L'expression
«Scandale Géologique» est très largement utilisée pour qualifier
l'exceptionnelle richesse minérale de l'Afrique mais tout aussi scandaleuse est
la pauvreté qui frappe bon nombre de ses habitants.
Après un demi-
siècle, le bilan des indépendances ans le Continent est là, triste et
révoltant.
Triste parce que le cercle de la précarité et
des maladies ne cesse de s'élargir et s'il y ‘a une gradation dans la
souffrance les premières victimes en sont les femmes et les enfants.
Révoltant par le rageant paradoxe de voir un
continent ligoté par sa dotation naturelle en richesses du sol et du sous - sol
et sa force juvénile réduite à l'errance.
Et si Goré(1) est l'obscur symbole de la
hideuse exploitation des énergies humaines du Continent ; Gao(2) illustre
aujourd'hui le désespoir des population qui osent défier la mort dans leur
quête de survie.
Les indépendances politiques ont certainement
conféré des autonomies «domestiques» aux anciennes colonies mais les rapports
tutélaires entre les anciennes colonies et leurs anciennes métropoles ne se
sont pas totalement résorbés.
Tout au contraire à travers les organisations
internationales et notamment les institutions financières internationales, le
continent est sous un système de pilotage automatique qui n'a, à aucun moment,
intégré son expression propre.
L'aide accompagnée de ses objectifs
économiques en matière d'équilibres financiers et de privatisations et
accessoirement de conditions de bonne gouvernance a complètement raté ses
finalités et a contribué de façon directe ou indirecte à la dégradation de la
situation.
Certaines considérations officielles laissent
même penser que la finalité de l'aide n'est guère d'aider l'Afrique mais tout
au contraire de l'intégrer dans les solutions recherchées aux crises des
économies occidentales et notamment européennes.
Pour la
commission européenne : Il faut «injecter pendant une période donnée, trois,
quatre ou cinq ans, des flux financiers massifs de l'ordre de dix milliards par
an dans les pays du tiers - monde, qui représentent pour l'Europe les plus gros
marchés potentiels, et de contribuer ainsi à une relance de l'économie
mondiale»(3).
Le Président Sarkozy à la conférence des
Ambassadeurs en Août 2009 promettait de faire passer l'aide publique au
développement de la France de 0,38% à 0,44% dont une part de 60% sera destinée
à l'Afrique, car «l'Avenir de l'Europe se joue aussi en partie en Afrique»(4).
Pas seulement l'avenir de l'Europe, mais
l'avenir de la planète relève en grande partie du potentiel économique de
l'Afrique.
L'Afrique n'est
pas pauvre mais constamment appauvrie. Véritable réservoir de matières
premières, l'Afrique abriterait(5), 30% des réserves minérales du monde, ce
pourcentage bien qu'important est encore peu indicatif sur les 90% de
ressources de Platine, 80% de Coltan(6), 50% de diamant et 40% d'or.
En dehors de l'énergie fossile largement
connue aujourd'hui, l'Afrique possède un potentiel en énergies renouvelables
(solaire, éolienne, géothermique...) plus de mille fois supérieur à ses
besoins.
Par ailleurs l'Afrique n'utilise que 1,6% de
ses réserves disponibles en eau pour l'irrigation ce qui ne lui permet
d'exploiter réellement que 7% de ses terres arables.
Cette dotation naturelle en facteurs
économiques est un point de fixation des grandes puissances pour la
sécurisation de leur approvisionnements notamment en énergie et attise la
convoitise des pays émergents. L'Afrique «assistée» subit les ravages d'une
économie débridée et montre au reste du monde ce que peut être la caricature
exaspérée de l'économie de marché.
Claire BRISSET , ancienne défenseure des
Droits de l'Enfant écrit : «l'Afrique n'est pas au bout de ses mutations, y
compris de celles que lui imposent les forces extérieures qui ont pris le
relais des colonisateurs»(7).
Cette affirmation est implicitement
corroborée par le Président Sarkozy dans son discours, cité plus haut, devant
la conférence des Ambassadeurs : «2010 sera une année importante pour la
relation entre l'Afrique et la France : quatorze anciennes colonies Françaises
célébreront le cinquantième anniversaire de leur indépendance. Ce sera donc une
année dédiée à la fidélité dans l'amitié et la solidarité. Et je souhaite que
2010 signale aussi l'achèvement d'une rénovation profonde de nos relation avec
le continent africain».
Les rapports de l'Afrique avec la France,
avec l'Europe, ont donc besoin d'une «rénovation profonde» d'un rééquilibrage
réel à la mesure de l'utilité de l'Afrique au reste du monde mais un
rééquilibrage qui reconnaisse surtout à l'Afrique le droit d'être d'abord utile
à elle - même.
Le changement voulu de part et d'autre n'est
pas aussi aisé qu'il le parait.
L'Europe qui consolide ses structures et
étend son influence sur le sol de son propre continent, peine toujours à
s'affirmer en tant que puissance mondiale et l'Afrique usée et disloquée
n'arrive pas à dépasser le mimétisme dans sa quête de solution à ses nombreux
problèmes.
L'Europe embrigadée par le culte du profit,
encore emportée par son élan vers l'Est et toujours obsédée par sa sécurité,
peut difficilement contenir la vulnérabilité morale qui dénature ses
intentions. Elle doit se méfier de sa suffisance comme de sa condescendance
pour se retrouver et retrouver son Histoire avec l'Afrique.
L'Afrique
affaiblie par la malnutrition, l'illettrisme et la maladie s'offre encore le
luxe -elle y est souvent aidée- de se faire la guerre avec des armes qu'elle ne
produit pas. Lestée par sa propre gouvernance, elle a perdu le sens de ses
propres intérêts et ne sait plus faire valoir ses atouts à ses prétendants,
nouveaux et anciens.
L'Afrique ne peut continuer à gémir entre la
lente cicatrice de Gorée et l'abcès encore ouvert de Gao. Elle doit se décider
à investir les leçons de ses douleurs dans l'éclosion de ses indéniables
potentialités. Les deux continents que l'émotion, la nostalgie, l'exotisme et
les voeux incantatoires rapprochent parfois au-delà des intérêts matériels,
demeurent objectivement séparés par un lourd différentiel de richesse.
Il faut de part et d'autre une volonté
indéfectible et une grande sincérité pour faire de leur point d'attache
l'espace de promotion d'un avenir partagé dont la Méditerranée a toujours été
grosse mais dont l'accouchement est sans cesse contrarié.
Le premier
obstacle réside dans les «calculs» qui se cachent dans les ultimes tics d'une
habitude «prédatrice» pour les uns et dans la posture de défiance des agressés
de l'Histoire pour les autres.
Entre les deux continents, les accords de
partenariat répondent sûrement à l'orthodoxie économique mais ils contribuent aussi
sûrement à accentuer la précarité de «la mémoire vivante qui n'est pas née pour
servir d'ancre» mais de ferment à «la solidarité des peuples qui s'impose à la
conscience contemporaine»(8).
Il s'agit alors d'une véritable mutation
civilisationnelle dans laquelle l'Afrique doit faire preuve de mesure et de
clairvoyance face aux charmes du néo - libéralisme et lever les obstacles
devant les compétences de ces nouvelles élites pour faciliter leur engagement
lucide et décidé dans la bataille du développement.
Elle doit lutter contre «la fraude électorale
qui ouvre au maintien des responsables politiques à des postes offrant un
double accès aux coffres de l'Etat et à l'immunité judiciaire. La corruption
coûterait à l'Afrique 150 Milliards de dollars par an»(9).
Par contre «une baisse d'un point du niveau
de corruption d'un pays s'accompagne d'une hausse de 4% de production
nationale(10).
Mais l'Europe a l'obligation historique de
montrer une route nouvelle à l'opposé de l'asservissement, par l'acceptation
d'une pluralité de civilisations, dont chacune pratiquera un même respect
envers les autres(11).
Un rôle que le directeur de la Banque
Mondiale Robert ZOELLICK invite la Chine et l'Inde à jouer en demandant à la
première de contribuer au développement et à la modernisation de
l'infrastructure en Afrique et à la seconde d'y investir son savoir - faire et
son expertise dans les domaines du chemin de fer et de la pharmacie.
L'invitation a été très favorablement
accueillie par les deux pays !
Mais quel espoir
peut porter un changement de partenaires sans un regard à l'organisation
inéquitable du monde qui humilie la condition humaine.
Seule «la plénitude culturelle peut rendre un
peuple plus apte à contribuer au progrès général de l'humanité et à se rapprocher
des autres peuples en connaissance de cause»(12).
Notes :
1- Goré, ilot
côtier du Sénégal qui a servi de lieu de regroupement des esclaves au XVIIIème
siècle et dont la vieille ville en demeure le témoin historique.
2- Gao ,ville du
Mali sur le fleuve Niger d'où partent les candidats à l'émigration clandestine.
3- Claude
Cheysson, le Nouvel Observateur, Paris, 1er Août 1977.
4- Président
Sarkozy, discours d'ouverture de la Conférence des Ambassadeurs le 26 Août
2009.
5- «Mineral facilities of Africa and the Middle
East» United States Geological Survey 2006.
6- Coltan,
matière servant notamment à la fabrication des téléphones portables.
7 - Claude
Brisset, Soubresaut de l'Histoire Africaine, le Monde Diplomatique, Paris ,
Juin 2009.
8- Eduardo Galèno
,»Ce passé qui vit en nous» in Manière de voir N° 82 - Le Monde Diplomatique
Août - Septembre 2005.
9- Lydie
Fournier, «La lutte Anti-corruption en Afrique, n°211 s Janvier 2010 de
Sciences Humaines, Paris, Décembre 2009.
10- Stéphane
Hanson, «Corruption in Sub-Sahara Africa», Concil on Foreign Relations, Août
2009.
11- Robert
Schuman, pour l'Europe, Paris, Ed.Nagel, 1963.
12 - Cheikh Anta
Diop, Antériorité des civilisations négres : mythe ou vérité historique ?
Présence Africaine,
Paris 1967.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 31/12/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Mohamed Abbou
Source : www.lequotidien-oran.com