«Il faut un recto
à la feuille sinon le verso n'a pas de sens, il faut un avers à la pièce sinon
le revers n'a pas de sens, il faut une nuit au jour sinon...» Michel Onfray, philosophe français
L'Algérie est
africaine. Qui dirait le contraire? Plus personne puisque cela saute aux yeux
même si la tendance générale dans notre pays vacille légèrement et penche pour
un autre destin au-delà de la
Mare Nostra « La Méditérranée». Pourquoi choisit-on ce
thème en ce moment révolutionnaire sans parallèle historique? La réponse est un
peu naïve mais un tantinet pleine d'enseignements: En Algérie, on a oublié
qu'on est avant et après tout des africains du sang et d'esprit. Tant de
silence et trop de mutisme ont fini par faire éclater le pot aux roses: le
printemps arabe est essentiellement et primordialement un printemps africain
car la Tunisie
rebelle et l' Égypte héroïque sont bel et bien des
contrées africaines. Mais pourquoi a-t-on mis à la marge cette réalité? Y-a-t-il une raison valable de dénier à «Mama Africa» son droit d'aînesse
en matière des révolutions? Serait-on tellement avares au point de faire une
ponction malhonnête de son répertoire de prouesses historiques? C'est à ce tas
d'interrogations et tant d'autres auxquelles cet article s'attelle à y apporter
un éclairage succinct, synthétique et global. Pourquoi le silence? C'est tout
simple: le silence est une musique pour peu que l'on sache prendre soin de sa
symphonie. Voilà ce que la sagesse de la grande sommité morale et
intellectuelle de l'Afrique noire Anta Diop (1923-1986) nous a léguée comme le plus inestimable
des trésors. Cette sagesse nous enseigné également que notre continent est à la
traîne en matière de technologie mais en avance dans tout ce qui a trait au
domaine du patrimoine immatériel de l'humanité (l'oralité, les chants, contes
et légendes). Au regard de l'homme africain, le bruit tout autant que le
silence sont deux variantes diamétralement opposées mais intrinsèquement
imbriquées l'un à l'autre dans le fond de sa pensée dans la mesure où il est
profondément méditatif sur son sort, contemplatif de sa nature et vivant en
symbiose avec elle. Autant dire, l'africain est un homme naturel qui est aux
antipodes de l'homme artificiel qu'ont forgé et modelé à leur guise les
sociétés occidentales postindustrielles.
Ces dernières
notions, convient-il de la rappeler, sont empruntées au philosophe et
révolutionnaire cubain José Marti (1853-1895).
Lesquelles sont méticuleusement analysées dans ses différents écrits
littéraires et philosophiques où il avait stigmatisé ce genre de pensée
nombriliste, eurocentriste et surannée des élites
occidentales. Mais qu'est-ce donc qu'être un homme naturel?
Est-ce vraiment
une solution salvatrice ou un problème inextricable pour enfourcher le cheval
du progrès? En termes plus lucides, l'homme africain est-il ce troglodyte qui
habite en dehors des canons de l'histoire tout en suscitant ce fol exotisme
chez l'homme moderne comme le prétendent certains politiques nombrilistes ou
c'est, au contraire, quelqu'un qui pénètre de plain-pied dans les mystères de
l'humaine condition? Autrement dit, où s'arrête la nature et où commence
l'histoire?
Certes,
l'artificialité est fonction de modernité puisque l'être humain tombe dans le
piège du conformisme le plus béat dès qu'il commence à s'essayer aux mirages de
la rénovation statique et du mimétisme rénovateur. Chemin faisant, il devient,
à force du temps, peu curieux, individualiste et conformiste. En un mot, il
incarnerait ce que les sociologues modernes qualifient de « light man»,
c'est-à-dire un homme léger qui ne pense qu'à l'immédiateté de son
environnement tout en négligeant la profondeur de son esprit. Ainsi la
perméabilité de ce dernier, c'est-à-dire l'homme soidisant
moderne va-t-elle crescendo jusqu'à épuisement de ses sources d'auto-défense et d'immunité contre les flux et reflux de la
société de consommation. Néanmoins, l'homme africain a nettement approfondi sa
spiritualité dès qu'il est revenu à sa base et à sa source naturelle car sa
personnalité s'est positivement fortifié en s'immergeant dans son bain et
osmose originels. En ce sens, la nature et l'histoire sont pour le commun des
mortels un levain spirituel aussi bien substantiel que vital qu'il ne faut
nullement dégrader ni détruire afin de pouvoir s'accrocher aux esses de la
modernité. Car être civilisé, c'est décidément se retremper dans les embruns de
sa nature. Ces petits prolégomènes sur la nature et l'histoire nous plongent
d'ores et déjà et de façon directe dans le vif de notre sujet: pourquoi
l'Algérie a-t-elle négligé depuis fort longtemps la dimension africaine de son
identité? Cette omission est-elle intentionnelle de la part des autorités
politiques de notre pays ou purement une stratégie afin de se décharger des
poids accumulés de ses multiples appartenances à différentes aires civilisationnelles? La culture africaine est-elle
réellement un frein au développement de l'Algérie, qui est de nature à la faire
maintenir dans cet état stationnaire de régression protéiforme? Bref, il n'est
plus sans intérêt de rappeler ici que les auteurs de la déclaration du 1
novembre 1954 auraient insisté de façon très forte sur le cadre africain de la
révolution algérienne. Mais cette mise en exergue claire et solennelle a
demeuré cependant fort nuancée durant les divers soubresauts ayant caractérisé les
années de la postindépendance.
En conséquence,
tout ce qui nous lie à l'africanité est mis sous l'éteignoir de l'oubli et
l'Algérien se sent dépossédé d'une part de son être car on le considère plus
oriental ou occidental qu'africain. Pire, l'Algérie est partagée dans une
confusion de repères générale et généralisée comme un faisceau horaire entre un
Orient mythique et un Occident pathétique mais elle ne semble plus attachée à
son africanité matricielle, naturelle et transcendantale. Cette négligence a
coûté cher à notre pays puisqu'au lieu de se concentrer sur l'unité africaine,
il a cherché partout des alliances contre-nature avec des ensembles qui sortent
carrément de son cadre géopolitique ou géographique dans le seul dessein de
mettre en évidence son marquage historique propre, sachant que, pour construire
un destin commun , le partage d'une langue unique, des
mêmes rites et traditions ne suffit guère quand l'élément «espace» fait
cruellement défaut. C'est dire que la modernité est une notion spatio-temporelle
inhérente à l'histoire et à la nature humaine. C'est en fait dans cette stricte
grille de lecture qu'il faille pratiquement insérer la concomitance des deux
insurrections populaires tunisienne et égyptienne. Lesquelles sont d'abord
africaines avant qu'elles soient arabo-musulmanes.
Cela dit,
l'africanité des deux révolutions est un fait avéré au regard de la contagion
phénoménale de la flamme de révolte aux pays du Sahel. Aussi serait-il
extrêmement important de mettre en relief le fait que l'occultation de cette
donnée primordiale a, en partie, empêché la bonne compréhension de la lame de
fond insurrectionnelle qui a titillé la fibre sensible des peuples du Maghreb
en particulier et du reste des pays arabes par la suite. L'africanité est, semble-t-il,
théoriquement une notion trop abstraite mais elle est immanquablement l'unique
chaînon manquant à même de décortiquer l'entrelacs complexe de la chronique
révolutionnaire bouillonnante en temps actuels.
C'est pourquoi,
il est loisible de dire que ce concept d'africanité défraye actuellement la
chronique. Tout au plus est-il plus que jamais remis au goût du jour à la
faveur de ce changement historique sans précédent dans cette partie névralgique
du monde. En Algérie, au plus fort des années 70, l'africanité est considérée
comme la colonne vertébrale de la nation. L'engagement de notre pays en faveur
des causes justes a longtemps été une source de fierté nationale, les autorités
politiques de l'époque ont pris faits et cause pour le continent africain, le
foisonnement de mouvements indépendantistes y a fait cristalliser en retour la
revalorisation du destin partagé et du patrimoine culturel immatériel d'une
Afrique démembrée, appauvrie et écartelée entre l'ambivalence des deux blocs
belligérants de l'époque «le communisme soviétique» et le «capitalisme
occidental».
Le récit épique
du leader charismatique sud-africain «Nelson Mandela» et son étroite
collaboration avec les les dirigeants algériens afin
de mettre un terme à l'hydre de l'Apartheid qui aurait infesté son pays en est
la plus parfaite illustration. Il est intéressant à cet effet de préciser que
l'idée de l'union entre les pays africains a germé presque bien avant celle de
l'union européenne. En ce point, on pourrait affirmer que les africains sont
vraiment des précurseurs. Néanmoins, en raison d'une part du problème des
frontières hérités de l'époque coloniale dont
pâtissent les naissantes dictatures, toutes les tentatives des vieilles gardes
nationalistes se sont soldées par un échec cuisant. D'autre part, il existe
cette forme de division symptomatique et très subtile entretenue par les pays
occidentaux entre une Afrique dite «blanche» et une autre surnommée «noire».
Celle-ci est également à son tour confinée dans une sorte de confusion
notionnelle et un terrible réductionnisme sociologique puisque les américains
utilisent à volonté le terme de «l'Afrique subsaharienne» pour désigner tout
cet ensemble qui s'étale depuis les frontières australes du Maghreb jusqu'au
«Cap de Bonne Espérance» et les français gardent le concept colonialiste de
«l'Afrique noire». Dénominations qui, au demeurant, mènent au même objectif de
récupération idéologique de territoires anciennement colonisés tant il est vrai
qu'elles sont conçues dans le seul dessein de séparer la partie méridionale du
continent de celle qui est australe.
Aujourd'hui, il
paraît clairement qu'évoquer l'avenir de l'Algérie, c'est parler du destin de
l'Afrique, les deux entités sont intimement liées. En ce sens, le printemps des
peuples qui y a élu domicile a fait braquer tous les regards en redonnant du
dynamisme à la roue civilisationnelle. Certes, le
problème de l'Afrique est fondamentalement économique mais il est aussi et
surtout de l'ordre de la reconnaissance de ses blessures aussi bien symboliques
qu'historiques telles que: l'esclavage, la colonisation, l'accaparement de
richesses, le pompage de sa matière grise «les élites» ainsi que le viol plus
que ostentatoire de son identité. Le monstre colonial, pour reprendre le terme du
poète mexicain, prix Nobel de littérature Octavio Paz(1914-1998)
est passé du stade de la méconnaissance à celui de la connaissance sans jamais
avoir le moindre courage de frôler l'étape de la reconnaissance. L'Algérie à
l'instar des autres pays africains en a souffert atrocement et continue encore
d'en pâtir car les contrecoups de ces injustices transparaissent de façon
éloquente dans les retards enregistrés sur tous les plans (
économique, politique, et social). En dépit de sa situation stratégique
à la devanture de la Méditerranée et de son poids économique en tant
que première puissance «rentière» du continent, attributs qui pourraient lui
donner, le cas échéant, des ailes solides afin d'être le parrain de la
locomotive du développement, notre pays semble être toujours à la traîne par
rapport aux défis de son avenir.
Le processus euro-méditéranéen de «Barcelone» initié en 1995 par presque
tous les pays riverains de la Méditerranée dans le but de préparer le climat
économique et politique à de bonnes relations bilatérales entre plus de 15
États membres de l'union européenne et les 14 autres proches du pourtour
méditerranéen, pays maghrébins compris, ainsi que le projet du nouveau
partenariat pour le développement de l'Afrique( N.E.P.A.D), lancé au début des
années 2000 à l'initiative des présidents nigérien Oubasanjo,
algérien Bouteflika, sud-africain Thabo
Mbeki, et malien Abdoulaye Wade
afin de combler l'écart entre les pays développés du nord et ceux très pauvres
du Sud furent des pas osés pour faire sortir l'Afrique de sa douce euthanasie
s'ils étaient vraiment nourris de bons plans de mise en oeuvre car la faille
demeure toutefois dans la terrible défaillance en matière de bonne gouvernance,
du militarisme excessif des élites dirigeantes et du pullulement pléthorique de
politiques anarchique, improvisée et désordonnée qui sont en total déphasage
avec la réalité du terrain. La flegme despotique qui
s'est manifesté en un mélange inédit de troubles sociaux et de démission
politique des sphères gouvernantes a ravagé l'ensemble des régimes africains.
Ce qui est surprenant est que l'Algérie, contrairement à la Libye par exemple, s'est
pendant très longtemps, recroquevillée dans une certaine posture de méfiance à
l'égard des enjeux africains, la guerre civile l'a malheureusement isolé de la
scène diplomatique internationale jusqu'à pratiquement 99 et la résolution du
conflit qui a secoué l'Érythrée et l'Éthiopie en juin 2000 sous le patronage du
président Bouteflika. Le retour intempestif de la
dimension africaine dans les préoccupations du régime algérien pourrait être
interprété comme un recentrage pragmatique de son axe baliseur en matière de
politique étrangère après de longues années de négligence et d'indifférence.
A dire vrai,
l'Algérie n'a pas su réellement puiser dans sa véritable source d'inspiration
pour consacrer définitivement son élan moderniste attendu qu'elle a mis de côté
une partie importante de son patrimoine africain.
Encore serait-il
fort illustratif de rappeler que la modernité et l'authenticité sont des
valeurs sûres en temps de crispations identitaire et civilisationnelle
en tout genre vu qu'elles sont des paradigmes souples s'appuyant généralement
sur l'éducation et la culture si tant qu'il en existe une efficacité et une
pertinence des programmes scolaires. Ces deux facteurs là, c'est-à-dire,
l'éducation et la culture sont deux succédanés efficaces contre
l'analphabétisme et le despotisme. En un mot, la modernité et l'authenticité
sont des notions fortement connotatives, sujettes aux aléas du temps, réactualisable et renouvelable au gré des circonstances.
Sur un autre aspect, il va sans dire que l'absence d'oeuvres d'écrivains
africains tels que le penseur encyclopédiste malien Hampaté
Bâ, des écrivains sénégalais Sédar Senghor et Anta Diop, du nigérian, prix
Nobel de littérature Wole Soyinka dans les manuels
scolaires et les cursus éducatifs en Algérie a eu de graves inconvénients sur
le niveau de conscience des nouvelles élites de la réalité du continent
africain. C'est pourquoi, les us, traditions et coutumes de cette partie
méridionale de l'Afrique nous semblent étrangement exotiques.
L'absence peu
honorable d'une prospection anthropologique des profondeurs et des syncrétismes
extrêmement riches de notre continent a malheureusement été facilitée par une surmédiatisation occidentale envahissante alors que les
passerelles qui la relient à l'Algérie sont coupées. L'Afrique est devenue
cette sorte de «terre incognita» dont l'Algérie a
oublié les racines et les ramifications. D'où cette volonté de son
occidentalisation effrénée et cette tendance à son orientalisation
zélée par des élites dirigeantes cognitivisée et
déroutée alors que son africanité ou africainisation
tend de plus en plus a disparaître à la faveur de ce train ravageur de la mondialisation-laminoir. Autrement dit, l'Algérie a lâché
ses amarres matriciels dans le vent des incertitudes
et opté pour des chemins de traverse et des raccourcis qui l'ont éloigné de sa
sève nourricière. Le progrès de l'Algérie est une question d'adaptation et
d'adaptabilité, de malléabilité et de souplesse mais il est également et
surtout un besoin de ressourcement dans les fonts baptismaux de l'africanité et
un retour certain aux racines.
Songeons un peu à
l'union européenne qui a ébauché son armature génératrice par le biais d'une
petite communauté économique de six pays pour atteindre au jour d'aujourd'hui
une constellation d'États qui dépasse de loin les 27 pays, économiquement
solidaires et politiquement coopératifs. La crise de la dette dont la Grèce a subi les
conséquences n'a pu être traitée et analysée que grâce à la supervision
tatillonne de l'union européenne. De même constate-t-on la cohérence et la
solidité de toutes les politiques européennes engagées à titre collectif car
face au déluge de la crise économique mondiale, l'action des États in solo
semble être moins bénéfique que la réaction d'ensembles politiques structurés
et hiérarchisés. Ces rappels de l'efficacité collective nous renseignent sur la
nécessité plus qu'impérieuse de redonner un souffle de vie à la concertation de
l'Algérie avec le reste des pays africains afin de trouver une voie de salut de
nature à désengorger ce continent meurtri du malaise multidimensionnel dont
souffrent les populations à l'image de: l'émigration clandestine, le destin
plus que tragique des Harragas, le chômage de la
jeunesse, l'endettement, la pauvreté ganglionnaire qui menace des pans entiers
des classes sociales et le drame suprême qu'est la mauvaise gouvernance, cancer
de tous les temps.
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Posté Le : 11/08/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Kamal Guerroua
Source : www.lequotidien-oran.com