Algérie

L'Algérie entre langues et identité



Nous l'avons découvert l'année dernière lors de la 8e édition du Film Lab d'Alger 2021, où elle a présenté son court métrage docu-fiction «l'Arche», nous découvrons à présent son récent documentaire intitulé «La grosse moula ou li michan.». Un titre qui fait référence à une phrase dite par un jeune dans le film en faisant référence aux gens qui parlent en français. Et de se demander pourquoi «plus les gens sont aisés, plus ils parlent en français'» Et d'estimer du coup qu'il y a, d'un côté, «la grosse moula» et de l'autre «les méchants»..Vous l'aurez compris, ce film s'intéresse aux langues qu'utilisent les Algériens. Réalisé par la jeune designer Amira Louadah, ce film questionne le rapport des Algériens à la langue au sein d'un microcosme éclaté et tente de comprendre pourquoi telle ou telle langue a été imposée, délaissée ou prévaut plutôt qu'une autre. Sans vouloir donner des réponses toute faites, la réalisatrice part d'abord de son milieu personnel, familial pour élargir son cercle de témoignages en allant vers l'espace social et public. Au sein de sa famille, elle demandera à sa mère pourquoi la langue kabyle, sa langue maternelle n'est pas beaucoup parlée, contrairement à la langue française' Cette dernière lui invoque les conséquences du colonialisme et le besoin d'étudier à l'université dans une langue savante. La question de la «transmission» dans l'Algérie contemporaine est l'élément-clé et le moteur de la quête de la réalisatrice. À noter que la problématique de la «darija» est celle qui revient le plus souvent dans ce film documentaire, bien que l'on verra, plus tard, Amira Louadah dédier son film à son arrière-grand-mère, en insérant une image d'elle en fin de générique, en train de chanter en tamazight. Un passage émouvant qui, sans doute, à été à l'origine des questionnements de la réalisatrice, mais pas que. À noter, également, que si la mère de la réalisatrice parle en français, son père, lui répond en langue amazighe. La curiosité de la réalisatrice ira à la quête des jeunes de son âge, que ce soit des étudiants ou des jeunes vendeurs à la sauvette. Au coeur d'Alger, dans une forêt ou en plein vacarme au milieu des marchandises notamment, Amira Louadah veut savoir pourquoi la langue «darija» n'est pas employée ou plutôt étudiée à l'école' Si certains jeunes sont d'accord pour l'introduction de la darija à l'université, pour d'autres, cela relève de l'inimaginable arguant qu'elle n'est pas suffisamment «savante».Du cercle intime, familial, la réalisatrice va s'intéresser ainsi au monde qui l'entoure et faire délier les langues. Le documentaire d'Amira Louadah affirme ce que l'on pense déjà de l'Algérie d'aujourd'hui: Beaucoup se détournent de la langue française au profit de la langue anglaise. En effet, beaucoup de jeunes s'opposent, aujourd'hui, à la langue de Molière, affirmant ne rien comprendre à cette langue ou tout bonnement vouloir apprendre la langue de Shakespeare car c'est la langue universelle qui leur permettra de communiquer une fois à l'extérieur... Les avis divergent ou convergent.
Le kabyle, la darija et le français
La réalisatrice pousse les jeunes à réfléchir, notamment sur le rôle de la darija qui pourrait servir par exemple comme instrument pour comprendre le Coran quand la langue arabe officielle se veut un peu trop complexe et hermétique. Si cela peut paraître comme une provocation parmi certaines personnes interrogées, chose que la réalisatrice fera remarquer à l'imam de Ketchaoua, Hadj Mourad Sahmoune, ce dernier accepte, bien au contraire, volontiers, cette idée, arguant que le Coran est, aujourd'hui, traduit dans toutes les langues dans le monde, alors pourquoi ne pas le vulgariser en darija, estimera l'imam. Si pour l'universitaire Mekkia Benaâma, la révolution de la langue algérienne doit s'imposer, d'autres se moquent carrément de la langue arabe comme Hossam Ferhat et Redouane, les vendeurs à la sauvette qui rêvent à l'Europe. Au-delà des avis des uns et des autres, un jeune va tenter de démystifier la langue arabe en invoquant toutes les influences dont elle se nourrit et ce, eu égard aux passages successives de plusieurs civilisations en Algérie. Aussi,des jeunes regretteront que la langue arabe, tel que rapporté par les «CasbaouiS» se mette à mourir aujourd'hui, à cause de la dispersion des gens de cette ville, Alger, appelée «Mazghena» jadis.
Le documentaire évoquera aussi les orientations idéologiques des défenseurs des langues arabe et française, tout en citant la poésie arabe populaire, dite melhoun ou «orale» qui était chantée jadis, mais dont des universitaires refusent de l'étudier même à la fac.
Un sujet éminemment d'actualité, la réalisatrice optera pour un versant beaucoup plus social que politique dans son analyse. Son regard tendre sur la langue algérienne sera étayé, également, par une sorte de performance de l'auteur du film au sein de la ville, où on la verra poser devant un amas de fer, des échafaudages d'une maison en cours de construction, croit-on comme symbole peut-être d'une Algérie qui n'en fini pas de vouloir bâtir la meilleure nation qu'il soit, mais qui continue à buter contre les problèmes les plus élémentaires, notamment la question: «Dans quelle langue l'Algérien devra-t-il s'exprimer pour se faire entendre ou comprendre'». Et puis, quelle langue, pour quel espace' Un système éducatif en situation délétère, toujours en élaboration et qui, depuis l'indépendance, n'en finit pas d'apposer ses règles en expérimentation sur les nouvelles générations en cobaye. Dans ce documentaire de 45 mn, des choses sont dites, des perceptions multiples et contradictoires sont données ici et là, «un paysage linguistique se tisse, révélant des enjeux sociétaux autour des dominations sociales, des identités et de l'histoire dont l'histoire coloniale.». À noter que «La grosse moula ou li michan» a été à l'origine d'un autre travail d'Amira Louadah. Il s'agit de «Machari3 7ouma», qui s'inscrit dans le cadre du mémoire de fin d'études de la jeune réalisatrice, qui prépare en fait un diplôme en design industriel à L'Ecole nationale supérieure de création industrielle, «Ensci - Les ateliers» à Paris.
Système socio-éducatif en jachère
«La grosse moula ou li michan» se veut enfin un documentaire plutôt intéressant qui lève le voile sur «le paysage linguistique» de l'Algérie en tentant de comprendre les mécanismes sociétaux qui l'agitent.
Un film qui mérite d'être projeté d'autant qu'il suscitera assurément un débat et pourquoi pas au Sénat...
Le film se veut enfin intéressant par sa démarche filmique car l'on sent aussi la designer qui sonde le monde qui l'entoure, non seulement à travers ses gens, mais par le quotidien de sa population et son évolution au sein même de la ville.
Ainsi, le désordre presque ambiant qui y règne serait aussi à l'image de cette langue déstructurée qu'emploie l'Algérien en général et par lequel il tente de survivre et de se renouveler pour continuer à exister...


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