Algérie

L?Algérie et ses réserves de change : quel avenir pour les fonds souverains ?



Selon Abdelatif Benachenhou, ancien ministre des Finances, 20% des réserves de change suffisent pour le lancement d?un fonds d?investissement souverain, 30% de ces réserves devront rester entre les mains de la Banque d?Algérie et 50% devront aller au financement de l?économie.

Plus prudent, pour Chakib Khelil, ministre de l?Energie et des Mines, un fonds souverain est souhaitable mais seulement dans cinq années. Pour le ministre des Finances Karim Djoudi, avis partagé par la Banque centrale d?Algérie, à court terme, cela est risqué et le moment n?est pas opportun.

Actuellement, et il est toujours utile de le rappeler, les réserves de change de l?Algérie sont affectées sous forme de placements en bons de Trésor dans les principales places financières internationales, notamment américaines. Cette option est jugée actuellement, du fait du dérapage du dollar par rapport à l?euro depuis 2000 de plus de 50%, peu rentable et peu efficace, sachant que les taux d?intérêt qui y sont appliqués ne dépasseraient pas les 2%. C?est face à cette polémique que je propose d?analyser sommairement les fonds souverains.

 1.- Depuis la fin des années 1990, et cela s?accélérera durant les deux premières décennies du XXIème siècle, l?internationalisation du capital en tant que rapport social entraîne un changement notable du rôle des Etats dont le rôle demeure central dans une position nouvelle face au marché: retrait généralisé de l?Etat de la sphère économique concurrentielle; retour en force de l?Etat dans la régulation de l?économie. Cependant, nous assistons à une déconnexion de la sphère réelle et financière entre la dynamique économique et la dynamique sociale, avec donc une financiarisation croissante. Face à cette situation, les fonds souverains, dont le premier a été créé au Koweit en 1953, sont aujourd?hui en passe de devenir une nouvelle catégorie d?acteurs de la globalisation financière, notamment des pays pétroliers. Un fonds souverain (sovereign wealth funds), ou fonds d?Etat, est un fonds de placements financiers (actions, obligations, etc.) détenu par un Etat. Les fonds souverains gèrent l?épargne nationale et l?investissent dans des placements variés (actions, obligations, immobilier, etc.).

Dans une acception restreinte, ils désignent spécifiquement « les avoirs des Etats en monnaie étrangère ». Dans une acception plus large, ils désignent tous les fonds d?investissement détenus par un Etat tirant leurs ressources des Banques centrales (Chine), des réserves pour les retraites (Norvège), ou des recettes des hydrocarbures (Norvège, Russie, pays du Golfe).

En fait, il n?existe pas une définition généralement acceptée des fonds souverains. Dans une acception large, il convient de considérer un fonds souverain comme étant un fonds de placement international de l?épargne nationale, principalement dans des actions et obligations et appartenant à des Etats ou aux Banques centrales de ces Etats. Il existe aujourd?hui environ 40 fonds souverains, désignés « SWF ». Leurs actifs sont évalués début 2008 à environ 3.000 milliards de dollars US et pourraient atteindre 12.000 milliards de dollars à l?horizon 2015, soit plus de 10% de l?argent en circulation sur la planète, le marché des capitaux étant actuellement de 50.000 milliards de dollars, selon une étude du cabinet Morgan Stanley.

Il existe actuellement environ 40 fonds souverains mais leur nombre s?accroît d?année en année. Ainsi, je ne citerai que Abu Dhabi Investment Authority (créé en 1976, Emirats Arabes Unis), avec Saeed Mubarak Al Hajeri, formé dans les plus grandes universités américaines, de Havard dirige la Abu Dhabi Investment Authority, dont le montant est estimé à plus de 943 milliards de dollars; Government Pension Fund Global (1990, Norvège); Government of Singapore Investment Corporation (GIC) (1981, Singapour); Reserve Fund for Future Generation (1953, Koweit); China Investment Corporation (2007, Chine); Stabilisation Fund (2004, Russie; Temasek Holdings (1974, Singapour) et Qatar Investment Authority (2005, Qatar).

La stratégie des fonds souverain s?oriente de plus en plus vers des investissements financiers, la participation au capital d?entreprises occidentales, voire leur prise de contrôle. Exemple, le rachat en partie par les fonds de Dubaï et du Qatar de la Bourse de Londres, investissement de fonds chinois et de Singapour dans le capital de la banque Barclay?s, présence de l?Emirat de Dubaï et d?une banque publique russe au capital d?EADS.

A côté des fonds chinois, le fonds russe est considéré par la plupart des analystes, le FMI inclus, comme un fonds qui se sert des investissements stratégiques pour atteindre des objectifs politiques, notamment à travers la stratégie de Gazprom (notamment celui d?augmenter ses réserves énergétiques hors frontières). Pour sa part, la Norvège a adopté une politique très différente. Le fonds norvégien Norwegian Wealth Fund (NWF) a été créé pour pallier la diminution de la rente énergétique à moyen terme, le ministère des Finances étant responsable de la politique d?investissement, alors que la Banque nationale s?occupe du management opérationnel. Les participations dans chaque entreprise sont faibles (jamais plus de 1% du capital total). Les entreprises qui vendent des armes, pratiquent la corruption ou ne respectent pas l?environnement sont évitées, tout comme les secteurs stratégiques. Aujourd?hui, le NWF est l?un des plus importants fonds souverains au monde,ayant des participations dans plus de 3.000 entreprises dans plus de 40 pays.

 2.- Aussi, avec les fonds souverains, le pouvoir financier a tendance donc à basculer du côté de certains pays du Sud, dont les réserves fin 2007 atteignent 3 trillions de dollars, soit 72% des réserves mondiales, la Chine, avec 1,4 trillion de dollars, occupant le premier rang des investisseurs mondiaux (la Banque centrale de Chine venant de donner le niveau de ses réserves de change fin juin 2008, estimées à 1.800 milliards de dollars US).

Cependant, il ne faut pas être utopique, le pouvoir monétaire reste arrimé au Nord, le dollar (64% des transactions) étant de plus en plus concurrencé par l?euro (26%), tandis que la plupart des monnaies émergentes restent arrimées au dollar, et donc sous-évaluées. Cependant, ces fonds de placement financiers détenus par les Etats suscitent de fortes réactions de méfiance de la part de certains pays développés. Le Conseil européen des chefs d?Etat et de gouvernement, les 13 et 14 mars 2008, a abordé la question, proposant une «approche commune», veut éviter que les Etats membres n?adoptent dans le désordre des législations protectionnistes. Les Etats-Unis ont adopté une législation visant à empêcher ces fonds de contrôler des secteurs affectant leur sécurité nationale. En Allemagne, en France et aussi en Grande-Bretagne, on envisage de telles mesures de défense.

Rappelons qu?en 2005, les USA ont essayé d?interdire à l?opérateur portuaire Dubai Ports World de mettre la main sur les cinq terminaux qualifiés de « stratégiques « et le commissaire européen Mandelson a évoqué la possibilité de recourir aux actions préférentielles pour protéger les entreprises « stratégiques. De même, le gouvernement allemand envisage de prendre des mesures pour réduire les rachats potentiels par des fonds souverains en imposant une autorisation délivrée par l?administration fédérale, dès lors qu?un fonds dépasse 25% du capital d?une entreprise locale.

Dans le cadre de règles mondiales de gouvernance applicables aux fonds souverains, le FMI travaille à l?établissement de codes de conduite pour les régir pour garantir la transparence de l?origine et la gestion de ces fonds. En effet, les fonds comme le «stabilisation fund» russe, ou le China Investment Corporation, inquiètent les pays occidentaux. Même si leurs actifs sont moins importants que ceux des fonds gérés par les Emirats Arabes Unis ou la Norvège, les Occidentaux ont vu d?un mauvais oeil que des rivaux commerciaux, mais aussi des puissances militaires nucléaires comme la Chine et la Russie puissent noyauter leurs économies. Les Etats-Unis ont adopté une législation visant à empêcher ces fonds de contrôler des secteurs affectant leur sécurité nationale. En Allemagne, en France et aussi en Grande-Bretagne, on envisage de telles mesures de défense.

D?autres analystes, plus pragmatiques et moins politiques, soutiennent, eux, que ces fonds d?Etat ne cherchent en fin de compte qu?un rendement rapide, puisque Steffen Kern, responsable de la politique des marchés financiers internationaux à la Deutsche Bank, considère que « Le protectionnisme n?est pas un bon outil politique. [..]. Trop de responsables occidentaux voient ces fonds occidentaux ou asiatiques comme des menaces alors qu?ils peuvent représenter un afflux important de capitaux frais. Pour d?autres analystes, d?abord cela aidera les marchés émergents à se diriger vers de bonnes pratiques et des normes légales globales. Cela peut aussi aider les entreprises occidentales à pénétrer les marchés émergents, comme pour Blackstone en 2007 qui a réussi à prendre 20% d?une compagnie de chimie chinoise nationalisée, après la prise de participation de 10% du CIC dans Blackstone. Les fonds souverains auraient donc un effet de stabilisation sur les marchés financiers et de modernisation dans les méthodes d?investissements.

Par ailleurs, ces fonds ont joué le rôle de soupape de sécurité après la crise hypothécaire d?août 2007 en refinancant plusieurs banques internationales en difficulté. Ainsi Government of Singapore Investment Corporation et China Investment Corporation ont contribué respectivement à 12 milliards de dollars US en décembre 2007 et 9,9% du capital de Morgan Stanley. Un exemple: le fonds d?Abou Dhabi a permis de sauver City Group. Il a investi 7,9 milliards de dollars dans la première banque des USA engluée dans ses crédits à risques. Bien plus, avec la crise des prêts hypothécaires dont les pertes sont estimées en mai 2008 par le FMI à environ 950 milliards de dollars (estimations provisoires), l?intervention des fonds souverains a sauvé plusieurs banques, jouant le rôle de «force stabilisatrice».

Par ailleurs, ces fonds ont permis de rééquilibrer l?important déficit de la balance de paiement américaine. Et en gardant leurs réserves en dollars, notamment la Chine, ils contribuent à éviter un dérapage du dollar, rapport à certaines monnaies clefs comme l?euro, la livre sterling ou le yen.

La leçon que l?on peut tirer concernant ce débat en Algérie et loin de toute passion est que pour une gestion efficace des fonds souverains, cette dernière doit reposer sur trois facteurs: premièrement, une bonne gouvernance interne (solidité et moralité des institutions); deuxièmement, la gestion des ressources humaines par la revalorisation du savoir, dont une spécialisation très fine dans l?ingénierie financière qui nécessite un minimum de 10 ans d?expérience et le management stratégique; enfin, troisièmement, devant tenir compte de la concurrence internationale vivace dans ce domaine, une surface financière appréciable, les réserves de change algériennes étant estimées à seulement 126 milliards de dollars, soit moins de 65 milliards d?euros.

Dans ce cadre, pour le cas de l?Algérie, cela implique la prudence du fait que ces trois conditions ne sont pas actuellement remplies, le dernier rapport de la Banque d?Algérie devant le Sénat le 13 juillet 2008 reprenant mes analyses développées dans Le Quotidien d?Oran depuis plus de trois années. A savoir une relative aisance financière due non pas à une gouvernance interne mais à des facteurs exogènes (le tout tiré par les dépenses publiques via les hydrocarbures permettant une paix sociale fictive par la redistribution passive de salaires (emplois non productifs); encore qu?il existe une concentration excessive du revenu national au profit des rentes et l?extension de la sphère informelle, produit de la bureaucratie croissante, posant l?efficacité de la gestion et le gaspillage des ressources financières, et une relative régression économique et sociale avec une exportation hors hydrocarbures en diminution et le retour de l?inflation entraînant une détérioration du pouvoir d?achat des revenus fixes.

 

NB :

Pour une analyse des fonds souverains, « Nouveaux enfants terribles de la finance », Le Figaro, 14 octobre 2007. «Rising power of the sovereign funds», Times Online, article du 28 octobre 2007 (en anglais). «Norway provides model on how to manage oil revenue», International Herald Tribune, article du 17 octobre 2007 (en anglais). «Countries Buying Companies: The rise of sovereign wealth funds is nothing to fear, if they operate out in the open», The Washington Post, article du 24 octobre 2007
(en anglais).





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