Algérie

L'accrochage de Sidi Mohand Aklouche à Cherchell (III)



L'accrochage de Sidi Mohand Aklouche à Cherchell (III)
26 avril 1957, veille de Leïlat El-Qadr. Une opération contre l'armée française s'est déroulée ce jour au douar Sidi Mohand Aklouche (Cherchell), Région III, Zone II de la Wilaya IV.
Grâce à Dieu, je m'en étais tiré avec beaucoup plus de peur que de mal, et à partir de mon point de chute, j'ai vu exploser des roquettes juste à l'endroit où je me trouvais quelques secondes plus tôt... Je me suis précipité pour aller rejoindre mes compagnons. Nous nous trouvions en situation de grand danger au fond de l'oued, où nous courions à fond de train, en nous efforçant d'aller en zigzag pour un tant soit peu contrecarrer le tir des pilotes des chasseurs T6 qui nous traquaient et nous attaquaient à la roquette. Nous poursuivions notre course, la bouche et la gorge sèche et les poumons en feu. La soif commençait à nous torturer sérieusement, d'autant qu'en raison des obligations rituelles du jeûne, nous n'avions rien vu ni mangé depuis le commencement du jour. N'en pouvant plus, quelques-uns d'entre nous avaient dû se résoudre à avaler quelques gorgées d'eau qu'ils puisèrent avec leurs paumes au fond du lit de l'oued ' ce qui, comme chacun le sait, est tout à fait licite en Islam, à charge pour celui qui s'autorise de le faire de récupérer en accomplissant un autre jour de jeûne, même s'ils en souffraient. Profitant de l'appui que leur apportait la chasse aérienne, les soldats français nous poursuivaient toujours. Soudain, notre frère Si «l'Istiklal» tomba, atteint au ventre par une roquette. Comme il était très grièvement blessé, nous n'avons pas pu le transporter. Nous aurions bien souhaité le secourir, mais les circonstances ne nous le permettaient pas. Si «l'Istiklal», très conscient, nous disait : «Je vous le disais bien hier, n'est-ce pas, que je vous quitterais aujourd'hui pour entrer avant vous tous dans Djenat El-Firdaws (le Jardin du Paradis '» Son visage rayonnait de cette béatitude suprême qui, au moment de la mort, s'empare des bienheureux. Il continuait à parler, nous disant : «Prenez mon arme et tâchez de transmettre mon salut à tous nos autres compagnons. Encore une chose : s'il vous arrive un jour d'être de passage dans le douar Mira, à Theniet El-Had, allez donc saluer de ma part les gens de ma famille et n'oubliez pas de faire la bise à ma fille au nom de son papa. Maintenant, allez-vous-en vite et laissez-moi mourir !» L'ennemi nous talonnant, nous n'avons pas eu d'autre choix que de déposer notre compagnon dans un endroit camouflé. Les dernières paroles de ce chahid furent : «Pressez-vous donc de fuir. Vite, vite, partez, mes frères, adieu et ne vous en faites pas pour moi. Ne vous disais-je donc pas que je vous devancerai au Paradis '» En principe, nous n'abandonnions jamais nos martyrs sur le terrain. Nous les enterrions dans un endroit discret. C'était bien la première fois que nous l'avions fait, car nous n'en avions matériellement pas le temps nécessaire pour donner une sépulture digne et conviviale à notre étonnant héros et martyr. Les larmes aux yeux et le c'ur en peine, nous avions fait nos adieux au brave et courageux Si Tayeb Benmira, dit Si l'Istiklal. Passé ce moment d'émotion intense, nous avons repris notre course pour rejoindre nos compagnons. Aux environs de 16h, Si Moussa nous ordonna de sortir de l'Oued pour aller prendre position dans un point stratégique où nous serions en situation privilégiée, tant pour faire face à l'aviation qu'aux soldats français qui continuaient de nous donner la chasse. Avant même de nous y installer et placer nos mitrailleuses, nous avons vu que les pilotes des T6, ayant d'instinct senti l'avantage que nous procurait notre position nouvelle, refusèrent de nous approcher, redoutant de se faire tirer comme des canards sauvages. Les soldats français rebrousseront également chemin, car la nuit commençait à étendre son voile d'obscurité. Les habitants qui ont suivi le déroulement de notre combat ont applaudi devant la subite volte-face de l'aviation. La bataille de Sidi Mohand Aklouche, qui fut à notre avantage le plus complet, avait ainsi duré du petit matin jusqu'au soir. Un commando de l'ALN composé d'une poignée de valeureux moudjajidine, commandés par un chef sage, courageux et hautement expérimenté, avaient réussi à tenir tête et à mettre en échec des milliers de soldats français, appuyés par des appareils de chasse, dont deux devaient être détruits. Après cela, nous nous sommes dirigés vers un douar proche où des refuges avaient été préparés à notre intention. Nous y fûmes accueillis très chaleureusement par la population qui, de loin, avait pu suivre en direct toutes les péripéties de cette mémorable bataille. Une heure après, Si Moussa désignera trois moudjahidine en les chargeant d'aller ramener le corps de Si «l'Istiklal» qui gisait au fond de l'oued. Ayant rencontré des civils en cours de route, ces derniers leur apprendront que les soldats français qui nous poursuivaient avaient découvert Si «l'Istiklal» agonisant à l'endroit où nous l'avions laissé. S'adressant à lui, un lieutenant français lui lança : «Alors, sale fellagah, on t'a bien eu !» Dans un ultime et surhumain effort, Si «l'Istiklal» aura le courage et la force de se redresser sur ses genoux pour cracher sur l'officier français, qui, fou de rage et d'humiliation, l'acheva en lui tirant trois balles à bout portant. Dès que les soldats français furent partis, les civils l'ont enterré. Si «l'Istiklal» aura ainsi été jusqu'au bout de son idéal. Heureux les martyrs comme lui pour lesquels seule la mort au combat est une vraie vie... ! C'était un moudjahid simple et entier qui ne vivait que pour sa foi et son idéal d'accéder au Paradis et rien d'autre. La vie et la mort exemplaires de ce saint homme ont laissé en nous tous, qui l'avions connu et apprécié, des traces indélébiles. Ainsi, dans la grande bataille de Sidi Mohand Aklouche, qui eut lieu le vendredi, vingt-septième jour du mois de ramadhan, coïncidant avec la Nuit du Destin (Leilat El-Qadr) nous avons pu avoir le dessus sur un nombre impressionnant de soldats français. A un certain moment, cernés de toutes parts, nous nous trouvions certes dans une situation alarmante, tout à fait désespérée et sans issue. Mais Dieu, qui Entend et Voit tout, a eu pitié de notre faiblesse et Exaucé nos prières, et ne nous a pas abandonné à l'ennemi français et à ses ignobles supplétifs. Ce sont là des miracles de l'intervention divine au secours de ceux qui combattent sincèrement pour le triomphe de Sa cause et de Sa parole. L'ennemi, qui, comme à son incorrigible habitude, pensait n'avoir affaire qu'à un petit groupe de moussebiline dénués d'armes automatiques, s'était finalement trouvé aux prises avec des moudjahidine équipés d'un armement moderne, qui ont réussi à repousser deux puissantes offensives qu'il avait lancées contre eux, laissant sur le carreau plusieurs morts et blessés, sans compter, comble de toutes les pertes essuyées ce jour-là, la destruction de deux avions de chasse T6. Les soldats français avaient pu constater aussi qu'ils avaient affaire aux combattants du célèbre commando dont le chef était le chahid Si Zoubir (Tayeb Souleïmane). Les armes lourdes automatiques utilisées ce jour-là par notre commando avaient été récupérées lors de l'embuscade qui eut lieu le 9 janvier 1957 à Tizi-Franco (Beni Menacer) et qui consistaient en ce qui suit : - une (01) mitrailleuse type américain 12/7 ; - une (01) mitrailleuse type américain 30 ; - deux (02) fusils-mitrailleurs type FM Bar ; - plusieurs fusils type Garant ; - ainsi que divers autres types d'armements (carabines américaines, mitraillettes MAT 49, pistolets), des caisses de munitions et de grenades... Les éléments de l'armée française n'ignoraient pas la redoutable réputation de notre commando dans toute la région, sachant parfaitement au contraire qu'il était à de nombreuses reprises sorti victorieux d'engagements avec des troupes d'élite françaises. La bataille de Sidi Mohand Aklouche aura ainsi coûté de grandes pertes à l'armée française : plus de 64 morts et des centaines de blessés, ainsi que deux avions de chasse T6 Morane (Jaguar) abattus. De notre côté, nous déplorions un mort seulement, le très valeureux chahid Tayeb Benmira, dit Si l'Istiklal et deux blessés. Nous avions infligé ainsi une cuisante défaite aux soldats français et à leurs larbins harkis, goumiers et autres tirailleurs sénégalais et martiniquais. (Suite et fin)


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