Algérie

L'affaire Al Atlas TV devant le tribunal d'Alger


L'ancien ministre des Affaires religieuses, Ahmed Merani, a comparu, jeudi dernier, devant le tribunal de Sidi M'hamed, à Alger, lors d'une audience spéciale pour une affaire des plus surprenantes, étrangement greffée à celle de la chaîne de télévision Al Atlas, disparue des écrans à la veille de l'élection présidentielle de 2014.Sont également poursuivis dans ce dossier Hichem Bouallouche, propriétaire de la chaîne Al Atlas TV ; son frère Djamel, propriétaire de la société Global World Media ; Tahar Bediar, le directeur général du Centre international de la presse (CIP), et Mourad Benredouane, responsable commercial au sein de cet établissement public.
Présent très tôt à l'audience, Merani, un peu en retrait, paraît tantôt un peu irrité, tantôt à l'aise, discutant avec son avocat, Me Kebab Mohamed Amine. Il est le premier à être appelé à la barre. Le juge lui fait savoir qu'il est poursuivi pour «détention d'arme de guerre et de munitions sans autorisation».
Lui, avec un sourire ironique, répond : «Comment un ancien ministre peut-il détenir une arme sans autorisation '» Il exhibe un document et déclare : «La voilà l'autorisation. Dès le début, j'ai présenté une copie et au tribunal, je donne l'original. Les gendarmes n'avaient pas le droit de venir m'enlever mon arme. Elle m'a été délivrée par la police et avec une autorisation?»
Un peu surpris par le document remis par le prévenu, le juge lui demande s'il pouvait le garder dans le dossier. Après hésitation, Merani accepte, mais se lâche : «Monsieur le président, je ne comprends toujours pas pourquoi je suis ici, ni pourquoi je fais l'objet d'une interdiction de quitter le territoire national depuis mars dernier.»
Le président appelle Tahar Bediar, directeur général du CIP, poursuivi pour trois chefs d'inculpation, «faux et usage de faux», «dilapidation de deniers publics» et «abus de fonction». Son avocat, Me Boumahdi, soulève ce qu'il estime être un vice de forme. «Vous remarquez que dans le dossier il n'y a aucune plainte des organes de gestion de l'entreprise, à savoir le conseil d'administration, comme le prévoit le code de procédure pénale. Ce qui conduit à l'annulation de la procédure», dit-il, avant que le président ne l'interrompt : «Vous auriez dû évoquer ce point avant que nous abordions le fond du dossier.»

Une interdiction de voyage sans décision du juge
Mais le procureur explique : «La plainte des organes de gestion est exigée pour les entreprises publiques industrielles et commerciales et non pour les entreprises publiques économiques, comme le CIP.» Me Boumahdi conteste et insiste sur sa demande et le juge lui fait savoir que celle-ci va être jointe au fond.
Il se retourne vers Bediar pour lui rappeler les faits qui lui sont reprochés : «Vous avez mis à la disposition de la chaîne Al Atlas TV, 13 ou 14 projecteurs, sans aucune contrepartie, et une fois que l'enquête de la gendarmerie a commencé, vous avez tenté de régulariser la situation en remettant une décharge et un bon de commande antidatés. Qu'avez-vous à dire '» Le prévenu nie tout en bloc.
Il ne cesse de répéter qu'il n'a rien signé et le juge persiste sans pour autant obtenir une autre réponse. «Vous aviez déclaré devant le juge que ces projecteurs coûtaient 110 000 DA pièce. N'est-ce pas une dilapidation de deniers publics '» Le prévenu : «Cet équipement a été amorti.
D'ailleurs, il est dépassé, mais fonctionnel. J'ai 400 employés auxquels je dois assurer les salaires. Cette chaîne de télévision était sur la liste des chaînes agréées par l'Etat, que nous envoie le ministère de la Communication. Elle a fait un bon de commande pour la location de projecteurs et signé une décharge lorsqu'elle les a réceptionnés.» Le juge : «Vous n'êtes pas ici parce que vous avez loué du matériel, mais plutôt pour l'avoir loué sans contrepartie. Vous n'avez pas respecté la loi.
De plus, vous êtes poursuivi pour ?'abus de fonction , qu'avez-vous à dire '» Le prévenu dit ne pas comprendre ce que signifie l'inculpation et le président lui explique : «Vous êtes fonctionnaire, vous tombez sous le coup de la loi sur la corruption, parce que vous avez remis les deniers de l'entreprise à la chaîne de télévision qui en a profité.» «J'ai un conseil d'administration qui me contrôle», répond Bediar, avant que le président ne réagisse : «Ici vous êtes devant un tribunal et non pas devant l'assemblée générale. Je veux que vous me donniez une réponse sur les faits d'abus de fonction.» Le prévenu : «Qu'ai-je fait ' Comment pourrais-je dévier de ma fonction '» Le juge demande «une réponse claire» et le prévenu déclare : «J'ai répondu.»
Une réaction qui irrite le magistrat, lequel appelle Mourad Benredouane et lui dit : «Vous êtes directeur commercial au CIP '» Subitement, Bediar intervient : «Il est responsable de la commerciale.» La réaction suscite la colère du magistrat. «Vous n'avez pas le droit d'intervenir sans que je vous y autorise», lui dit-il sèchement, avant de revenir vers Benredouane, poursuivi lui aussi pour les mêmes faits que son responsable. Il explique la procédure de location du matériel, en précisant que les bons de commande et les décharges doivent être signés le jour même où les équipements sont remis aux bénéficiaires.
Le juge : «Dans le dossier, les bons de commande et les décharges ont été signés dès que l'enquête de la gendarmerie a commencé.» D'une voix très basse le prévenu déclare : «Je ne me rappelle pas.» Puis, harcelé par le juge, il nie tout simplement les faits. Le juge finit par lui signifier : «Il y a trop de contradictions dans vos déclarations.»
Il appelle à la barre Djamel Bouallouche, propriétaire de la société Global World Media, poursuivi pour, entre autres, «complicité dans la dilapidation de deniers publics». Un peu évasif, il dit «ne pas comprendre ce qui lui arrive». Sa société, précise-t-il, loue les plateaux techniques aux chaînes de télévision. «Lorsque les gendarmes sont venus au studio d'enregistrement situé à Baba Ali, je leur ai dit que les 13 ou 14 projecteurs appartenaient au CIP. Ils étaient étiquetés et 4 seulement étaient fonctionnels (?).
Je ne connais même pas les responsables du CIP. Ma société n'a même pas eu le temps de démarrer, que tout mon matériel a été saisi. J'ai tout perdu, et à ce jour je n'ai toujours pas compris ce qui s'est passé.» Le juge ne s'attarde pas beaucoup avec le prévenu. Il appelle son frère, Hichem, propriétaire de la chaîne Al Atlas, poursuivi pour «s'être accaparé un bien de l'Etat», «complicité de dilapidation de deniers publics» et «blanchiment d'argent».
«Ils sont là parce que Merani a parlé du 4e mandat sur Al Atlas TV»
D'emblée, il déclare que le bien en question, le siège de la chaîne, une villa située à Kouba, «fait partie d'une coopérative immobilière dans laquelle il y a près de 80 personnes. La propriété n'a pas été transférée des Domaines vers les nouveaux acquéreurs, parce que la procédure prend beaucoup de temps». Le juge : «Vous êtes poursuivi aussi pour blanchiment d'argent à travers vos deux sociétés offshore, domiciliées aux îles Vierges britanniques.» Le prévenu ne nie pas être propriétaire de ces deux sociétés, mais ne cesse de clamer : «Je n'ai jamais fait du blanchiment d'argent. Il n'y a aucune preuve dans le dossier. Je ne comprends pas cette inculpation.» Le juge : «C'est tout ce que vous avez à dire '» Et Bouallouche lui répond : «Oui.»
Puis c'est au tour du procureur de poser des questions. Il commence par Bediar. «Vous aviez dit que les projecteurs étaient trop vieux. Comment ont-ils pu être loués '» Le prévenu : «Ils étaient encore fonctionnels, mais un peu dépassés. Le représentant de la chaîne voulait des projecteurs.
Je lui ai montré ce qu'on avait. Il les a pris après avoir signé un bon de commande et une décharge.» Le procureur lui demande si la durée de la location est mentionnée sur les bons de commande et Bediar précise : «Les bons de commande sont ouverts.» Le magistrat : «Avez-vous été payé pour vos projecteurs '» Le prévenu : «Les factures ne sont délivrées qu'à la fin de la prestation.»
Le procureur se tourne vers Benredouane, puis vers Djamel Bouallouche, avant d'entamer son réquisitoire. «Bediar a loué l'équipement du CIP à la chaîne Al Atlas de 2012 à 2013 sans aucune contrepartie.
Cela s'appelle de la dilapidation de deniers publics. Il a permis à la chaîne de tirer profit, ce qui le met en situation d'abus de fonction. Il a commis un faux en régularisant la situation à travers des écrits antidatés», dit-il, en fixant le directeur général du CIP.
Il s'adresse à Hichem Bouallouche et l'accuse d'avoir «blanchi l'argent», obtenu par des «activités illégales». Ses demandes sont surprenantes. Il requiert 5 années de prison ferme, assortie d'une amende d'un million de dinars contre Ahmed Merani, qu'il n'a à aucun moment cité ou interrogé. La même peine et la même amende sont requises contre Mourad Benredouane et Hichem Bouallouche. Le représentant du ministère public a également demandé 3 ans de prison ferme assortie d'une amende d'un million de dinars contre Djamel Bouallouche et une amende de 5 millions de dinars contre les deux sociétés Global World Medias de Djamel Bouallouche et la Sarl Alpha (propriétaire de la chaîne Al Atlas), de Hichem Bouallouche.
Le premier avocat à plaider la relaxe est Me Boumahdi. Il défend Bediar, mais parle, dans la foulée, de Benredouane et de Merani. D'emblée il déclare : «Nous savons tous pourquoi ces gens sont là. C'est à cause des déclarations de Merani. Il est passé dans une émission de la chaîne Al Atlas, où il a parlé de l'éventualité d'un 4e mandat en exprimant ses critiques à l'égard du président.
Ce dossier a été amputé, et l'ordonnance de renvoi est une flagrante aberration. Merani vous a apporté la preuve qu'il a une autorisation de port d'arme. Document qu'il a présenté durant toute la procédure, en vain. Vous, vous parlez de bon de commande et de décharge en ce qui concerne Bediar et Benredouane, et le juge d'instruction n'évoquait que les factures (...). Le dossier a pris une autre trajectoire. Il n'aurait jamais dû atterrir ici.»
Me Mohamed Amine Kebab lui emboîte le pas et précise : «Depuis 2014, Merani est interdit de voyager, alors que durant toute l'instruction, à aucun moment le juge ne l'a décidé. Comment peut-on dire qu'il détient une arme sans autorisation, alors que celle-ci est dans le dossier '» Après avoir demandé la relaxe et la levée de l'interdiction de voyager, il cède sa place à Me Yahia Sellal, avocat de Hichem Bouallouche, qui récuse tous les faits retenus contre son mandant avant de crier : «Cette affaire a totalement dévié. Rien dans le dossier n'est argumenté ou prouvé.» Me Mechlal estime, quant à lui, que son mandant, Djamel Bouallouche, «n'est devant le tribunal que parce qu'il est le frère de Hichem. Cette affaire lui a causé beaucoup de préjudices. Il n'a aucun lien avec le matériel du CIP. Il doit être relaxé».
A la fin des plaidoiries, le procureur demande la parole. «Je voudrais apporter des précisions sur l'interdiction de voyager, qui peut être décidée par le procureur, en vertu de la nouvelle loi 15/02 de 2016», souligne-t-il. Ce qui suscite la réaction brutale des avocats. «La loi n'a pas d'effet rétroactif. Les inculpés ont été poursuivis en 2014, avant les amendements du code de procédure pénale. On ne peut pas leur appliquer la loi 15/02 de 2016», déclarent-ils. Le président intervient : «Vos demandes sont dans le dossier.
C'est au tribunal de trancher.»
Il demande à chacun des prévenus de dire un dernier mot, et tous affirment qu'ils n'ont rien fait, sauf Merani, qui déclare : «pensez-vous qu'un ancien ministre, cible de tous les terroristes encore en liberté, puisse être doté d'une arme sans autorisation ' C'est impensable?» Le juge décide de mettre l'affaire en délibéré et annonce que le verdict sera connu le 7 décembre.
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