Algérie

L'Algérie numérique en panne


Le report de l'examen du projet de loi sur les télécommunications, acquiescé dimanche par la commission des transports et des télécommunications à l'Assemblée populaire nationale (APN), renforce le statu quo qui prévaut dans le secteur des technologies de l'information et de la communication (TIC).Après ce report inexpliqué, plusieurs acteurs du secteur (experts en TIC, start-up, juristes et opérateurs privés) craignent un autre retard inutile au moment où le secteur des télécoms en Algérie amorce un deuxième virage, après celui de l'an 2000 consacrant la libéralisation de la téléphonie mobile.
Houda Imane Feraoun, ministre de la Poste, des Télécommunications, des Technologies et du Numérique (MPTTN), a précisé dimanche dernier devant la commission présidée par Chaabane El Ouaer que la reformulation de la loi 2000-03 avait pour objectif de «s'adapter aux exigences sociales et économiques sur les plans national et international ainsi qu'aux développements techniques et technologiques enregistrés depuis l'année 2000», rapporte l'APS.
Selon elle, la nouvelle loi consacre la séparation des activités de la Poste de celles des télécommunications, l'ouverture du marché à la concurrence, la création d'une entreprise des télécommunications et d'un établissement en charge du réseau et des activités de la Poste, en l'occurrence Algérie Poste outre la création de l'Autorité de régulation. Ainsi, l'avant-projet de loi sur la poste et les communications électroniques ? nouvelle terminologie incluse dans le texte proposée à l'APN ? devrait mettre fin définitivement au monopole de l'opérateur historique Algérie Télécom sur la boucle locale, en consacrant le concept du dégroupage.
«Les opérateurs de réseaux de communications fixes ouverts au public sont tenus, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires, de donner suite aux demandes de dégroupage de la boucle locale formulées par les opérateurs de services de communications électroniques titulaires d'autorisations générales conformément à la présente loi», stipule l'article 92 de l'avant-projet de loi.
Pour Ali Kahlane, président de l'Association des opérateurs des télécoms alternatifs (AOTA), la précédente loi (2000-03) a déjà consacré une ouverture effective du marché, et ce, jusqu'en 2004. Il rappelle, à ce propos, qu'une centaine de sociétés, Internet service providers (ISP) et Fournisseurs d'accès internet (FAI), a été créée entre 2002 et 2005, avant de se voir éjecter du «marché», souvent de manière brusque et sans aucune explication de la part des instances officielles. Présentement, quatre entités privées activent encore sur le marché.
Textes d'application
M. Khalane estime que le report de l'examen du projet de loi sur les télécommunications apporte, encore une fois, la preuve que les pouvoirs publics continuent de considérer que «la technologie est l'apanage exclusif de l'Etat». Il constate que le secteur des télécoms est otage de «considérations politiques», le cadre juridique n'étant pas un écueil majeur dans sa conception actuelle.
Il rappelle, à ce propos, que la loi 2000-03 a été concoctée à partir d'une mouture élaborée, à l'époque, par la Banque mondiale en collaboration avec des experts nationaux. «Les dispositions contenues dans cette loi sont presque les mêmes que celles adoptées dans des pays européens et du Maghreb. Ils vont dans le sens d'une ouverture du marché, la création de solutions alternatives et la promotion des activités des start-up», explique-t-il.
«Concrètement, la loi 2000-03 n'a pas besoin d'être remplacée du moment qu'elle n'a pas connu d'application sur le terrain. La nouvelle loi, même si elle venait à être adoptée, connaîtra le même sort que la précédente. En Algérie, il est important de mettre en application les lois promulguées, car sans cela aucun secteur d'activité ne peut évoluer correctement», explique-t-il. Il fait remarquer, d'ailleurs, que le lancement du service Wifi Outdoor, annoncé lundi dernier par Houda Feraoun, est la meilleure preuve de ce que peut permettre la loi 2000-03.
«Le cahier des charges pour le Wifi Outdoor a été lancé il y a plus de 18 mois par l'ARPT. Il n'a pas fallu attendre une nouvelle loi pour lancer ce genre de services alternatifs. Ce qui prouve que le cadre juridique actuellement en vigueur autorise, théoriquement, bon nombre de projets et d'activités dans le secteur des TIC», note-t-il.
Et d'ajouter : «En attendant le dégroupage de la boucle locale, qui est en fait permis par l'actuelle loi n°2000-03, mais impossible à mettre en ?uvre dans la pratique en l'absence d'une volonté ferme des pouvoirs publics, les différents intervenants dans le secteur des télécoms sont en droit d'obliger Algérie Télécom à jouer le rôle de grossiste de bande passante et permettre la venue d'opérateurs alternatifs.»
D'après les résultats d'une étude récente réalisée par l'AOTA, la consommation numérique des Algériens de la bande passante provient principalement du streaming vidéo, de films HD et autres YouTube qui totalisent, uniquement pour ce dernier, plus de 10 millions d'abonnés avec un peu plus de 50 millions de vues par jour.
Cela en dehors des vidéos spécifiques à Facebook qui compte près de 18 millions d'abonnés algériens. Le reste est partagé par une utilisation des réseaux sociaux tels que Twitter
(750 000 abonnés), LinkedIn (800 000 abonnés), Whatsapp et autres Instagram.
5% du PIB
Par ailleurs, la quasi-majorité des sites web et blogs algériens et des messageries algériennes sont hébergés à l'étranger. «L'absence de Data center spécialement équipé pour faire de l'hébergement aux normes internationales, capable de prendre en charge la demande nationale y est pour beaucoup», souligne l'AOPTA. Et de préciser que dans ces domaines à forte valeur ajoutée, «nos voisins ne sont pas en reste et enregistrent de 13% à 15% de parts des TIC à leur PIB. Alors que nous avons tout le mal du monde, pour le moment, à faire bouger les lignes au-delà des 5%, bon an mal an.»
Younes Grar, spécialiste des TIC, considère, lui aussi, que l'Algérie a toujours du mal à établir une feuille de route claire dans le secteur des télécoms et à admettre une ouverture ? inévitable ? du secteur des TIC. «La loi précédente n'a pas été appliquée», affirme-il. «Avec le nouveau projet de loi, nous avons l'impression qu'il existe une guerre d'intérêts qui se joue en arrière-plan. Nous assistons également à la résurgence d'anciens réflexes monopolistiques», ajoute-t-il.
Préconisant un large débat ouvert à l'ensemble des acteurs du secteur, M. Grar estime nécessaire d'accompagner les start-up et les opérateurs privés pour «asseoir une solide économie du numérique en Algérie». «L'actuel projet de loi a été élaboré en catimini. Beaucoup d'experts, d'économistes et autres acteurs du secteur n'ont pas été sollicités. Même l'ARPT n'a pas été consultée», confie-t-il.
Pour Me Hind Benmiloud, avocate d'affaires spécialiste des TIC, le secteur des télécoms mérite une plus grande attention de la part des pouvoir publics. «Je pense qu'on n'accorde pas suffisamment d'importance aux TIC dans notre pays au point d'élaborer un plan de stratégie nationale avec un budget conséquent, tant ce secteur concerne tous les secteurs politiques et économiques de notre pays», indique-elle à la revue Nticweb. La problématique des TIC relève, selon elle, plus du domaine technique que juridique.
«Il est question depuis 2010 de libéraliser le secteur. Mais cela n'a pas été fait. Cela aurait aidé à la mise en place d'un Global internet exchange (GIX), une infrastructure physique permettant aux différents fournisseurs d'accès internet (FAI ou ISP) d'échanger du trafic internet entre leurs réseaux autonomes grâce à des accords mutuels de ??peering''.
Le GIX aurait permis à ces fournisseurs d'optimiser leurs coûts et d'assurer un meilleur accès internet aux utilisateurs algériens à des coûts très réduits, voire gratuits parfois», fait remarquer Me Benmiloud. Pour Omar Hasnaoui, fondateur de la start-up HTA, le gel de la loi sur les télécoms fait perdre du temps et de l'argent à l'Algérie (voir entretien). Les reports successifs de la mise en application des textes de loi favorisent l'expansion du marché informel, dit-il.
«Le poids de l'informel dans le secteur de la télévision prive le Trésor public de ressources financières importantes (TAP, IBS, TVA?) qui se chiffrent en centaines de millions d'euros chaque année», révèle-t-il. Pour cet opérateur privé, l'interconnexion des réseaux et le dégroupage de la boucle locale devraient amorcer rapidement une évolution positive des indicateurs relatifs à l'économie numérique.
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