Algérie

L’ALGÉRIE NE PEUT PAS REPRODUIRE LE SUCCÈS AMÉRICAIN DANS L’EXPLOITATION DES GAZ DE SCHISTE



L’ALGÉRIE NE PEUT PAS REPRODUIRE LE SUCCÈS AMÉRICAIN DANS L’EXPLOITATION DES GAZ DE SCHISTE




En lisant l’article relatif à vos déclarations sur le gaz de schiste en Algérie, je ne pouvais décemment m’empêcher d’y apporter quelques remarques d’un non expert en la matière, mais qui reposent sur des données qu’aucun expert sérieux ne peut contester, particulièrement sur le plan économique. Le volet écologique étant apparemment assez loin de vos préoccupations immédiates et même habituelles.

Nonobstant votre statut actuel et passé, ainsi que vos motivations réelles ou supposées, je vais m’atteler à argumenter dans le sens inverse de vos déclarations, mais en prenant le soin d’étayer mon argumentaire par des faits et des chiffres précis, n’ayant pas la qualité «d’expert» officiel qui sous nos cieux permet d’affirmer ce qu’on veut sans être obligé de l’étayer, je ne peux compter que sur la véracité de ce que j’énonce en le présentant de manière assez claire et vérifiable.

Commençons par parler de ce que vous appelez un succès américain, en le plaçant dans le contexte géopolitique et économique états-unien.

Effectivement, les Etats Unis produisent environ 180 milliards de M3 de Shale Gaz, en ce moment, mais au prix de 500.000 puits creusés un peu partout entre le Colorado et la Pennsylvanie, soit une emprise au sol de quelque 100.000 KM2, qui représentent cinq fois la surface du Liban, et à un coût de production de 7$/MBTU, qui représente deux fois le prix de vente spot en ce moment qui est de 3,5 $.

Financièrement, ce n’est donc pas une affaire en or, mais dans le contexte américain, on peut considérer cela comme un «succès», pour plusieurs facteurs qui sont antinomiques avec le cas Algérien.

1- Les Etats Unis d’Amérique s’approvisionnent en gaz à partir de l’Afrique du Nord et du Moyen Orient, et vu leur position géographique, ils ne peuvent le faire qu’avec du gaz liquéfié, qui revient plus cher en comptant le transport et le procès de liquéfaction regazéification, ce qui le rend plus cher que le gaz de schistes, soit 8$/MBTU, et plus cher si on l’indexe sur le baril de pétrole jusqu’à 18 $/MBTU.

2- Les Etats Unis étaient un importateur net de gaz, et de ce fait ne pas exploiter ces gaz de schiste, aurait accentué leur dépendance de zones et de pays qu’ils se préparent à remodeler en profondeur, ils ne pouvaient donc se permettre de perdre un nouveau moyen d’autonomie et de pression sur leur anciens alliés et nouveaux ennemis depuis le 11 septembre 2001.

3- Les Prix actuels du marché spot, tombés au plus bas depuis justement cette exploitation des gaz de schistes, arrange les américains à double titre : se débarrasser de fournisseurs peu fiables et gênants politiquement, tout en cassant les prix et en réduisant de ce fait les revenus de ces pays ; et de ce point de vue, c’est un succès.

4- Le prix si cher à la production du MBTU de shale Gas Américain, et son prix si bas en spot, décourage l’intrusion de sociétés étrangères dans ce créneau, en laissant la part belle aux sociétés américaines, ce qui revient à dire que le moindre dollar de compensation payé par le contribuable américain, ira tout droit dans les poches américaines, en créant de la croissance.

5- Le Baril de pétrole étant au plus haut, la conversion de centrales électriques vers le Gaz, américain, les rendra moins coûteuses en énergie, par rapport au fuel ou autres combustibles fossiles. Ce qui est perdu en amont sur le gaz de schiste est récupéré en aval sur le prix du KWH produit, rien que par alignement sur celui produit avec des génératrices diesel.

6- Etant les concepteurs du procédé et de la recette chimique, ils savent exactement la nocivité et la durabilité des différends composants de cette soupe infernale, et la meilleure manière de décontaminer en amont et en aval. Le bon chimiste détenant toujours le poison et l’antidote dans la même armoire.

7- La production américaine de shale gas, ne put rapporter au prix actuel sur le marché qu’environ 23 Milliards de dollars, mais l’importation de la même quantité en gaz liquéfié et surtout sous contrat les aurait obligé à débourser 66 milliards de dollars, au profit des arabes et au détriment de la balance de paiements américaine, alors que la même somme en interne ou même plus participe au PIB US et non Arabe.

8- Les politiques US ont de positif le fait qu’elles ne sont ni conjoncturelles, ni réactives, ni sectorielles, et encore moins improvisées. De ce fait, cette exploitation effrénée de gaz de schistes aux Etats Unis, ne répond pas à un seul facteur d’appréciation et ni à un seul centre de décision, mais à un plan d’ensemble qui prend en compte une multitudes de facteurs et de critères qu’ils sont les seuls à savoir. Pourtant, ils n’empêchent pas le débat sur leurs décisions mais les suscitent au cas où un élément leur aurait échappé,

9- Le volet rentabilité commerciale intrinsèque est écarté comme explication à cette frénésie. Il y a lieu de rechercher l’explication dans les autres points soulevés ci-dessus.

Si vous considérez que produire du gaz par pollution environnementale interposée, en sachant qu’il n’est commercialement pas compétitif à l’export, sans prendre en compte le reste des facteurs qui font la spécificité américaine dans ce domaine, comme un succès, alors nous n’avons pas la même notion du succès.

Le Cas Algérien

L’Algérie est dans une situation tout à fait antinomique par rapport aux USA. La logique élémentaire voudrait que tout ce qui fait le succès de l’un, fonde l’échec de l’autre. Essayons d’analyser la situation par éléments :

1- L’Algérie est un pays exportateur net de gaz, et si on croit les données du CNIS, pour l’exercice 2010, elle a exporté pour 55,8 Milliards de M3 de Gaz toutes catégories confondues, pour un montant de 20,5 Milliards de dollars, soit une moyenne de 0,37 $ le M3 ou 10,20 $ le MBTU, tout cela grâce aux contrats à long terme qui sont supérieurs au prix du spot, pour un coût de production minime au puits et de liquéfaction de 2$ le MBTU, ce qui rend donc notre gaz rentable, sur contrat et non en spot, vu l’intrusion des américains dans ce créneau avec les Shale Gas.

2- L’Algérie a besoin d’un prix fort et de clients captifs. La disparition des USA du marché en tant qu’importateurs, transférera directement les quantités excédentaires vers d’autres marchés y compris ceux détenus par l’Algérie, et participe déjà à la baisse des prix en spot, préludant à un chantage à la révision des contrats à long terme dont nous vivons, ce qui a l’air d’être enclenché en ce moment avec l’arbitrage d’Edison sur les prix, qui est parti pour ne pas être le dernier.

3- Plus l’Algérie injectera de gaz sur le marché international, et plus elle participera à la chute des prix s’il n y a pas augmentation de la consommation mondiale, et cela ne risque pas d’arriver vu que la plupart des consommateurs nets sont peu soucieux d’écologie comme la Chine et la Pologne qui se sont mis dans l’exploitation de gaz de schiste, que l’émir du Qatar nous double sur le marché du gaz liquéfié avec des moyens très persuasifs pour les clients.

4- Nos exportations actuelles de gaz, si elles sont maintenues en l’état et si les contrats à long terme sont dénoncés par le premier arbitrage international, avec effet de jurisprudence, ne rapporteront plus que 7,1 milliards de dollars au prix du spot, desquels il faudra soustraire les coûts de production et les parts des partenaires, soit un maximum de 4 milliards de dollars si les américains réussissent, et il semble qu’ils sont sur la bonne voie.

5- Pour les doubler en comptant sur le gaz de schistes, il faudra de prime abord forer quelque chose comme 10.000 puits pour une valeur moyenne de 75 milliards de dollars, et je vous laisse le soin de calculer la durée d’amortissement de l’investissement sur le marché spot. Elle dépasse largement la durée de productivité de ces puits.

6- L’Algérie réinjecte la moitié du gaz produit et en perd 10 % à la sortie des puits ou en liquéfaction. Investir dans des méthodes et des équipements pour limiter les pertes et les réinjections serait plus utile que d’investir des sommes colossales dans un processus non rentable pour un exportateur, et mortel pour l’environnement.

7- Nos nappes albiennes, ne se renouvellent pas et ne se nettoient pas par ruissellement. Pour toute pollution incontrôlée, on devra faire appel aux mêmes américains qui les ont polluées et ce…pour les dépolluer !!! Avec les surcoûts et les risques politiques que cela entraîne en aval.

8- La région que vous nous encouragez à massacrer pour reproduire un succès est en fait un échec pour nous. Elle est le grenier de nos enfants et non le porte-monnaie des vôtres, auquel cas il faudrait peut-être conseiller aux cantons suisses de prospecter le gaz de schistes chez eux. Ce serait déjà un succès pour un consultant basé en Suisse, de surcroît Algérien.

9- Vous affirmez vous-même que les réserves du pays sont en déclin. En vous basant sur des données que vous possédez et que nous ne possédons pas. Mais ce déclin qui est dû à une exploitation mue par des dépenses inconsidérées de l’Etat, sera t'il compensé par des réserves non rentables au plan financier ou par des restrictions sur l’exploitation non rentable de ces mêmes réserves existantes?

10- Augmenter ses réserves probables rend le pays attractif pour les explorateurs quand il n’ y a pas de concurrents sérieux, pas quand ses prix d’exploitation représentent trois fois le prix commercial à l’export, et quand il doit tout refaire pour garder ne serait-ce que sa position actuelle sur le marché.

11- Vous posez comme préalable le transfert de technologie et la formation de nos entreprises aux nouvelles techniques de fracturation hydraulique, comme si cela était une évidence que vos partenaires vont comprendre et admettre au premier appel du pied. Alors que déjà entre eux la guerre est ouverte sur les process et autres brevets connus sans compter ce qui est secret.

12- Les américains qui ne trouvent d’intérêt au gaz de schistes que dans le fait qu’il les dispense d’en importer. Ils vont quand même venir l’exploiter chez nous et bien sûr le produire au prix que l’on sait, pour l’importer chez eux plus cher que le prix de revient des leur, alors qu’ils peuvent importer du Qatar du gaz conventionnel en grande quantité, au prix du spot, en plus les coûts de liquéfaction, transport et regazéification.

13- Vos amis chargés du volet politique de la gouvernance du navire Algérie, crient à qui veut les entendre que le pays fait l’objet d’une conspiration internationale, plus exactement occidental-orientale, mais en même temps, vous attendez de ces conspirateurs désignés de perdre de l’argent pour que le pays continue à naviguer au gré des courants, tout en nous apprenant gracieusement à développer nos techniques d’exploration et de forage.

En conclusion et à votre décharge, je dois reconnaître que d’autres responsables passés et présents du même secteur, ont tous poussé le même cantique, en étant à peu près sûrs que l’auditoire est soit sourd soit idiot. Mais après que la décision ait été prise ailleurs, ce qui laisse penser que ce concert de soutiens d’experts, n’a pas pour but de donner un avis technique mais de faire passer un projet sans autre argumentaire que leur CV, qui doit plus aux concepteurs de ces échecs répétitifs qu’à un choix technique bien compris.

Cette décision est politique et non technique. La réponse sera de toute manière un jour ou l’autre éminemment politique, et destinée à la source véritable de cette décision et non aux employés intermittents du show-room national.

Contributeur : Ferhat Aït Ali




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