Algérie

"L'accord de Vienne ne profite pas aux petits producteurs"



Liberté : À l'issue de leurs réunions tenues la semaine dernière à Vienne (Autriche), l'Opep est ses alliés parmi les producteurs non-Opep, menés par la Russie, sont parvenus à prolonger de neuf mois l'accord de limitation de la production conclu en décembre 2018 et mis en ?uvre en janvier 2019. Quelle lecture en faites-vous 'Mohamed-Saïd Beghoul : En théorie, toute limitation de la production, technique ou volontaire, qu'elle vienne de l'Opep ou d'ailleurs, devrait se traduire, sur le terrain, par un soutien aux prix, mais ce n'est pas toujours évident, quand le poids d'autres facteurs pèse sur le cours. Durant la première quinzaine du mois de juin, les prix du Brent étaient autour de 60 dollars le baril et ils ont commencé à grimper jusqu'à 65 dollars vers la fin du même mois, en réponse aux déclarations des leaders de l'Opep+ de reconduire la réduction de 1,2 million b/j pour 6 à 9 mois. Lors de la réunion tenue les 2 et 3 juillet derniers, il a été décidé de maintenir cette baisse pour 9 mois. Le marché n'a, cependant, pas du tout réagi à cela, il l'a déjà fait par anticipation avant la tenue de cette rencontre. On peut même dire que ce rebond des prix durant la première quinzaine de juin à 65 dollars en réponse aux effets de la réunion reste assez modeste par rapport aux cours d'avant juin où ils dépassaient les 70 dollars. On peut en conclure que la réunion en question n'a pas apporté grand-chose, bien au contraire, les prix ont perdu quelques cents au lendemain de cette conférence du fait que cette réduction de 1,2 million b/j est devenue obsolète et insuffisante devant les stocks américains, le surplus de brut sur le marché, alimenté par la production américaine qui dépasse les 12 millions b/j, mais aussi celles du Brésil, du Canada, de l'Argentine, sans oublier le repli de la demande dû au ralentissement économique en lien avec le conflit commercial entre la Chine et les Etats-Unis.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi cet accord serait bénéfique pour l'Opep et ses alliés '
Il n'est pas certain que l'Opep, dans son ensemble, tirera systématiquement meilleur profit de cet accord. Il est vrai que l'objectif de l'Opep et ses 10 partenaires est d'avoir un prix du baril entre 65 et 70 dollars, ce qui est pratiquement le cas depuis février 2019. Cependant, tout porte à croire que les facteurs tels que l'offre, la demande, l'évolution de l'économie et du commerce peuvent renverser la situation en faveur d'un repli des cours. Et, auquel cas, l'Opep et ses alliés seront contraints de revoir leur stratégie et à réduire davantage leur production (à au moins 1,5 million b/j) pour venir à bout des stocks et du surplus de pétrole sur le marché. Ce scénario fera perdre davantage à l'Opep de sa part de marché au profit des schistes américains qui contribuent à hauteur de 60% dans la production totale américaine. Alors, seuls les pays à grandes capacités de production (Arabie saoudite, Russie, Emirats arabes unis?) pourront tirer leur épingle du jeu. Il ne faut pas oublier que l'Arabie saoudite, les Emirats et la Russie produisent à eux seuls 50% de la production des 24 pays engagés dans l'accord. L'Arabie saoudite a des capacités de production pouvant aller jusqu'à 13 millions b/j, elle ne produit aujourd'hui que 9,7 millions b/j, c'est-à-dire qu'elle peut suppléer le manque de pétrole iranien et vénézuélien. Donc, cet accord est nullement bénéfique pour les pays à production limitée, comme l'Algérie.
Comment voyez-vous l'évolution du marché après cet accord '
Les sanctions américaines contre l'Iran et le Venezuela ont permis de retirer près de 3,5 millions b/j du marché. Mais les prix ne se sont pas envolés du fait de l'abondance du brut sur le marché mondial et du ralentissement économique. De mon point de vue, seule une escalade militaire autour du détroit d'Ormuz, par où transitent 30% du commerce pétrolier mondial, peut faire flamber réellement les cours. Toutefois, l'appel aux armes n'arrange personne et c'est pour cela que, si escalade il y a, elle se limitera, comme depuis quelque temps, à une guerre de communiqués à laquelle le marché s'est habitué sans pour autant faire vibrer les prix. Par ailleurs, une évolution de la guerre commerciale sino-américaine, un piétinement de la croissance économique américaine, donc mondiale, et une surproduction de brut dans les pays ne faisant pas partie des 24 membres du groupe "Opep+" risquent de mettre le marché dans une situation incertaine et instable. C'est d'ailleurs la combinaison de ces trois facteurs baissiers qui empêchent les prix de grimper vers les 70 dollars.
L'Opep est ses partenaires ont, par ailleurs, conclu, lors de la réunion de Vienne, une alliance à long terme. Il s'agit, en fait, d'une charte de coopération renforçant la collaboration entre les deux parties. À votre avis, qu'est-ce qui a motivé cette coopération ' Les producteurs font-ils bloc contre le schiste américain '
À vrai dire, c'est l'Arabie saoudite qui cherchait, depuis plus de trois ans, à amener la Russie, un partenaire qu'elle trouve bien portant, sur un nouveau plateau de l'Opep, que j'appellerais "l'échiquier des 24" au sein duquel il y a deux décideurs (le roi et la reine) et 22 pions, et ce, afin, soit disant, de stabiliser le marché dans la durée. Mais cette nouvelle façon de faire, au détriment des autres pays de l'organisation pétrolière, remet en cause les rôles de celle-ci tels que définis dans son statut de création. On remarque, depuis que la Russie est dans ce club, que toutes les décisions qui vont être prises, lors des réunions des "24", sont préalablement discutées et arrêtées entre l'Arabie saoudite et la Russie. La réunion se tient juste pour avaliser ce que les deux gros producteurs ont décidé. Je pense que la raison principale qui motive l'alliance entre ces deux gros producteurs de brut n'est pas de défier les schistes américains, qui restent imperturbables tant qu'ils n'ont pas encore atteint leur pic de production, mais il faut la chercher plutôt dans leurs stratégies gazières. Les deux pays visent à conquérir, ensemble, le marché gazier européen pour supplanter le Qatar, premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié (GNL), premier plus gros exportateur de GNL vers l'Europe, avec 17 millions de tonnes par an. Ce pays est désormais l'ennemi juré du royaume wahhabite. Dans le même temps, l'Arabie saoudite, sixième puissance gazière au monde avec 8 000 milliards de mètres cubes, envisage de valoriser son industrie gazière avec l'assistance de l'expertise russe. La recherche d'un prix du baril raisonnable, voire élevé, par l'Arabie saoudite, nécessite, aux yeux de celle-ci, une synergie avec un partenaire "bien portant", la Russie en l'occurrence.
Cela répond justement au souci d'engranger suffisamment de revenus pour financer, entre autres, les projets gaziers qui entrent dans la "vision 2030", projet mis en place par le royaume en 2016, et qui vise à faire sortir le pays de la rente pétrolière.

Propos recueillis par : Y. Salami


Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Nom & prénom
email : *
Ville *
Pays : *
Profession :
Message : *
(Les champs * sont obligatores)