Algérie

L'Aïd, ce n'est pas du gâteau : Peu de ménages mettent encore la main à la pâte



De plus en plus de femmes se tournent vers les « professionnelles » du rouleau pour passer commande des gâteaux de l?Aïd.

Le phénomène, si on peut le définir ainsi, vieux d?au moins dix ans, commence sérieusement à «contaminer» les ménages en instaurant de nouvelles règles dans le giron familial. Des inconditionnels mais également des détracteurs, cette pratique trouve toute sa raison dans l?évolution verticale de la condition socio-économique de la femme. Mais pas uniquement, selon l?analyse de B. Hakim, sociologue journaliste.

«Si toutes les conditions matérielles sont réunies pour l?émancipation de la femme des affaires de la cuisine, il n?en demeure pas moins que les moeurs ont évolué, sinon changé. La femme, même désargentée, aspire de plus en plus à conquérir une liberté individuelle qui passe forcément par trouver sa place dans le monde du travail et accessoirement par se débarrasser des contraintes et des corvées ménagères». Si dans l?esprit, la distance que prend la femme vis-à-vis des exigences du toit familial ou conjugal s?inscrit dans la logique de l?évolution des moeurs, en réalité c?est tout un process qui s?est mis doucement, mais sûrement, en place pour offrir à la femme ce substitut. Cependant sur le terrain, cette théorie de l?esprit n?a rien à voir avec la réalité des fours puisque les femmes qui passent commande le font souvent pour des raisons tout à fait pratiques, comme tiennent-elles à le souligner. « Je n?ai pas le temps, déjà qu?entre le boulot, les enfants et la bouffe, je n?arrive pas à m?en sortir alors s?il faut encore se farcir les gâteaux de l?Aïd ! » semble presque se justifier Naïma, fonctionnaire dans une administration publique. Cette réponse, vous la trouverez quasiment dans tous les argumentaires féminins qui témoignent paradoxalement de la gêne de la pratique. Question de temps mais également de moyens parce que le commerce des gâteaux n?est pas à la portée de toutes les bourses. En témoignent les prix affichés par kilo ou par pièce. Najia, la quarantaine, enseignante dans un lycée d?Oran, se veut moins philosophe et assume pleinement son choix « de ne pas pétrir la pâte de l?Aïd ». « J?ai toujours préparé les gâteaux pour l?Aïd même en temps de travail. Par obligation, lorsqu?on partageait mon mari et moi le toit familial, et par habitude quand on a habité seuls, mais j?ai décidé de me rapprocher des pâtissières pour plus de commodités. Même si la différence des prix est palpable, la paix et le repos n?ont pas leur pareil », développe-t-elle. Si le cas de Najia est atypique, il reste encore des ménages à cheval sur les traditions. « L?ambiance de la préparation des gâteaux de l?Aïd est spéciale », attaque d?emblée Kader, à l?orée de la quarantaine, entre deux gorgées d?un thé sans saveur. « J?ai interdit à ma femme de commander des gâteaux, pas pour des considérations budgétaires mais tout bonnement parce que j?ai envie que mon fils vive les mêmes sensations que j?avais vécues pendant mon enfance. J?ai envie qu?il ait les mêmes souvenirs des fêtes de l?Aïd que moi», ajoute-t-il.

D?autres voix jettent l?opprobre sur ces pratiques qu?ils imputent volontiers à une émergence d?une nouvelle bourgeoisie avide d?étaler maladroitement et ostensiblement ses marques extérieures de richesse. Salah, smicard invétéré, repousse d?un revers de la main ces habitudes de consommation qui «sont étrangères à notre société», comme il insiste à l?affirmer. «Tu as vu les prix pratiqués; je préfère encore makrout taâ chibania que ces pièces qui fondent dans la bouche avant même de les mâcher». Justement, à propos des tarifs appliqués, leur constante augmentation épouse les exigences du marché comme tient à l?expliquer Khalida. «J?ai commencé à honorer des commandes à 200 DA le kilo de griouèche, mais avec la hausse du prix des matières de base, le sucre et surtout l?huile, le kilo est cédé à 400 DA cette année », avoue cette pâtissière qui travaille chez elle «au noir» dans un quartier périphérique d?Oran-Est. Spécialisée dans les gâteaux traditionnels makrout, kaâb laghzal et autres dziriet, son champ d?action ne se limite pas simplement aux fêtes de l?Aïd mais s?étend sur le reste de l?année. «On travaille presque toute l?année quand on nous sollicite pour les circoncisions, les mariages, les occasions religieuses et les naissances, pour tout vous dire, on ne chôme pas, El-hamdoulillah».

A l?image de Khalida, c?est tout un commerce d?un nouveau genre qui s?est installé pour offrir ses services. Oran a vu, en l?espace d?une décennie, fleurir des magasins vantant à leur devanture tout un savoir-faire dans la préparation de gâteaux aussi traditionnels que modernes, combinés entre la pâtisserie française et orientale. Si au début de l?aventure, ils n?étaient que quelques vitrines à honorer ce genre de commandes, aujourd?hui, la tendance est à la généralisation vu l?engouement que suscite ce commerce auprès des femmes. Légalement ou au noir, de plus en plus de cuisines se transforment en lieux dédiés aux gâteaux. Si les tenants de ce commerce sont souvent des femmes issues de Tlemcen, Constantine et Alger, les pionnières ont appris sur le tas ayant côtoyé une voisine syrienne ou jordanienne ou ayant elles-mêmes vécu quelque temps dans les pays du machreq. Quoiqu?il en soit, ce phénomène a certainement de beaux jours devant lui et il est à parier que de plus en plus de femmes vont tôt ou tard l?adopter.






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