Algérie

L’accord Algéro-Français du 27 décembre 1968 sur l’émigration algérienne en France : entre un legs de l’histoire et un socle de la relation Algéro-française



Publié le 10.10.2023 dans le Quotidien Le Soir d’Algérie
Par Mostefa Zeghlach

À l’heure où le thème de l’immigration revient en force en Europe et plus particulièrement en France, des voix au sein de la classe politique française s’élèvent pour critiquer et même demander l’abrogation unilatérale par la France de l’accord algéro-français du 27 décembre 1968, pierre angulaire de l’édifice politico-juridique régissant la circulation, l'emploi et le séjour des Algériens et de leurs familles en France.
L’exploitation politique et électorale du thème de l’immigration n’est pas nouvelle en soi notamment dans les rangs des partis de droite et d’extrême droite européens en particulier français. Mais ce qui caractérise la campagne actuelle en cours en France, c’est la fixation maladive des adeptes de ce courant politique sur l’accord migratoire algéro-français du 27 décembre 1968. À travers la dénonciation de cet accord, ils croient avoir trouvé le Graal pour régler la question migratoire en France.
Avant de nous pencher sur les errements linguistiques, les spéculations juridiques et les sous-entendus politiques de ces «défenseurs de la France gauloise», rappelons brièvement que l’établissement des ressortissants algériens en France est d’abord et avant tout une conséquence de la politique coloniale française qui, à maintes reprises, a sacrifié la vie et les biens des Algériens, requis pour défendre un pays et une cause qui n’étaient pas les leurs.
Pour rafraîchir la mémoire des «anti-accord 1968», rappelons que durant la Première Guerre mondiale, la France avait mobilisé un grand nombre d’«indigènes» d’Algérie autant pour le front de guerre que pour les usines d’armement, les mines et l’agriculture (près de 80 000 travailleurs et 175 000 soldats). Sur les 175 000 soldats, 35 000 seront tués ou portés disparus et 72 000 blessés. L’économie française étant réduite à néant, ce sont les champs, les mines et les ateliers d’Algérie qui ont alimenté l’effort de guerre de la France et permis de la sauver. À la fin de la guerre, en guise de «reconnaissance», la France renvoie chez eux 250 000 travailleurs et soldats des colonies.
Durant la Seconde Guerre mondiale, l’Algérie a été à nouveau sollicitée pour contribuer en hommes et en ressources économiques à l’effort de guerre de la France d’abord et pour la reconstruction du pays ravagé par la guerre, ensuite. C’est en défendant la France que des Algériens ont payé de leur vie et que d’autres sont restés handicapés pour toujours. Peu d’entre eux sont demeurés en France pour fuir la grande misère qui les attendait au pays et pour contribuer, à la demande des autorités françaises, à la prospérité économique et sociale de la France. L’historien Gérard Noiriel, spécialiste de l’immigration en France, écrit dans un ouvrage intitulé Le Creuset français que les immigrés, dont les Algériens, ont construit pour la France, depuis la Seconde Guerre mondiale, 90% de ses autoroutes, une machine sur sept, et un logement sur deux !
La période d’après-guerre dite des Trente Glorieuses (celle de l’essor économique et social de la majorité des pays industrialisés entre 1945 et 1975) voit le nombre d’Algériens employés à la reconstruction de la France et à la relance de son économie multiplié par 33. À la fin 1948, le nombre atteint entre 120 000 et 130 000 personnes. Il évoluera encore pour atteindre 350 000 en 1962. Aujourd’hui, la communauté algérienne régulièrement établie en France représente plus de 80% des 6 à 7 millions d’Algériens expatriés dans le monde. Avec 12,7% de l’immigration en France, elle est la 1re communauté étrangère établie dans ce pays.
À l’indépendance de l’Algérie, les Accords d’Évian du 19 mars 1962 (déclaration de principe relative à la coopération économique et financière) établissaient un nouveau cadre pour la circulation, le séjour et l’emploi des Algériens devenus citoyens d’un État souverain. En effet, ces accords prévoient que «sauf décision de justice, tout Algérien muni d'une carte d'identité est libre de circuler entre l'Algérie et la France» et ajoutent que «les ressortissants algériens résidant en France, et notamment les travailleurs, auront les mêmes droits que les nationaux français, à l'exception des droits politiques». Les Accords d’Évian reconnaissent ainsi aux Algériens la liberté de circulation entre l’Algérie et la France ainsi que le principe de l’égalité des droits sociaux et économiques avec les citoyens français. Mais dès les 1res années post-indépendance, ce cadre est remis en cause par la France. Ce qui devait nécessairement mener les 2 pays à de nouvelles négociations qui ont abouti, le 27 décembre 1968, à la signature de l’accord «relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles en France», toujours en vigueur et qui a été modifié par trois avenants les 22 décembre 1985, 28 septembre 1994 et 11 juillet 2001.
Dans ce cadre, les deux parties s’étaient entendues sur un contingent de 35 000 entrées annuelles de travailleurs algériens, réduit à 25 000 en 1972. L’accord est censé créer un régime dérogatoire au droit commun pour les ressortissants algériens. Une de ses dispositions fondamentales est l’attribution d’un certificat de résidence de 10 ans après seulement 3 ans de séjour (art. 7 bis) contre 5 ans dans le cadre du droit commun, sous condition de ressources suffisantes.
Près de deux années après, le gouvernement algérien procédait, le 24 février 1971 (date anniversaire de la fondation de l'UGTA le 24 février 1956), à la nationalisation du secteur des hydrocarbures. La nationalisation qui est un acte de souveraineté remet en cause le monopole exercé jusqu’alors par les sociétés françaises sur ce secteur. Ce qui a provoqué l’ire des autorités françaises qui ont brandi des menaces de représailles économiques et financières à l’encontre de l’Algérie, et permis aux groupuscules de l’extrême droite française de procéder à une véritable chasse à l’Algérien qui s’est soldée par l’assassinat de plusieurs de nos ressortissants et la généralisation d’un climat de peur chez nos compatriotes en France. Les autorités algériennes n’ont pas tardé à réagir, en toute logique.
C’est ainsi que le 19 septembre 1973, l’Algérie avait décidé la suspension immédiate de l'émigration algérienne en France, dans l’attente que «les conditions de sécurité et de dignité soient garanties par les autorités françaises aux ressortissants algériens».
En 1977, le président français avait proposé à son homologue algérien le rapatriement de 500 000 ressortissants algériens sur une période de 5 ans. La proposition avait été refusée au motif qu’elle enfreignait les dispositions des accords d’Évian et de celui du 27 décembre 1968.
Depuis, reflétant l’évolution de la question migratoire en France et la volonté des 2 Etats d’en tenir compte dans leurs rapports dans ce domaine, 3 avenants ont complété l’accord de 1968.
Quelles sont, brièvement, les dispositions de cet accord que ses critiques trouvent exorbitantes et non conformes à l’évolution de la législation relative à l’immigration en France ?
La circulation, le séjour et le travail des Algériens en France sont donc régis par l'accord algéro-français du 27 décembre 1968 modifié. De ce fait, les Algériens relèvent d'un régime spécifique distinct de celui du droit commun qui ne leur est pas appliqué, à l'exception des dispositions de procédure. L'accord modifié comporte notamment des dispositions concernant la nature et la durée de validité des titres de séjour dont le certificat de résidence d’un an ou de dix ans, le regroupement familial, le statut des commerçants et des étudiants, le recueil légal (kafala). Cet accord limitait la condition d’entrée des Algériens sur le territoire français à la seule présentation du passeport sans le visa qui ne leur sera exigé qu’à partir de 1986.
En d’autres termes, les dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile concernant les titres de séjour délivrés aux étrangers en général et aux conditions de leur établissement, ne sont pas applicables aux Algériens qui relèvent d’un accord spécifique.
En tant qu’accord de droit international, il a une autorité supérieure à la loi française. En effet, aux termes de l’article 56 de la Constitution française, «les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés, ont dès leur publication une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie». Ce qui le place hors de portée du législateur français et aboutit à ce que les lois internes sur l’immigration en France ne s’appliquent pas aux Algériens, notamment celles de 2003, 2006 et 2018 qui modifient les divers titres et condition de séjour de l’immigré en France.
Alors, quels sont les arguments qu’avancent les détracteurs pour justifier leur opposition systématique à l’accord qu’ils considèrent comme une «anomalie qui a installé une brèche dans notre ordre juridique» ?
Certaines voix, majoritairement de la droite, n’hésitent pas à demander son «abrogation unilatérale» et l’alignement du régime migratoire des Algériens sur celui du droit commun et ce, par égard à «l’intérêt national» et afin d’«endiguer la principale source de l’immigration massive».
Parmi ces «croisés anti-accord 68» le plus véhément est sans doute Xavier Driencourt, qui n’est pas un homme politique représentant un parti, mais un ex-diplomate qui, de surcroît a été à 2 reprises ambassadeur de France en Algérie (2008-2012 et 2017-2020). À cet égard, il s’agit d’une personne qui est censée connaître l’Algérie mieux que beaucoup de ses concitoyens. Et pourtant…
Dans une note publiée en mai 2023 pour la Fondation «Pour l’innovation politique», de tendance politique de droite, intitulée «Politique migratoire: que faire de l’accord franco-algérien de 1968?» et dans un entretien au magazine Le Point, l’ex-diplomate français rappelle que l’accord de 1968 date d’une période durant laquelle «la France cherchait à encourager la venue d’une main-d’œuvre étrangère devant répondre au développement rapide de notre économie» qui comptait «moins de trois cent mille chômeurs». Selon lui, l’objectif de l’accord était simplement de «faciliter et de réglementer la circulation d’une main-d’œuvre algérienne dont la France avait besoin» à un moment donné de son développement.
Remontant aux accords d’Évian dont l’accord de 1968 tire sa raison d’être, Driencourt estime que ce dernier «s’inscrit dans le prolongement historique et politique» des accords de 1962, sans pour autant leur être «juridiquement attaché». Ce qui reste à prouver.
Comme pour se justifier, l’auteur de l’étude rappelle que la stratégie française en matière d’immigration est empreinte de «générosité et qu’elle a pour objectif la lutte contre l’immigration illégale, sans plus». Et à propos d’immigration illégale, il ne se prive pas d’inonder sa thèse de statistiques concernant exclusivement les Algériens. Qu’on en juge : il écrit qu’«il y avait entre 2017 et 2020, plus de 10 000 Algériens en situation irrégulière qui restaient chaque année en France et faisaient l’objet d’une interpellation. En outre, 10 000 étaient refoulés dès le franchissement de la frontière et n’étaient pas admis sur le territoire». Quoi de plus chaleureux que l’accueil français ?
Plus récemment, Driencourt, invité par la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques pour animer une conférence sur le thème «L'énigme algérienne», en a profité pour faire une déclaration au journal Nice-Matin dans laquelle il constate que les relations algéro-françaises sont à leur plus bas niveau et suggère rien de moins que d’«instaurer un rapport de force avec l’Algérie» De même, il déclare que l’Algérie a «interdit l’enseignement du français dans les écoles algériennes» et «d’une certaine façon, soutenu les émeutiers en France et réintroduit un couplet contre la France dans son hymne national». Trois «accusations» autant mensongères qu’infondées. D’abord, il ne s’agit pas d’interdire l’enseignement de la langue française dans les écoles algériennes privées ou publiques, mais le programme d’enseignement français dans les écoles algériennes. Un anachronisme qui n’a que trop duré. Le programme français est destiné aux écoles françaises. L’enseignement des langues étrangères dont le français est maintenu au même titre qu’une autre langue en dehors des langues arabe et amazighe et ce, dans un cadre légal défini par les autorités algériennes. Pour ce qui est des émeutes en France et de l’hymne algérien, on en a déjà parlé.
La réalité révèle donc que ce ne sont là que des arguments fallacieux destinés à leurrer l’opinion publique à des fins non avouées visant l’Algérie.
Par ailleurs, les questions des laissez-passer consulaires et des visas sont constamment évoquées par Driencourt pour tenter d’actionner le levier des pressions à l’encontre de notre pays.
Les laissez-passer consulaires sont régis par l’avenant de 1994 relatif à la réadmission des présumés nationaux en situation irrégulière de séjour en France. Les visas relèvent de la souveraineté nationale et peuvent induire la réciprocité. Néanmoins en imposant aux Algériens le visa d’entrée en 1986, la France a remis unilatéralement en cause l’esprit et la lettre des Accords d’Évian en matière de circulation des personnes entre les deux pays. En application d’un principe sacro-saint de la diplomatie, l’Algérie souveraine a recouru à la réciprocité pour la délivrance de visas aux Français.
Les relations algéro-françaises évoluant en dents de scie depuis l’indépendance algérienne et l’apparition de la pandémie de Covid-19 ont eu récemment pour conséquence la perturbation des processus relatifs autant aux visas qu’aux laissez-passer consulaires que les autorités françaises imputent aux seules autorités algériennes. En guise de «représailles», la France a décidé en septembre 2021 de réduire de 50% le nombre de visas accordés aux Algériens en raison du «manque de coopération» du gouvernement pour la réadmission de ses ressortissants se trouvant en situation irrégulière sur le territoire français. Cette décision avait été sévèrement dénoncée par l’Algérie. Ce n’est que le 18 décembre 2022 que les autorités françaises sont revenues à de meilleurs sentiments lorsque, le ministre de l’Intérieur français avait annoncé à Alger, un retour «à une relation consulaire normale».
La France a cru pouvoir utiliser la question migratoire comme un levier de pression politique contre l’Algérie donnant l’impression d’oublier la position de principe algérienne de refus de tout lien entre la question des visas et celle de la réadmission des nationaux en situation irrégulière à l’étranger. La position algérienne n’est pas spécifique à la France, mais est appliquée à tous les pays étrangers concernés par cette question.
Il n’est point nécessaire de se fixer sur la décision française de septembre 2021 pour savoir que ce «tour de vis» dans les visas accordés aux Algériens n’est pas récent. Par exemple, les statistiques en la matière révèlent que le taux de rejet des demandes algériennes a depuis longtemps vacillé entre 30 et 60%. En 2017 pour 631.466 demandes, les visas refusés s’établissaient à 233 754 ; en 2018, 275 740 refus pour 568 882 demandes et en 2019, les visas refusés atteignaient 157 307 pour seulement 351 289 demandes.
Dans l’espace Schengen en 2022, le nombre d’Algériens ayant déposé une demande de visa pour la France s’élevait à 239 927. Sur ce total, 115 807 demandes ont fait l’objet d’un rejet. Ces chiffres font de la France le pays de l’espace Schengen ayant refusé le plus de demandes pour les Algériens, suivie de l’Espagne et de l’Italie. Le taux de refus français est de près de 64%.
Par contre, les Algériens ont dépensé 15,7 millions d’euros en 2022 en frais de dossier de demande de visa Schengen !
Parmi les griefs retenus contre notre pays par Driencourt, celui des visas accordés par l’Algérie à des ressortissants français. L’argument en question est un reproche adressé aux autorités algériennes qui refuseraient souvent l’attribution du visa de long séjour aux Français notamment les journalistes et les religieux, voire même les hommes d’affaires et les enseignants. L’assertion n’est, évidemment, étayée d’aucune donnée statistique. Elle est, par conséquent, sujette à caution.
Ce ne sont pas les restrictions sur les seuls visas qui impactent négativement les relations de la France avec l’Algérie, mais également celles relatives aux titres de séjour. À ceux qui qualifient les ressortissants algériens de privilégiés, qu’ils sachent que les statistiques officielles françaises indiquent qu’en 2021, plus de 35 300 titres de séjour ont été délivrés par les préfectures françaises aux ressortissants marocains, contre 25 800 aux Algériens et 17 400 aux Tunisiens.
Enfin, les critiques formulées par Driencourt et d’autres détracteurs de l’accord se sont focalisées sur un examen détaillé et minutieux de ses principales dispositions juridiques (article par article) pour tenter d’alimenter leurs assertions avec pour but, non pas une renégociation éventuelle, mais le rejet unilatéral d’un accord international pourtant approuvé par leur pays en toute souveraineté. Ce qui ne semble pas déranger Driencourt lorsqu’il déclare péremptoire qu’«aucune politique migratoire cohérente n’est possible sans la dénonciation de l’accord franco-algérien».
Se plaçant dans le sillage de la nouvelle politique migratoire française dont un projet est en cours de discussion, les détracteurs de l’accord estiment qu’ils n’y voient pas de raison d’«excepter l’accord franco-algérien de 1968 de la discussion d’un texte ambitionnant de contrôler l’immigration». Ils partent du constat qu’«une très grande partie des étrangers arrivant aujourd’hui en France, par la voie du regroupement familial ou simplement avec un visa de tourisme, viennent d’Algérie». Il s’agit donc d’un flux légal et régulier d’immigration (consenti par la France) qui est distinct de l’immigration illégale.
Fixés à l’idée de l’abrogation unilatérale de l’accord, ils rejettent toute possibilité de nouvelles négociations à ce sujet, estimant que les modifications introduites par les 3 avenants n’ont pas donné de résultat (voie illusoire) et que l’heure est plutôt à la dénonciation de l’accord que les «Algériens estiment être un droit hérité de l’histoire» qui leur aurait octroyé des «droits exorbitants» et qui, par conséquent, n’a «plus de raison d’être au XXIe siècle».
Les tensions récurrentes dans les relations algéro-françaises et le projet de loi sur l’immigration en France ont donné des ailes à des «experts du dossier algérien» outre l’ex-diplomate français pour déverser leur animosité quasi-psychédélique contre tout ce qui rappelle la présence de la communauté algérienne en France et contre l’Algérie.
C’est notamment le cas de la présidente du parti d’extrême droite le Rassemblement National qui écrivait dans un tweet le 20 octobre 2022 : «Je souhaite remettre en cause les accords de 1968 passés entre l’Algérie et la France, qui facilitent considérablement les flux migratoires entre nos deux pays. Je conditionnerai l’obtention de visas pour les Algériens au respect absolu des OQTF».
Pour sa part, Eric Ciotti, président du parti de droite Les Républicains, va plus loin encore en proposant d’amender la Constitution française afin de «mettre fin à la primauté de la législation européenne et les accords internationaux sur les lois françaises». En parlant d’accords internationaux c’est, à l’évidence, l’accord algéro-français de 1968 qui est visé. Plus tôt, dans un tweet du 28 septembre 2021, Ciotti écrivait : «Allons plus loin et abrogeons les accords d’Évian qui accordent à l’Algérie un régime migratoire d’exception qui doit être supprimé», cherchant ainsi à faire table rase des acquis de la coopération algéro-française depuis plus de 60 ans.
Enfin, pour sa part, l’ancien Premier ministre de Macron, Edouard Philippe (mai 2017- juillet 2020), a fustigé l’accord de 1968. Dans un entretien à L’Express publié lundi 5 juin 2023, il a appelé à le dénoncer prétextant que «le maintien aujourd’hui d’un tel dispositif avec un pays avec lequel nous entretenons des relations compliquées ne me paraît plus justifié». Il a parlé d’«immigration de fait».
Plus récemment, lors d’un entretien de presse, le candidat à la présidentielle française de 2027, Edouard Philippe, a répondu par «peut-être» à la question de savoir si une dénonciation de l’accord de 1968 pourrait entraîner la rupture des relations diplomatiques entre la France et l’Algérie.
La virulence de ce courant dont l’attitude s’apparente à ce que l’on ne peut qualifier autrement que de campagne anti-algérienne a trouvé de nouveaux ingrédients dans les émeutes qui ont suivi le meurtre du jeune Algérien Nahel le 27 juin par un policier au cours d’un contrôle routier à Nanterre.
Ces troubles étaient attribués à des Algériens alors que les déclarations des autorités indiquaient bien que l’écrasante majorité des émeutiers étaient français. Par ailleurs, la réaction légitime du gouvernement algérien qui a exprimé dans un communiqué du ministère des Affaires étrangères diffusé jeudi 29 juin sa «consternation» des «circonstances particulièrement troublantes et préoccupantes dans lesquelles est survenu l’incident», a été accueillie par un torrent de critiques de certaines voix politiques françaises au motif qu’il s’agirait d’une «intrusion» algérienne dans une affaire interne à la France alors que le défunt était binational, par conséquent citoyen algérien.
Par ailleurs et estimant sans doute l’occasion trop bonne pour être ratée pour verser son fiel sur l’Algérie, un média marocain est allé jusqu’à écrire que le Président algérien aurait «soutenu les émeutes en France à l’instigation du président russe…» ! Le ridicule ne tue pas, décidément.
Les mêmes milieux français sont revenus à la charge au sujet d’un couplet de l’hymne national algérien citant la France et dont un décret présidentiel a fixé les circonstances de son exécution.
Quel crédit accorder à la proposition d’une éventuelle abrogation de l’accord du 27 décembre 1968 ?
- Primo et contrairement à ce qu’écrit Driencourt, l’accord de 1968 est bel et bien rattaché juridiquement aux Accords d’Évain puisqu’il constitue une mise en œuvre de la déclaration de principe relative à la coopération économique et financière entre les 2 pays prévue par ces Accords.
- Secundo, Driencourt reconnaît que l’accord ne comporte pas de clause de dénonciation par l’une ou l’autre des parties et estime que dans ce cas de figure,«c’est le droit international commun qui s’appliquerait, c’est-à-dire, en l’espèce, la convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités». Mais pour ladite convention, «la dénonciation unilatérale d’un traité n’est pas autorisée, à l’exception de deux considérations, soit, d’une part, s’il est montré qu’il entrait dans l’intention des parties d’admettre la possibilité d’une dénonciation ; et, d’autre part, si le droit de dénonciation peut être déduit de la nature du traité». Ces 2 considérations ne s’appliquent pas à l’accord de 1968 dans la mesure où son article 12 prévoit une commission mixte algéro-française «chargée notamment d’apporter des solutions satisfaisantes aux difficultés qui viendraient à surgir».
Néanmoins, les adeptes de la dénonciation (abrogation) unilatérale persistent à croire que, malgré tout, la France pourrait y avoir recours. Pour eux, le mobile est tout prêt : Il suffirait que l’Etat français déclare l’accord «obsolète car ne répondant plus au contexte politique ou social initialement lié à l’immigration» pour que la «potion» prenne chez les autorités algériennes.
- Tertio : Conscient donc de l’inanité de l’évocation des justifications d’ordre juridique pour dénoncer l’accord, ces milieux avouent, à demi-mot, que la question revêt plutôt un aspect politique et, ajoute Driencourt, qu’«un gouvernement désireux de remettre de l’ordre dans notre politique migratoire devra franchir le pas», et se mettre ainsi en marge de la légalité internationale !
Craignant la difficulté de l’acte de dénonciation unilatérale et cherchant sans doute à s’auto-convaincre du bien-fondé de sa thèse, l’ex-diplomate spécule sur la réaction des autorités algériennes qui «ne seront pas surprises par sa dénonciation (accord)» sachant qu’«en 2023, ce dispositif est une anomalie et que ce texte n’a plus lieu d’être». Ce n’est plus de l’analyse politique, c’est de cartomancie qu’il s’agit.
- Quarto : Prêchant une idée et défendant son contraire, l’ex-diplomate qui avait exprimé sa conviction sur l’absence de lien juridique entre les Accords d’Évian et celui de 1968, admet néanmoins que la dénonciation de ce dernier par la France ramènerait la situation au «statu quo ante, c’est-à-dire à la libre circulation entre les deux pays telle qu’elle existait de facto avant l’indépendance de la colonie française» autrement dit au moment où les Algériens étaient supposés citoyens français et disposaient, par conséquent, de la libre circulation entre les 2 pays. Ce qui ne correspond pas à la réalité puisque les Accords d’Évian établissaient le cadre des relations algéro-françaises dès l’accession de notre pays à l’indépendance, pas avant.
- Quinto : Alors que Ciotti se «mutine» contre «la primauté de la législation européenne et les accords internationaux sur les lois françaises», Driencourt ne se prive pas de recourir à la convention européenne de Schengen, pour déduire que «la dénonciation de l’accord ferait basculer les ressortissants algériens dans le droit commun des accords de Schengen. Ils devraient donc se soumettre à l’obligation de présenter un passeport et un visa valides». Et pourtant, l’ex-diplomate et ses «supporters» ne doivent pas ignorer que la convention Schengen concerne le visa de courte durée (90 jours maximum), pas le visa de long séjour qui est un des fondements de l’établissement de longue durée des Algériens en France.
- Sexto : Enfin, les partisans de la dénonciation unilatérale de l’accord de 1968 évoquent la possibilité de l’offre de «discussion par la France permettant l’établissement d’un cadre juridique nouveau avec l’Algérie et adapté au contexte migratoire français du XXIe siècle». Si leurs intentions étaient de parfaire et d’améliorer le cadre migratoire entre leur pays et l’Algérie et de promouvoir les relations multiformes entre nos 2 pays établies depuis 1962, cette idée aurait figuré en tête de leurs propositions, pas en tant qu’ultime «issue de secours» qu’elle semble être. Dénoncer unilatéralement l’accord de 1968, estiment certains analystes français, serait considéré par l’Algérie comme une «déclaration de guerre» qui entraînerait une crise majeure dans les relations entre les 2 pays.
Que deviendraient la France et même l’Europe sans l’immigration ? La France vieillissante a besoin des compétences des jeunes travailleurs étrangers pour assurer sa survie économique et sociale, cette énergie humaine qui, perdue, grève le processus de développement national en Algérie et ailleurs dans les pays en développement. Le défi pour la France est de taille. Michèle Tribalat, une démographe française, indique que «de 2010 à 2022, le nombre de naissances annuelles en France métropolitaine a chuté de 119 000 tandis que le nombre de décès a augmenté de 111 000. En conséquence, le taux d'accroissement naturel de 2022 est le plus bas depuis 1946, avec seulement 32 000 naissances de plus que de décès».
À ceux qui considèrent, à tort, que l’accord de 1968 est figé dans le temps et constitue, par conséquent, un hiatus dans les relations algéro-françaises, est-il nécessaire de leur rappeler que les 2 pays ont introduit des modifications dans l’accord à travers les avenants et autres échanges de lettres afin de le rapprocher au plus près de la dynamique migratoire en France et que ces modifications ont toujours tenu compte de l’évolution du flux migratoire entre la France et l’Algérie ?
Car au-delà des divergences conjoncturelles, la relation algéro-française comporte une dimension humaine qui ne peut être négligée mais pourrait être mise à contribution par les 2 gouvernements au profit des 2 peuples. Pour rappel, cette dimension figure dans la «Déclaration d’Alger pour un partenariat renouvelé», signée lors de la visite en Algérie d’Emmanuel Macron à Alger, en août 2022 à l’issue de laquelle avait été notamment annoncée la création d’une commission mixte d’historiens algériens et français pour se pencher sur la question mémorielle «sans tabou».
L’attachement de l’Algérie à l’accord de 1968 a été réitéré par le président algérien à l’occasion d’un entretien accordé en décembre 2022 au Figaro. Cet attachement n’a jamais été un tabou contre une actualisation des dispositions de l’accord, pourvu que celle-ci émane de la volonté des 2 parties, comme ce fut le cas avec les 3 avenants. D’ailleurs une commission mixte existe à cet effet.
Enfin, notons que, le président français et son gouvernement semblent fixés sur le nouveau projet de loi sur l’immigration en général notamment les conditions d'obtention de la nationalité française, le renforcement des contrôles aux frontières et surtout la lutte contre l’immigration illégale qui déferle sur toute l’Europe comme sur notre pays. L’avenir de l’accord de 1968 n’est pas évoqué publiquement et ne semble pas constituer une priorité politique de l’heure. Le chef de l’État français agit-il par réalisme eu égard au poids des relations algéro-françaises dans la politique arabe, méditerranéenne et nord-africaine de la France ou plus pratiquement il s’agirait de ne pas placer la perspective de la visite du chef de l’État algérien dans un contexte de défi duquel les intérêts français en Algérie seraient pour longtemps aléatoires ? Il est à espérer que les propos tenus à Alger le 27 septembre courant par le nouvel ambassadeur de France en Algérie, Stéphane Romatet, évoquant «une relation d’une exceptionnelle densité», dépasseront l’aspect protocolaire de circonstance et qu’ils refléteront un nouvel état d’esprit des dirigeants français.
Dans ce contexte, notre gouvernement devrait d’ores et déjà se préparer à toute éventualité. La relation cordiale entre les 2 présidents, l’imbrication des intérêts géostratégiques et économiques bilatéraux, soutenus par un important facteur humain, historique et culturel, devraient préserver la relation algéro-française des aléas politiques de circonstance.
Néanmoins, l’agitation du courant politique «droitier» contre cet accord perturbe le minimum de sérénité qui existe encore dans la relation de notre pays avec la France. La visite tant attendue du président algérien en France n’a pas encore eu lieu. Accomplie, elle pourrait constituer une nouvelle opportunité pour une compréhension mutuelle plus approfondie et sereine des priorités de la coopération algéro-française dont l’accord du 27 décembre 1968 reste le socle.
M. Z.
zeghodmus@yahoo.fr

Brève webographie
https://www.fondapol.org/etude/politique-migratoire-que-faire-de-laccord-franco-algerien-de-1968/#chap-
https://www.la-croix.com/France/Edouard-Philippe-contre-une-immigration-fait-accompli-veut-renegocier-lAlgerie-2023-06-05-1201270169
https://observalgerie.com/2022/08/25/politique/accord-1968-depasse/
https://algeria-watch.org/?p=87426
https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/27/l-algerie-et-la-france-actent-ensemble-une-nouvelle-dynamique-irreversible-dans-leurs-relations-bilaterales_6139221_3210.html
https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Europe-et-International/Les-accords-bilateraux/Les-accords-bilateraux-en-matiere-de-circulation-de-sejour-et-d-emploi/L-accord-franco-algerien
-https ://www.lemonde .fr / politique / article /2023/06/05/edouard-philippe-remet-en-cause-un-accord-de-1968-avec-l-algerie-sur-les-questions-migratoires_6176303_823448.html
https://www.operanewsapp.com/dz/fr/share/detail?news_id=cb14c3a73850636dc5f502e64ec5dc6a&news_entry_
https://www.operanewsapp.com/dz/fr/share/detail?news_id=b547e19a315a838c7cbd915a3b89864
https://www.operanewsapp.com/dz/fr/share/detail?news_id=2eb7186b39990a3aa9834d6aed13a9a



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