Jusqu’à une date récente, sur un portrait de Abane Ramadane, accroché au ministère des Moudjahidine, était toujours mentionné «tombé au champ d’honneur». Il a pourtant été assassiné par les siens.
Dans les manuels scolaires, on continue encore à travestir l’histoire, à la manipuler et à la dévoyer. Un film sur Krim Belkacem a été mis sous le coude par le même ministère, on ne sait pour quelle raison. A part l’épisode de son exécution, livré par ses propres tortionnaires et exécuteurs, on ne connaît pratiquement rien sur Larbi Ben M’hidi, artisan, aux côtés de Abane Ramdane, du Congrès de la Soummam. Ce ne sont pas les seuls faits passés sous silence. Des pans entiers de la Guerre de Libération sont tus par l’histoire officielle, l’histoire de ceux qui étaient tapis dans l’ombre et attendaient l’heure de la curée pour tirer les marrons du feu et prendre le pouvoir en 1962. Ceux qui ont marché sur les cadavres pour atteindre Alger à partir des frontières ont pensé d’abord à s’approprier l’histoire, la façonner à leur guise, effacer ceux qui l’ont faite.
Cinquante ans après l’indépendance, Abane Ramdane, Krim Belkacem, Mohamed Boudiaf, Larbi Ben M’hidi, Amar Ouamrane et bien d’autres héros de la Révolution font toujours peur. A la seule évocation de leur nom. Peu d’historiens algériens ont tenté de faire éclater la vérité ! Il est vrai que l’accès à l’information est tellement difficile, voire impossible, que personne n’a pu s’aventurer sur ce chemin ô combien risqué de bousculer un ordre établi depuis 1962, qui a fondé sa légitimité sur sa propre version tronquée de l’histoire. Il est vrai aussi que la Révolution a été faite par le peuple algérien – c’est incontestable – mais il est aussi vrai que cette même Révolution a ses figures emblématiques, qui ont tracé le sillon de l’indépendance algérienne. Qu’aurait été le 1er Novembre 1954 sans le Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA) de Mohamed Boudiaf, Mustapha Ben Boulaïd, Larbi Ben M’hidi, Didouche Mourad, Rabah Bitat, Mohamed Khider,
Hocine Aït Ahmed ? La Révolution a ses héros et ses maîtres penseurs. Il est criminel de les ignorer. C’est malheureusement ce qu’a fait le pouvoir en place depuis 50 ans. Tant mieux si des langues se délient pour rétablir certains faits ou apporter d’autres pierres à l’édifice de l’histoire de l’Algérie qui se construit, faut-il le souligner, laborieusement. Car la volonté de détourner la mémoire est toujours aussi tenace. Le régime y fonde encore toute sa légitimité. Le reniement du projet de la Soummam par les tenants du pouvoir à l’indépendance – ils ne s’en revendiquent pas d’ailleurs – explique en partie le silence pesant, des années durant, sur un événement central de la Guerre de Libération nationale. Le projet de Abane Ramdane et de Larbi Ben M’hidi était la primauté de l’intérieur sur l’extérieur et du politique sur le militaire. En d’autres termes, le pouvoir aux civils ! Ceux qui ont donc assassiné l’architecte de la Révolution ont voulu tuer le projet et l’histoire qui le remettrait au goût du jour parce qu’étant plus que jamais d’actualité. En effet, la peur de la vérité est à la mesure de l’aveuglement de vouloir s’accrocher au pouvoir, quitte à travestir le combat de ceux qui ont défié la France coloniale.
L’ancien colonisateur fait également le même usage de l’histoire, au gré des compétitions politiques internes. Mais pas seulement. La France, qui a tenté de se donner un «rôle civilisateur» à travers la loi du 23 février 2005, espère encore cacher ses crimes commis en Algérie. En les alignant, la plus vieille démocratie du monde n’apparaît pas moins que l’inhumaine, vulgaire et cupide puissance coloniale qui a massacré des centaines de milliers de personnes. L’histoire remonterait à la surface ce passé peu glorieux d’un pays qui s’est construit sur la misère des autres. Mais, faut-il le souligner, des deux côtés de la Méditerranée, on en joue comme au ping-pong. A Alger comme à Paris, on a longtemps tu les crimes des expériences nucléaires françaises dans le Sud algérien.
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Posté Le : 19/03/2012
Posté par : aladhimi
Ecrit par : Said Rabia
Source : Elwatan 19 mars 2012