Le monde arabe
connaît enfin son moment berlinois. Il en faudra d'autres pour qu'il arrache
tous ses droits mais, pour reprendre une expression en vogue, c'est d'ores et
déjà le mur de la peur qui vient de s'effondrer. Certes, on dira que rien n'est
joué, que la révolution tunisienne est fragile, que l'Egypte peut basculer dans
le chaos : qu'importe ! Voici venu le temps tant attendu de la liberté. Comment
croire que l'Algérie peut rester imperméable à cette gigantesque espérance ?
Qui peut penser que le départ de Ben Ali, demain celui de Moubarak, n'aura pas
de conséquences sur l'avenir de notre pays ? Il faudrait être aveugle pour ne
pas voir que le monde arabe entre dans une nouvelle phase, celle de la fin de
la période post-coloniale. Un tournant où les régimes ne pourront plus tenir
leurs populations d'une main de fer. Il n'y a pas de hasard. Ce qui vient de se
passer en Tunisie et ce qui se passe actuellement en Egypte sont liés tout
comme ce qui se passe au Yémen ou ce qui se passera ailleurs, de Rabat à
Mascate. Posons donc une question fondamentale. Que veut-on pour l'Algérie ?
Veut-on 500.000 morts et plusieurs dizaines de milliards de dollars de
destruction ? Veut-on, qu'après une période de latence, la violence reprenne
ses droits et avec elle l'anarchie, le désespoir de la population et une
nouvelle vague d'exils qui achèvera de vider le pays de ses compétences ? On
pourra être surpris par le caractère apocalyptique des interrogations qui
précèdent mais qui peut réfuter que l'Algérie s'est toujours engagée dans le
plus mauvais des chemins à chaque moment délicat de son histoire ?
Quelques jours après les émeutes d'octobre
1988, et alors que se multipliaient les rafles et les actes de torture contre
la jeunesse – actes immondes dont les auteurs n'ont jamais été punis – un haut
responsable de l'époque avait tenu ces propos en ma présence : « la prochaine fois,
ce sera cent mille morts ». Abasourdi, je lui avais demandé pourquoi il faisait
preuve d'un tel pessimisme. « Le régime ne comprend pas qu'il lui faut changer
en profondeur » avait-il répondu. C'est un fait, le système n'a pas changé
après Octobre et il est inutile de revenir sur ce qui a suivi. Le bilan des
années 1990 est terrible, la population algérienne est fatiguée mais, encore
une fois, rien n'a changé si ce n'est le fait que les caisses du pays sont
pleines. Un magot qui, pourtant, ne sert ni à réduire le chômage ni à
diversifier l'économie ni même à rendre les Algériens heureux.
Il y a un an, après le fameux match de
football entre l'Algérie et l'Egypte à Khartoum, j'avais écris ces lignes à
propos de l'incroyable mobilisation des supporters algériens : « il est urgent
que nos dirigeants se rendent compte que la jeunesse algérienne n'en peut plus
d'attendre des jours meilleurs ». Aujourd'hui, il ne s'agit plus uniquement de
la jeunesse mais de tous les Algériens. Quoiqu'en disent nos décideurs et
autres responsables. La contagion est là. L'attente aussi. Demain, dans
quelques semaines ou dans quelques mois, les Algériens vont eux aussi tenter de
prendre leur destin en main. C'est une évolution inéluctable qu'il serait
dangereux, et criminel, d'ignorer et, plus encore, de nier. Du coup, toute la
question est de savoir quel type de révolution il faut souhaiter pour le pays
car plusieurs scénarios sont possibles mais tous ne sont pas souhaitables. Il y
a bien sûr la révolution totale, celle où le peuple engage l'épreuve de force
avec le système. C'est peut-être l'option la plus attendue, la plus brutale et
la plus romantique. C'est certain, elle comblera celles et ceux qui n'en
peuvent plus de vivre dans la hogra et la misère. C'est la voie où la colère de
la rue ne se calme que si elle obtient justice et que si les représentants du
régime sont emprisonnés et jugés. C'est une voie où la violence est reine et où
une extrême jubilation accompagne la chute du système honni. Mais c'est une
voie où le vide du lendemain ouvre le champ à toutes les dérives. Faire table
rase du passé est jouissif mais ce n'est pas ainsi que l'on construit une
Nation. Les Algériens ne peuvent pas avoir la mémoire courte et doivent se
rappeler que la violence s'accompagne de toutes les manipulations possibles et
qu'elle prépare toujours la victoire de la réaction. On le sait, chaque fois
que le peuple algérien a eu recours à elle pour se libérer de ses chaînes, elle
s'est retournée contre lui. J'écris que le peuple a eu recours à la violence.
Peut-être devrais-je être plus précis et dire qu'à chaque fois que le peuple a
été forcé – parfois à son insu – de recourir à elle, cette dernière s'est
finalement dirigée contre lui. Nous savons tous que la crise politique actuelle
– car il y a bien crise n'en déplaise aux adeptes de la méthode Coué –
s'aggravera si elle se traduit par de nouvelles violences. Pour autant, on a
l'impression que c'est vers cela que l'Algérie se dirige, un peu à l'image de
ces westerns où l'on devine, dès le début, que le duel sanglant est
inéluctable. Toute la question est donc de savoir si nos dirigeants sont prêts
à accepter l'idée d'un changement de système et à préparer, de manière
préventive – et intelligente - leur sortie. Car c'est bien de cela qu'il s'agit.
Ne louvoyons pas : c'est d'un changement de régime qu'il est question et de
l'émergence d'une nouvelle république algérienne, respectueuse des droits des
personnes humaines et des règles d'alternance politique. C'est d'un pays où la
liberté d'expression serait garantie dans tous les médias, à commencer par la
télévision, dont il faut rêver à l'heure où, en Tunisie et demain en Egypte, on
déboulonne statues et idoles.
Cela implique que nos dirigeants, nos chers
décideurs, tous les maîtres de cette pyramide à plusieurs têtes qu'est le
pouvoir algérien, comprennent que le statu quo est intenable. Il faut qu'ils
acceptent qu'il est temps pour eux de passer la main. Ils peuvent s'entêter
mais, pour eux, ce serait courir à leur propre perte (et à celle du pays). A
l'inverse, ils peuvent aussi organiser ce passage de relais de la manière la
plus pacifique qui soit. Ainsi, l'Algérie et les Algériens, longtemps connus
dans le monde pour leur propension à régler les différends de manière violente,
entreraient dans l'histoire. En effet, que peut-on souhaiter de mieux qu'une
transition pacifique et ordonnée ? Une transition facilitée par ceux qui auront
compris qu'il est de leur propre intérêt – ne parlons même pas de celui du pays
- de quitter au plus vite la scène…
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Posté Le : 03/02/2011
Posté par : sofiane
Ecrit par : Akram Belkaid : Paris
Source : www.lequotidien-oran.com