Algérie

"L'Algérie, un sujet passif, un instrument..."



Liberté : Dans votre réaction au vote d'une motion sur l'Algérie par le Parlement européen, vous avez estimé que les députés européens ont utilisé le mouvement en cours en Algérie à des fins électoralistes. Pouvez-vous expliciter davantage vos propos 'Soufiane Djilali : Ma réaction a fait suite au débat des parlementaires européens sur l'Algérie. Tout le monde a vu qu'au final la grande majorité des interventions s'était focalisée sur la question religieuse. La fermeture de lieux de culte clandestins a été la priorité de ces députés. Il est même un intervenant qui a fait l'éloge des 130 années de présence coloniale durant lesquelles il y avait "une entente entre les communautés religieuses" opposant ainsi cette période à celle de l'indépendance. Je ne voudrais pas reprendre ici les déclarations des représentants de l'extrême droite. Chacun a voulu, à travers la situation en Algérie, donner du relief à sa propre idéologie. Au final, les Algériens, qui se sont mobilisés depuis le 22 février, sont utilisés par des politiciens pour conforter leurs propres thèses. Dans cette affaire, l'Algérie était un sujet passif, un instrument. Cela n'est pas acceptable. Les Etats fonctionnent sur la base de leurs intérêts. Avez-vous vu une seule condamnation du régime Bouteflika lorsqu'il y avait une prédation sans limites des richesses nationales ' Pensez-vous qu'il y avait la démocratie, l'Etat de droit et le respect des libertés avec l'alacrité de Bouteflika ' L'Algérie doit avoir des relations amicales avec la rive Nord de l'Europe. Mais je pense que l'Europe ne nous voit qu'à travers la lâcheté et la veulerie de nos dirigeants. Je condamne d'abord le pouvoir algérien qui a mis le pays dans cette situation humiliante. Et je n'accepte pas que l'Algérie devienne l'objet de discussions des autres.
La motion votée, qui n'est nullement contraignante pour les Etats, s'est focalisée sur les violations des droits de l'Homme, les atteintes aux libertés, les intimidations, la répression?, ce qui constitue en gros une partie des revendications exprimées dans la rue par les Algériens. On peut donc y voir l'expression d'une solidarité des parlementaires européens. Qu'en pensez-vous '
C'était la moindre des choses qu'ils reprennent les revendications du hirak. Mais à quoi servirait cette motion ' Est-elle en mesure de faire libérer les jeunes porteurs de l'emblème amazigh ' De libérer Lakhdar Bouregâa et tous les autres détenus ' L'Algérie traverse un moment très délicat. Le régime Bouteflika s'est effondré. Notre crainte est que l'Etat algérien lui-même soit entraîné dans cette chute. Ces positions, Jil Jadid les a répétées des dizaines de fois avant le 22 février. Les écrits sont là. Ce n'est donc pas une position nouvelle. Nous devons aider le régime à s'en aller, non pas pour ses beaux yeux, mais parce que l'intérêt vital de l'Algérie est qu'elle reste maître de son destin. Lorsque dans un conflit interne apparaissent des forces étrangères, malgré toute leur bonne foi, le jeu sera forcément faussé et au détriment du pays. Je suis pour l'établissement de relations fortes avec nos partenaires. Nous avons, les uns et les autres, des intérêts croisés. Je sais les vicissitudes de l'histoire et les rapports géopolitiques. Je veux pour mon pays une souveraineté assumée dans un environnement apaisé et économiquement rentable pour tous.
La question du respect et de la promotion des libertés, des droits de l'Homme entre autres, a été consignée dans l'accord d'association entre l'Algérie et l'UE. Cela n'autorise-t-il pas le Parlement européen à être regardant sur le respect par l'Algérie de ses engagements '
Le régime politique qui a négocié ces accords était en état de faiblesse rédhibitoire. Les concessions faites ont été mal négociées. Au final, cet accord n'a pas permis à l'Algérie de se développer. Elle est devenue une plateforme commerciale ouverte sans aucune protection pour notre production interne. Par ailleurs, il faut sortir des discours illusoires : les pays européens, comme le reste des pays dans le monde, ont leurs propres difficultés internes, leurs propres moyens de contrôle des populations. Il n'y a pas de liberté absolue. L'Algérie doit faire des progrès dans le respect des droits humains, des libertés et de la démocratie. Les Algériens ont montré une exceptionnelle maturité dans le hirak. Comparaison n'est pas toujours raison, mais avouons tout de même qu'en neuf mois nous n'avons pas vu ces scènes de violence que d'autres nations vivent ces derniers temps. Je ne veux pas que les gens se méprennent sur ma position. Je suis contre le pouvoir actuel et je travaille pour un vrai changement. Mais je dois agir en toute conscience et en toute lucidité.

Propos recueillis par : Mohamed Mouloudj


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