Algérie

L'aller simple



L'aller simple
«La mort est un manque de savoir-vivre.» Alphonse AllaisA mesure que l'on prend de l'âge, le chemin qui mène au cimetière devient de plus en plus familier. Et le cercle des amis et des collègues se resserre à une vitesse vertigineuse: la mort est une chose naturelle et tout le monde l'accepte avec résignation... Cependant, il y a des gens qui acceptent avec «philosophie» cet inéluctable moment qui vient mettre un terme à une vie jugée trop courte, même si elle a été bien remplie. Fatalistes, ils s'en remettent à la volonté du Tout-Puissant et espèrent Son Indulgence: ceci pour ceux qui croient en une autre vie dans l'au-delà.Par contre, il y a des gens qui n'arrivent pas à se faire à l'idée qu'un jour ils devraient plier bagage et quitter ce bas monde. Ils n'acceptent pas le fait, qu'ils soient riches ou misérables, qu'un jour ils devraient cesser de respirer l'air pur ou l'air pollué, de jouir de la vue des choses belles ou laides, qu'ils ont le plaisir d'aimer, de haïr ou de mépriser...Ce sont des gens qui n'ont pas été atteints par ce qu'on appelle la sagesse, c'est-à-dire qui possèdent l'art de s'accommoder à ce à quoi on ne peut pas échapper. Il y en a même qui se préoccupent de ce qui sera «l'après-eux». Les plus soucieux envisagent leur trépas avec le souhait modeste et vain de pouvoir disposer du privilège de «revenir» de temps en temps pour «jeter un coup d'oeil» sur ce qui se passe ici-bas, comme pour s'assurer des dernières recommandations faites aux successeurs ou de la fidélité de ceux qui lui ont juré un attachement éternel comme les enfants ou le conjoint.Certains se voient toujours à la même table où leur place restera vide, imaginant des commentaires ironiques ou nostalgiques des amis qui ont survécu et qui ne manquent pas de leur envoyer une bénédiction à chaque libation. Les plus consciencieux, ceux qui ont toujours souhaité qu'on garde une bonne image d'eux, ceux qui ont soigné comme ils peuvent leur réputation et qui ont pesé tous les jours qu'ils peuvent leurs paroles et leurs actes, aimeraient savoir ce que l'entourage ou l'opinion dira d'eux, une fois partis. Evidemment, on passera rapidement sur les quidams qui ne survivent que dans la mémoire de quelques proches.Attachons-nous plutôt aux hommes célèbres, qu'ils soient politiques ou artistes, aigrefins ou philanthropes célèbres: la mémoire collective gardera une image changeante comme ces photographies de mauvaise qualité dont l'émulsion se dilue petit à petit dans le gros grain ou le jaunissement. Tel homme politique, qui a sévi durant tout son mandat contre la classe ouvrière, qui a mené une vie de pacha quand l'ouvrier ou le salarié était menacé chaque jour de chômage, de surendettement ou d'expulsion de son logement, est vite reconnu comme un excellent homme d'Etat une fois qu'il ait avalé son bulletin de naissance. On a oublié l'inflation et la manipulation des chiffres du chômage ou de l'emploi, les petites entorses qu'il a faites à la Constitution ou aux droits les plus élémentaires... C'est fini, il est mort. C'était un brave type. Peu de temps après, quand le temps sera passé sur les mauvais souvenirs, il sera embaumé puis canonisé. Il en est de même pour l'artiste qui a souffert du mépris, de la censure, de la faim quand il proposait ses oeuvres aux marchands du Temple. Une fois mort, ces mêmes marchands le mettent au pinacle, ne jurent que par lui et citent à qui mieux mieux ses «sorties» célèbres.En un mot, il suffit de renvoyer le lecteur à la chanson de BrassensLe Temps qui passe, pour comprendre que les morts sont tous des braves types.




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