Slimane Azem : Le poète de l’exil
« L’Algérie, mon beau pays / Je t’aimerai jusqu’à la mort / Loin de toi, moi je vieillis / Rien n’empêche que je t’adore / Avec tes sites ensoleillés / Tes montagnes et tes décors / Jamais je ne t’oublierai Quel que soit mon triste sort. » Slimane Azem
Le Brel des Berbères
l’hommage qu’a rendu la ville de Moissac, en présence de 250 personnes, à ce pilier de la chanson kabyle qu’est Slimane Azem est, en plus d’être une reconnaissance à l’homme et à son oeuvre, une contribution à inscrire dans le patrimoine commun de l’oeuvre de cet immense artiste. Il faut rappeler que Slimane Azem vécut les vingt dernières années de sa vie dans cette ville du Tarn-et-Garonne en Occitanie. Il a été surnommé à juste titre, le « Brel des Berbères ». A l’occasion de cet hommage, un jardin public portant le nom du poète a été inauguré. Puisse à sa terre natale, qu’il aimait à survoler, en songe, réparer la blessure et l’honorer à son tour un jour prochain.
Qui est Slimane Azem ? Il est né le 19 septembre 1918 à Agouni Gueghran en Grande Kabylie. Il quitta son village très jeune pour travailler chez un colon à Zéralda. Il arrive en France dès 1937, où il travaille comme aide-électricien à la Ratp. Après quelques années de travail obligatoire imposé par l’Allemagne nazie, il prend un café en gérance à Paris et s’y produit les week-ends. Il entame alors une immersion précoce dans les tourments de l’exil. Sa première chanson, « A Muh a Muh », consacrée à l’émigration, paraît dès le début des années 1940 : elle servira de prélude à un répertoire riche et varié qui s’étend sur près d’un demi-siècle. Sa carrière débute en France en 1940 et plus de 200 chansons à son actif. « Son verbe et sa poésie sont étroitement liés à la destinée humaine. » Il chantera également contre l’occupation française dans Effegh ay ajrad tamurt-iw (Ô [nuée de] sauterelles, sors de mon pays). Mais ses chansons traitent aussi des problèmes de ses compatriotes. Après l’indépendance de l’Algérie, il fut très critique à l’égard du régime algérien, et sera en conséquence interdit de diffusion sur les ondes algériennes entre 1967 et 1988. En 1970, il reçoit le Disque d’or. L’artiste fait ses adieux en 1982 à l’Olympia à Paris. Il décède le 28 janvier 1983 à Moissac en France, où il est enterré.
Depuis et pour m’être recueilli moi-même sur sa tombe, j’ai constaté que sa tombe était toujours fleurie. A en croire le gardien du cimetière chrétien, il n’y a pas de jours sans que l’on ne vienne rendre hommage à l’artiste. Des cars entiers de jeunes et de moins jeunes viennent se recueillir sur sa tombe ; comme un pied de nez à l’histoire, j’ai vu sur sa tombe, une écharpe aux couleurs algériennes avec la devise « One two tree Viva l’Algérie » déposée pieusement sur sa tombe. Même outre-tombe, Slimane Azem est un supporter de l’Equipe nationale de son pays, qui l’a vu naître qui l’a fait pleurer et qui tarde à lui reconnaître, une légitimité bien méritée comme l’un de ses dignes enfants
A ce titre, en effet, il est curieux que des géants de la stature de Slimane Azem ne soitent pas à l’honneur dans leur pays. Il est vrai qu’un ouvrage lui a été consacré par le professeur Youcef Necib : Slimane Azem, le poète, qui revient et se penche sérieusement sur la vie et l’oeuvre musicale et poétique de Slimane Azem, maître incontesté et incontestable de la chanson kabyle. Quel est la singularité du poète de l’émigration ? C’est avant tout un poète de l’errance. Déraciné par la dureté de la vie, il s’en est allé offrir ses bras à la France. En fin observateur du mouvement du monde et du monde de l’émigration, et comme tout poète sensible plus que tout autre, il a chanté son pays, les malheurs subis, il a chanté surtout la séparation. L’une des premières chansons « A Muh A Muh « est un hymne au pays. « Viens donc nous accompagner, Juste avant de partir Je fis maintes promesses aux parents Je leur ai dit que je reviendrai. Tout au plus après un an ou deux. Voici maintenant plus de dix ans (...) Mais mon coeur désire son pays » « A Muh A Muh » traite des conditions de vie des émigrés. « Effegh a ya jrad tamurt iw » (Sauterelles quittez mon pays) dénonce les conditions de la colonisation, qui sont les aspects saillants de la poésie kabyle, sur la poésie religieuse, la poésie militante, la poésie maternelle, etc. Il écrivit une centaine de chansons célèbres, parmi lesquelles « Ghef taqbaylit yuli was » (Le Jour se lève sur la langue kabyle) est un hommage au Printemps berbère. « La Carte de résidence », chante les difficultés de l’émigration et de la délivrance de la dite carte. « Algérie mon beau pays », est un chant nostalgique. Slimane Azem : Encyclopédie libre.
« L’auteur de l’ouvrage donne une dimension spirituelle et philosophique à l’oeuvre du chanteur, qui a réussi à transcender les limites du réel pour élaborer une poésie dite de l’exil, mais surtout avec une écriture qui s’étudie à plusieurs niveaux. Décédé en 1983, Slimane Azem a laissé à la postérité un répertoire riche et varié, influençant ainsi toute une génération d’interprètes, puisqu’il a été repris plusieurs fois et par plusieurs artistes et ce, malgré la controverse et certaines critiques qui lui ont été adressées de son vivant. Par ailleurs, la deuxième partie de cet ouvrage bibliographique et biographique est un corpus de textes de Slimane Azem. Reconstitués dans leur langue d’origine, le kabyle, l’auteur a également traduit ces textes. Rehaussé par les textes de Slimane Azem donc, l’ouvrage est intéressant et donne un aperçu sur la vie et l’oeuvre d’un personnage emblématique de la chanson et de la poésie. Dans la culture kabyle, la poésie occupe la part du lion. Depuis toujours, hommes et femmes ont recours aux vers afin d’exprimer très souvent ce qui fait mal, mais parfois aussi le bonheur. Le livre réalisé par le chercheur Youcef Necib est donc indispensable pour avoir une idée sur la poésie kabyle. Le livre recèle quelques révélations puisqu’il nous apprend, par exemple, que la mère de l’écrivain Mouloud Feraoun a été poétesse. Youcef Necib explique que la douleur profonde que lui causa le tragique assassinat de son fils, le célèbre romancier Mouloud Feraoun par l’OAS, lui inspira les trois courtes mais émouvantes pièces. Dans l’une, elle clame : « Soleil, tu es trop brûlant, ta piqûre m’est trop cruelle, la chair que j’ai éduquée gît, recouverte de noir comme celle d’un nègre, Dieu me méprisera, Si j’oublie ce que j’ai enduré. »
A sa façon, Moussa Bedrane dans un poème oecuménique fait l’apologie du poète en convoquant toutes les oeuvres des écrivains algériens avec les vers suivants : « Le fils du pauvre, eût voeu, de l’ultime traversée, d’arpenter les chemins, qui montent à la colline, qu’il n’a jamais oubliée, pour y semer, le grain magique et fécond, en le pays fertile, de l’éternel Jughurta, et d’y retrouver le sommeil, du juste, d’y restituer son sang, à la terre qui l’enfanta, mais hélas ! d’aucuns, dont il n’accepta pas l’opium, lui dressèrent les bâtons, qui le maintinrent reclus, Outre-Méditerranée en exil, loin de ses aïeuls. »
Vu : 315 fois Posté Le : 03/04/2013 Posté par : rebiha
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur. Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué, mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 03/04/2013
Posté par : rebiha