Algérie

"L'Algérie ne peut s'en sortir sans création monétaire"



Le professeur d'économie, Raouf Boucekkine, analyse à travers cet entretien les instruments de politique monétaire mis en avant par le gouvernement pour aider au financement des déficits publics à travers une coopération entre le Trésor et la Banque d'Algérie.Liberté : Le directeur du Trésor a évoqué récemment une coopération avec la Banque d'Algérie (BA) pour faire face aux déficits publics abyssaux, avec notamment le rachat de dettes publiques. En quoi consiste exactement cet instrument monétaire '
Raouf Boucekkine : Le rachat de la dette publique est une technique très éprouvée en Europe depuis la crise des dettes souveraines de 2012. C'est Mario Draghi lui-même qui a lancé l'OMT (Outright Monetary Transactions), le dispositif de rachat de dettes publiques européennes qui va sauver la zone euro.
C'est évidemment un financement monétaire totalement assumé d'autant que la menace déflationniste planait sur l'Europe.La crise du Covid-19 a encore remis au goût du jour ce type de financements par la Banque centrale européenne (BCE) d'abord, et plus surprenant, par la Banque d'Angleterre qui va même plus loin : elle finance directement le Trésor britannique depuis quelques semaines !
C'est de la planche à billets pur jus, mais convenez avec moi que planche à billets directe ou planche à billets indirecte (par rachat de dettes publiques et peut-être bientôt par annulation d'une partie de ces dettes), il n'y a pas d'autre solution, ni en Europe, et encore moins dans un pays englué dans un ensemble enchevêtré de crises comme l'Algérie.
Cette stratégie monétaire est-elle efficiente et appropriée pour financer les déficits en Algérie '
Que la Banque d'Algérie fasse la même chose que les autres banques centrales citées est tout à fait indiqué, cela fait plus de trois ans que nous le prescrivons avec le professeur en économie Nour Meddahi. L'Algérie a toutes les bonnes raisons pour passer par le financement monétaire dans la période actuelle. Que les plus hauts dirigeants du pays essaient de cacher le soleil avec un tamis, en affirmant que le pays n'aura pas recours à la planche à billets est une escroquerie intellectuelle.
Le pays ne peut pas s'en tirer sans création monétaire brute et brutale, qu'on l'appelle planche à billets ou pas. Ceci étant, tant qu'ils se contentent de plastronner et qu'ils laissent les experts compétents de la Banque d'Algérie calibrer les dispositifs, c'est déjà ça de gagné pour le pays. Cela évitera la frénésie des trois dernières années.
Il est aussi important que la coopération entre le Trésor public et la Banque d'Algérie se renforce sur des critères de moyen et long termes et des arbitrages assumés, et que ceux-ci s'imposent à la politique budgétaire du pays, le plus tôt serait le mieux.

Les refinancements de la Banque d'Algérie induisent-ils donc une expansion monétaire '
Bien entendu. Le refinancement par la Banque centrale consiste à fournir en liquidités ? soit en monnaie centrale ? les banques, en échange d'actifs comme des bons du Trésor, selon des modalités précises. Je ne sais pas de quelle "amélioration" du refinancement vous parlez, mais qu'il s'agisse de baisse du taux directeur ou d'élargissement de l'éventail des titres éligibles au refinancement, c'est ce qu'on appelle dans le premier cours de macroéconomie, une expansion monétaire.
Les instruments classiques de financements conventionnels par la Banque d'Algérie suffiront-ils à faire face aux déficits publics '
Je fais deux remarques à ce sujet. D'abord, il serait temps qu'en Algérie on dépasse ce débat stérile entre moderne et classique, entre conventionnel et non-conventionnel. Les temps ont changé, et le fonctionnement des économies aussi.
Tout le monde s'en rend compte. Même des experts très "conventionnels" comme Patrick Artus, qui est très loin de la gauche américaine et des "théories monétaires modernes" à la Warren Mosler, se rend bien compte que la théorie monétaire traditionnelle de l'inflation ne tient plus. Comment peut-on plaquer en Algérie des "machins" qui ne fonctionnent même plus en Europe et aux USA '
Il est évident que les "améliorations" dont on parle sont utiles pour financer l'économie et aider le Trésor, qui en a bien besoin. Je salue le rachat de dettes publiques, et j'attends de voir les détails. Mais ce n'est pas la BA qui sauvera l'Algérie, loin de là. Si la dynamique folle des déficits n'est pas enrayée, c'est la BA qui va finir par être très embarrassée, pour ne pas dire plus.

Entretien réalisé par : Akli REZOUALI


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