Par Said Kloul(*)
Le consultant et bureau d'études norvégien Rystad Energy, spécialisé dans les hydrocarbures, notamment l'amont pétrolier et gazier, suit de manière soutenue l'évolution des compagnies pétrolières et gazières, les lois et résultats des pays producteurs et les marchés.
Il publie en permanence des articles sur toutes les questions y afférentes et fournit un service d'études sur ces sujets. Il a, en décembre 2020, publié une étude comparative des systèmes fiscaux d'une trentaine de pays dont l'Algérie. Il fait pour cette étude une simulation avec les données du gisement norvégien Johan Castberg dont les réserves sont de l'ordre de 500 MMBbl de pétrole, et utilise un modèle économique qui lui est propre.
La simulation est basée sur les lois en vigueur dans les différents pays considérés, y compris les derniers amendements. Elle montre les résultats que l'on pourrait obtenir en exploitant ce gisement avec le système fiscal de chacun des pays. Pour l'Algérie, l'étude a pris en considération le Contrat en participation (PSC) de la nouvelle loi 19-13.
L'étude calcule les indicateurs principaux de rentabilité pour les investissements dans ce domaine :
La part de l'Etat calculée comme étant la valeur actualisée de cette part sur le cycle d'exploitation du gisement, divisée par (le revenu total moins les coûts des investissements et les coûts opératoires). Le taux d'actualisation utilisé est de 7,5%.
La période étudiée considère le plus gros des investissements, exploration et développement, s'étalant sur une dizaine d'années et une période de production analogue.
Notons que pour l'Etude, la part de l'Etat inclut celle des sociétés nationales.
Le prix Breakeven (Brent) de ce gisement avec chaque système fiscal, c'est-à-dire le prix du pétrole sur le marché du Brent qui rend l'investissement sur ce gisement rentable avec ce système. Avec un prix inférieur à ce prix l'exploitation du gisement n'est pas rentable.
Le taux de Rendement interne IRR. Il est égal au gain annuel rapporté à la valeur actualisée de l'investissement.
Le temps de retour sur l'investissement. C'est le temps qu'il faudra pour récupérer le capital investi (valeur actualisée).
Au nombre des pays dont le système fiscal a été étudié, on trouve l'Algérie, l'Arabie Saoudite, la Russie, le Koweït, les EAU, la Norvège, le Nigeria, l'Egypte, Israël, le sultanat d'Oman, le Kazakhstan, le Royaume- Uni, les USA, la Chine... et d'autres.
Résultats de l'étude
Part de l'Etat :
Algérie 99% - Russie 97% - égypte 95% - Emirats arabes unis 92% - Nigeria 85% - Norvège 78% - Arabie Saoudite 67% - Chine 58%, Kazakhstan 58%... Royaume-Uni 38%, part la plus faible. La moyenne de tous les pays considérés est de 72%.
Prix breakeven, du Brent :
Algérie 69$/bbl - Russie 64$/bbl-Egypte 60$/bbl - Emirats arabes unis 51$/bbl-Nigeria 43$/bbl-Arabie Saoudite 34$$/bbl-Kazakhstan 37$$/bbl-Chine34$/bbl - Norvège 28$/bbl - Royaume-Uni 25$/bbl, prix le plus faible. Rappelons que si le prix de vente du pétrole est inférieur au prix breakeven, la société est déficitaire.
Taux de rendement interne :
Algérie 10% - Russie 11% - Egypte 12% - Emirats arabes unis 14% - Ouzbékistan 15% - Nigeria 17% - Kazakhstan 21% - USA 21% - Chine 21% - Norvège 22% - Australie 24% - Royaume-Uni 30%. La moyenne pour l'ensemble des pays étudiés est de 18%.
Temps de retour sur l'investissement :
L'Algérie et pratiquement tous les pays affichent 8 ans, sauf : Egypte, Indonésie, Qatar, Emirats arabes unis qui offrent 9 ans et Russie 10 ans.
Conclusion de l'étude :
L'Etude souligne que la loi 19-13 a introduit un système fiscal simple et flexible dont les termes offrent aux partenaires des possibilités de négociation. Elle contient les trois types de contrats : contrat en Participation et Contrat de Service à Risques avec notamment la réintroduction du PSC (Contrat Partage Production).
Malgré ces avantages, l'étude montre que l'Algérie reste encore (ou est devenue) aujourd'hui le pays le moins attractif à cause de :
Un régime fiscal le moins attrayant ;
l'Obligation du 49-51 (49% pour le partenaire et 51% pour Sonatrach) ;
la part annuelle du partenaire limitée à 49% de la production.
La limitation de la part du partenaire, incluant la récupération des coûts et le profit et ce, avec les trois types de contrats, fait que le partenaire récupère lentement ses coûts mais pas plus lentement que la grande majorité des pays objet de l'Etude.
Pour cette étude, notre système fiscal, comparativement aux autres pays, désavantage les partenaires éventuels. De ce fait, il désavantage l'Algérie par rapport aux autres pays. Pour illustrer cette constatation, comparons les résultats de l'Algérie à ceux de la Norvège :
Algérie (PSC)
L'Etat et la Sonatrach prennent un total de 99% laissant au partenaire une part plus faible que dans les autres pays.
L'exploitation du gisement de Johan Castberg, avec notre système fiscal, ne commence à être rentable que si le prix du brut atteint 70$/Bbl.
Norvège
Part de l'Etat 78%
Prix breakeven du Brent 28$/Bbl. L'exploitation est donc rentable même avec un prix du marché aussi faible !
En conséquence, les sociétés chercheront à obtenir des blocs d'exploration en Norvège plutôt qu'en Algérie.
Remarques :
A chaque fois que nous parlons d'une nouvelle loi des hydrocarbures, des voix s'élèvent pour crier au scandale et dire à qui veut bien les entendre que l'on veut dilapider les richesses de l'Algérie, voire que l'on cherche à «vendre» le pays.
Cette question est d'abord une affaire de spécialistes qui doivent faire des simulations pour évaluer si cette loi va jouer le rôle qu'on lui a assigné, c'est-à-dire attirer les sociétés pétrolières tout en préservant au maximum les intérêts de la nation. Pour cela, ils doivent faire en permanence des études comparatives avec les lois des autres pays pour voir où nous nous situons par rapport à ces derniers.
Il faut se rappeler qu'il y a une véritable compétition entre les pays et que les sociétés pétrolières vont là où elles peuvent gagner le plus ; elles ne viendront pas chez nous pour nos beaux yeux ; par conséquent, il ne faut pas se laisser trop distancer par les autres. Une veille économique permanente doit être organisée.
D'autres facteurs d'une grande importance influent sur la rentabilité d'un projet de recherche pétrolière :
- Prospectivité du sous-sol : Si le sous-sol est prospectif, c'est-à-dire qu'il offre de grandes chances de découvrir un gisement de bonnes qualités avec des puits qui ont une bonne productivité, ainsi que des réserves importantes, on peut se permettre une loi plus sévère que d'autres pays moins prospectifs. Par contre, si la prospectivité est faible, une loi plus souple avec un système fiscal plus avantageux pour les sociétés est nécessaire pour attirer ces dernières.
La prospectivité est particulièrement importante car dans le cas de notre loi, l'exploration est à la charge du partenaire qui prend tous les risques financiers. Il acceptera de prendre ces risques s'il peut espérer faire de gros bénéfices.
- Le temps est un facteur fondamental à prendre en considération de manière permanente : La rapidité dans les décisions est cruciale que ce soit de Sonatrach, des agences, des différentes administrations : ministère de l'Energie, ministère des Finances et ses différents démembrements dont les Douanes qui ont un rôle dans le processus de recherche et production, des sociétés nationales qui interviennent dans les travaux. Gagner un an sur le développement d'un gisement représente des revenus supplémentaires qui augmentent de manière très sensible la rentabilité des projets.
La loi et l'environnement sont favorables aux investissements s'ils peuvent donner à l'Etat une part plus importante que celle de la moyenne du groupe de pays en compétition tout en assurant un prix breakeven plus bas que celui du marché.
Retenons que «pour cette étude l'Algérie possède la loi la moins susceptible d'attirer les compagnies étrangères de par sa fiscalité pétrolière».
Il serait donc indispensable que le ministère de l'Energie commande une étude interne pour vérifier le bien-fondé des résultats en se basant notamment sur d'autres modèles économiques.
S. K.
* Ancien directeur de la Division Forage de Sonatrach, ancien conseiller pour l'amont du P-DG de Sonatrach.
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Posté Le : 30/01/2021
Posté par : presse-algerie
Ecrit par : LSA
Source : www.lesoirdalgerie.com