le plus doux des souvenirs, celui qui avait surgi, autour d'un plat de pois chiches, lors d'un déjeuner à Tébessa, durant un festival de cinéma que l'infatigable Harize et son association, organisaient vaille que vaille au début de la tourmente en 1993. «Ça ne vaut pas les pois chiches du maquis» glissa René entre deux lampées de ce chaud bouillon, prenant à témoin, son collègue Pierre Clément (un autre «Juste»), Et la jonction fut faite!...: René Vautier, c'était donc ce «Français breton-chaoui», dont mon père éclaira, à l'aide d'une lampe tempête, une des premières incursions de l'ALN sur la meurtrière Ligne Morrice. René Vautier, celui qui passa, plus tard à l'épicerie paternel, au village, à Aïn-Draham (Tunisie), Q-G du FLN, pour m'emmener au maquis, un samedi, pour la séance bimensuelle de cinéma, m'ouvrant ainsi les portes de mon premier ciné-club. Bien des années après, il me fit cadeau d'une photo d'une de ces projections mémorables à laquelle je m'étais donc «abonné» et où, entre deux cuillerées de soupe aux pois chiches, je suivais d'un oeil les péripéties de L'Ange Bleu ou du Soldat noir et de l'autre le chemin sinueux des larmes qui coulaient des yeux du moudjahid qui me tenait serré dans ses bras...D'une certaine façon, je lui dois aussi ça à Vautier, l'amour du cinéma et surtout l'amour d'un pays. L'Algérie, ce pays pour lequel il a donné les plus belles années de sa vie et a éclairé la mienne...Donc comme tu le disais, si bien, à la fin de chacune de tes lettres, René: «Paix et fraternité»...


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