Algérie

«L'Algérie est en moi, j'ai toujours voulu lui rendre ce qu'elle m'a donné, même si elle ne le sait pas»



«L'Algérie est en moi, j'ai toujours voulu lui rendre ce qu'elle m'a donné, même si elle ne le sait pas»
Dans une conférence qu'il a tenue dimanche soir à l'Institut français d'Alger, le journaliste a abordé sa vie, sa passion pour son métier puis il s'est prêté aux questions de son auditoire, venu nombreux assister à cette conférence.
De condition modeste, orphelin de père, Jean-Pierre El Kabbach, né à Oran, s'est découvert une passion pour le métier de journaliste suite à une rencontre qui a changé sa vie, souligne-t-il d'emblée. «C'est dans les studios de France 5 à Oran, que j'ai voulu faire un premier stage. J'y ai rencontré une personne qui m'a parrainé et depuis ce jour où l'on m'a tendu la main, j'ai décidé à mon tour de le faire», confie-t-il. Lors de ce premier stage, il s'est attelé à raconter la guerre pour les auditeurs de la métropole.
«Anticolonialiste», il aura séjourné une nuit en prison pour détention de document compromettant mais ne s'attardera pas sur cet aspect de sa vie. Recherché également par l'OAS, sa rédaction a dû, comme bon nombre de correspondants de l'époque pris pour cible par cette organisation, consentir à le rapatrier sous peine de le voir assassiné.
C'est après l'Indépendance qu'il séjourna 3 mois en Algérie, pour rendre compte de l'installation de la nouvelle République. Pendant son séjour, il rencontre de nombreuses personnalités dont les défunts Ahmed Ben Bella, Houari Boumediène et Ferhat Abbas pour qui, il avait beaucoup d'admiration et se lie d'amitié avec le président Abdelaziz Bouteflika avec lequel il «entretient toujours de bonnes relations».
«Le journaliste ne crée pas l'événement, il en est le témoin»
Journaliste chevronné, il est passé par bon nombre de médias en gravitant les échelons avant de se tailler une réputation. Ainsi, il fut présentateur du journal télévisé, animateur à France Inter, rédacteur en chef de cette radio, animateur sur Europe 1, puis président de France Télévision en 1993. Actuellement, il est animateur sur Europe1 et sur la chaîne LCP où il dirige l'émission culturelle «Bibliothèque Médicis».
Il a rencontré au cours de sa carrière de nombreux anonymes et les grands de ce monde comme Arafat, Mandela, Sadate, Hafez El Assad, a-t-il précisé. Il a interviewé tous les présidents et les premiers ministres de la cinquième République. Les différentes pressions politiques qu'il a dû subir notamment de la part du pouvoir socialiste des années Mitterrand qui le jugeait proche de la droite, n'auront bloqué ni sa détermination ni sa longue carrière. Aussi, la politique est son domaine de prédilection. Les émissions qu'il anime sont essentiellement d'ordre politique. Il s'attelle à «obtenir des interlocuteurs ce qu'ils ne veulent pas dire».
Il s'est engagé pour de nombreuses causes dont la défense des femmes (droit à la contraception, l'avortement), la lutte contre le racisme, la peine de mort dont une question à Mitterrand à l'orée des élections présidentielles lui aura valu un mois de chômage. Selon lui, le journalisme consiste à expliquer, «contextualiser» les relations, les chocs entre les groupes sociaux, la mécanique des Etats. En somme, refléter l'Etat d'un pays, accompagner son évolution mais rester à sa place car «le journaliste ne crée pas l'événement, il en est le témoin».
Son credo est de respecter le public et accueillir au sein de ses émissions toutes les personnalités, les opinions, afin d'entretenir l'esprit démocratique et surprendre le public avec des personnalités que l'on n'attend pas et de citer la première interview octroyée par l'ex-président Sarkozy à son média. Et d'ajouter : «Il faut s'intéresser aux personnalités quand elles sont en difficulté.» Pour lui, le journaliste se doit de vérifier l'information,
avoir un esprit critique, lutter contre la rumeur, le conformisme, mépriser l'anecdote mondaine et surtout être indépendant. S'attardant quelque peu sur la situation de la presse algérienne, il la qualifiera de bonne qualité, plurielle, exigeante, insolente envers le pouvoir, plus libre que dans d'autres pays arabes même si certains titres sont au service d'intérêt public, privé ou masqué.» Il précisera :
«J'ai lu de nombreux éditoriaux, vu les caricatures, que je trouve excellentes ; d'ailleurs, l'expérience de Dilem au journal Le Monde, a prouvé qu'il avait toute sa place dans les grands titres français.» Il ajoutera que «la promesse faite par le président Bouteflika d'ouvrir le champ audiovisuel va permettre de faire vivre une exigence démocratique».
«La repentance est un problème de politique intérieure algérienne»
Abordant la question du colonialisme, il affirme qu'il avait compris le choix du soulèvement et ne cautionne pas les crimes commis par l'Etat français. Cependant, il se pose des questions sur la guerre des mémoires qui n'en finit pas et pense qu'en cette année du Cinquantenaire et pour les 50 prochaines années, les deux pays devraient s'intéresser aux jeunes, aux gens de culture, de sciences, en somme, reconnaître les ressources humaines qui s'attellent à dresser des ponts entre les deux rives. Selon lui, «l'exigence de repentance est un problème de politique intérieure de l'Algérie et de certains pieds noirs qui jettent de l'huile sur le feu».
Il précisera que «beaucoup de personnes issues de l'ancienne génération ressassent le passé, c'est une façon de se légitimer, alors que dans son dernier discours de Sétif, le président Bouteflika a demandé à ce que l'on passe le flambeau aux jeunes». Il ajoutera que «la vérité appartient aux historiens et qu'il n'y a pas de vérité politique».
A ce sujet, El Kabbach malgré ses belles professions de foi ultérieures, montrera qu'il est quand même plus français qu'algérien.'Il dira sur un ton tranchant, en interpellant les autorités algériennes pour qu'elles ouvrent toutes les archives : «Que chacun balaye devant ses crimes et ses règlements de comptes. En ce Cinquantenaire, de nombreuses publications sur la Guerre sont en vente libre, les jeunes historiens abordent tous les sujets, même les plus délicats, aux historiens algériens de faire de même.» Et de préciser :
«Il ne faut pas oublier, assumer et s'orienter vers la marche de la modernisation.» Concernant l'évolution des relations algéro-françaises, il indiquera que le nouveau pouvoir en place en France n'a pas encore donné d'orientation sur le futur de ses relations, cependant, le nouveau président français a séjourné une année en Algérie, il connaît le pays, ce qui est positif.
Mais, selon lui, malgré les attentes du côté algérien, «il n'y a pas d'homme providentiel, le président aura un rôle dans le mouvement historique s'il est soutenu par des forces populaires». Il reviendra sur les relations tourmentées sous l'ère Sarkozy et précisera : «Dans son discours de Constantine, l'ancien président a fait un grand pas, mais la crise économique mondiale a détourné la France de l'Algérie, mais il ne faut pas tomber dans la caricature.» Pour le réchauffement des relations, il insiste sur la position
de l'Algérie qui doit mener une politique d'ouverture plus active et avoir à l'égard des autres pays une plus grande confiance. «L'Algérie est un pays formidable, elle a de nombreux atouts, il ne faut pas que le pays se replie sur lui-même», estime-t-il. Il a insisté aussi sur la réciprocité en ce qui concerne l'accueil des touristes, l'épineuse question des visas pour les Français (leur cherté et leur délivrance au compte-gouttes), signale-t-il.
«Je suis le fils de l'Algérie, devenu fils du monde»
Concernant l'évolution du Printemps arabe, le journaliste affirmera qu'il s'inscrit dans une trajectoire historique qui a touché auparavant l'Algérie et l'Iran. A court terme, il a peur des «nuages» qui peuvent s'abattre sur ce mouvement mais, sur le long terme, il est optimiste car «la société civile s'est réveillée. Désormais, les pouvoirs en place ne pourront plus agir à leur guise,
il n'y aura pas de pouvoir obscurantiste». Il se dit encouragé par la résistance des femmes, auxquelles il voue une admiration sincère et malgré les risques de soubresauts, il souhaite que les peuples restent vigilants afin de ne pas se voir confisquer leurs révolutions. Il indiquera que la presse française est indifférente à ce qui se passe au Maghreb sauf si des événements susceptibles d'intéresser les Français telle la montée de l'islamisme à la suite du Printemps arabe se déroulent.
Le hôte de l'Algérie a constaté aussi qu'«il y a eu très peu d'articles sur les législatives du 10 mai, alors que vous, vous avez une connaissance détaillée de l'évolution de la France en matière politique notamment, mais notre méconnaissance est aussi liée aux autorités algériennes qui ont longtemps refusé de délivrer des visas aux journalistes».
Dans sa conclusion, l'orateur affirmera que l'organisation des législatives a été trop rigoureuse, l'abstention se confirme un peu partout dans le monde, «par temps de crise, il est difficile de mobiliser le peuple, mais le pays doit construire pas à pas son avenir». Dans un message en direction de la jeunesse, il leur demandera de ne pas se décourager, «l'espoir doit se construire dans votre pays, pas dans l'exil», conseille-t-il. Il rappellera qu'«il ne faut pas se résigner, se montrer fier des progrès accomplis par le pays, tout est possible».
Issue d'une famille modeste, il dira qu'il est «fils de l'Algérie et je suis devenu fils du monde. Vous devez défendre les couleurs du pays et son indépendance, veiller à son ouverture et contrairement à l'adage, il faut être prophète en son pays, ne pas attendre plus tard pour inventer et allez chercher vous-mêmes vos étoiles».




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