Algérie

L'âge du printemps...



Tout commence par un regard : dans l'échoppe d'un cordonnier à Belcourt, un client croit percevoir un signe, un échange autour d'un geste étrange qui pourrait sceller «une transaction commerciale concernant le temps».Quel sens donner à cela ' Barbe grisonnante et mains un peu calleuses, l'artisan au front ridé, fixe le jeune client d'un air malicieux et lui pose une question d'apparence fortuite : «Quel âge as-tu mon garçon' «, «Trente-trois ans», répond ce dernier à la façon d'un métronome et sans prendre le temps de lui poser à son tour une question sur le pourquoi de cette question-là, le cordonnier enchaîne, pressé, en guise de réponse :»c'est l'âge du printemps!» Et au vieux de dérouler alors son récit sans que personne ne l'y invite, entraînant son interlocuteur, blasé et debout près du comptoir, dans une valse effrénée à la recherche du temps perdu, ou peut-être à venir. Il fait escale sur cette époque-là, les années quatre-vingt, où il découvre pour la première fois la banane. L'Algérie, riche de ses jours où le soleil s'étire indéfiniment, hésite entre le rythme de l'Orient et celui de l'Occident, et enfin, le sien propre, qui court en vain après l'instant fuyant, goûte aux saveurs de ce fruit tropical. Et comme émerveillée par les vertus du socialisme de la mamelle, elle regarde quand même l'avenir inquiète. «C'est drôle, soupire-t-il en ajustant son enclume, comme on est passé d'un temps trop long vers un temps plus rapide, qui lui, offre par contre un temps incertain, aux consonances de la tragédie!» «Pourquoi tragédie Ammi Moh'» «Eh bien mon fils, entre ses errances sur les étals des marchés populaires où l'on lui expose tout et ses conversations dans le café du coin sur une sauce politique qui le déçoit, l'Algérien se découvre comme pris dans le piège qu'on lui a tendu. Le rythme de la vie s'accélère et le vieux rêve des villages socialistes tombe vite dans les oubliettes. Et face à son désarroi, tout le pays se réveille comme paumé, épuisé par les désillusions, gangrené de l'intérieur par l'islamisme et les corrompus qui s'en remplissent les poches» «J'avoue que je suis si jeune pour comprendre tout ça!» « D'après mes calculs, tu es venu au monde l'année d'automne 1988, devenu par euphémisme un printemps, notre deuxième printemps après celui d'avril 1980" «Exact!» « Tu sais, cette année-là, personne ne comprenait ce qui se passait réellement. Ce fut un mélange du chaos et d'hystérie. Bon, tu veux que je sois juste avec les mots : c'est de la folie ! Les grèves dans tous les secteurs et les crises se succèdent à un rythme insoutenable, le verrou du parti unique part en éclats, les intégristes montrent patte blanche, le pétrole était au plus bas à cause du crash ayant eu lieu deux ans auparavant, les pénuries harassent, la banane bon marché devient rapidement si coûteuse et les gens ne trouvent même pas de patate pour calmer des ventres creux... C'est la cata au sens propre et figuré du terme, au point que certains regrettent même le temps de la dictature la plus dure des années soixante-dix!» «Et que s'est-il passé après'» «J'évite de parler de larmes et de sang parce que cela me fait très mal. C'est exactement l'histoire de l'enclume et du marteau. Et si le seul outil qu'on connaît est un marteau, on tend à voir tout problème comme un clou !»


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