«La justice,
c'est six mille ans d'erreurs judiciaires» Robert Brassillach
L'Histoire
témoigne des erreurs judiciaires qui ont bouleversé l'opinion publique et ont
signifié que l'appareil judiciaire pouvait se tromper. En clair, que le verdict
judiciaire rendu par des hommes pouvait ne pas nécessairement épouser les
contours de la «Vérité». Seule la justice divine est propre. L'humain, en
désarroi devant le pouvoir de l'homme, réplique : «A Dieu Tout-Puissant, je
remets cette injustice à mon égard».
Il nous est
arrivé d'entendre et de lire souvent sur les frasques de la justice et ses
conséquences douloureuses sur le justiciable. Aujourd'hui, en prenant en
exemple l'affaire de ce cadre d'une entreprise publique, qui, à travers une
lettre de dénonciation anonyme dit-on, a été mis en détention provisoire
pendant des mois, jugé, condamné et puis innocenté. Déjà malade lors de son
incarcération, il fut évacué en urgence pendant son procès en appel, de la cour
d'Alger vers l'hôpital. Il a quitté ce monde en refusant certainement d'entendre
le verdict clamant son innocence de la part d'une institution qui a broyé son
honneur. Cette douloureuse affaire nous fait rappeler une triste période où
plusieurs cadres de diverses sociétés étatiques (opération mains propres) ont
été incarcérés (détention provisoire) puis relaxés. On peut citer bien d'autres
scandales qui ont défrayé l'opinion publique. Malheureusement, elles n'ont pas
permis une réforme qui protège les droits inaliénables du justiciable en
instaurant des garde-fous dans l'appréciation du magistrat. Une réforme
populaire, indépendante des pouvoirs publique et politique, car «il n'est pas
une mission plus haute que celle de rendre la justice, il n'en est pas de plus
périlleuse»(1). Dans ce sens, l'éducation, l'apprentissage et la culture sont
les repères fondamentaux dans l'action du magistrat avéré. Effectivement,
rendre justice est un acte noble qu'il faut l'épargner des lourdes conséquences
qui peuvent en découler. Le magistrat, dans sa mission, doit présenter le
maximum de garanties. La fiabilité d'une action qu'elle soit judiciaire ou non,
dépend de la qualité de la personne qui l'accomplit. Tout cela ne réduira pas
pour autant le risque d'erreur à zéro. L'erreur est une nature de l'homme.
«Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes, ils peuvent se
tromper comme les autres hommes. Les juges ne sont pas d'une autre essence (2).
Devant cette fatalité, je rejoins Maître René Floriot, célèbre avocat français,
et auteur de nombreux ouvrages juridiques qui mentionna : «L'homme le plus
honnête, le plus respecté, peut être victime de la justice. Vous êtes bon père,
bon époux, peu importe. Quelle fatalité pourrait vous faire passer pour un
malhonnête homme, voire un criminel ? Cette fatalité existe, elle porte un nom
: « L'erreur judiciaire»(3). De ce fait, la justice doit s'assurer qu'elle
n'est pas infaillible, et qu'elle peut se tromper. Penser le contraire demeure
une utopie. Faut-il encore savoir que toute erreur médicale est assujettie à
une sanction de la part de l'institution ordinale, et parfois sanctionnée par
un jugement au nom du peuple. Qu'en est-il pour l'erreur judiciaire ?
Dans l'article 9,
alinéa 3 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, dont
l'Algérie est signataire, il est stipulé : «Tout individu arrêté ou détenu du
chef d'une infraction pénale sera traduit dans le plus court délai devant un
juge ou une autre autorité habilitée par la loi à exercer des fonctions
judiciaires, et devra être jugé dans un délai raisonnable ou libéré. La
détention de personnes qui attendent de passer en jugement ne doit pas être de
règle», on peut déduire de cet article que la présomption d'innocence est une
hypothèse sine qua none.
D'une façon
générale et de par le monde, La Justice doit respecter les droits de la
personne. On n'a pas le droit d'arrêter quelqu'un sans raisons, et tout le
monde est protégé par la présomption d'innocence. Cela signifie que toute
personne soupçonnée d'avoir commis une infraction est considérée comme
innocente tant qu'elle n'a pas été reconnue coupable par le tribunal qui a jugé
l'affaire. Je citerai dans ce sens le discours de Monsieur le ministre de la
Justice lors de l'ouverture de la conférence sur la réforme de la justice
initiée par le président de la République : «La Commission Nationale de la
Réforme de la Justice a fait preuve de perspicacité en préconisant une démarche
de réforme fondée sur des mesures d'urgence et des projets à moyen et à long
termes. Les mesures d'urgence sont axées essentiellement sur une meilleure
prise en charge des droits de l'Homme et le renforcement des garanties
juridiques les concernant.
A ce titre, je me
limiterai à citer l'obligation de motiver les ordonnances de placement en
détention provisoire, désormais susceptibles de recours, le respect de la
présomption d'innocence durant les phases de l'enquête préliminaire, les
modalités de la garde à vue, la concrétisation du caractère exceptionnel de la
détention provisoire par le recours à des mesures alternatives tel que le
contrôle judiciaire». Aussi, dans un message, à l'occasion du 60e anniversaire
de la Déclaration universelle des droits de l'Homme, le président de la
République précise : «l'institution judiciaire en tant que «l'un des piliers de
l'Etat de droit, dont l'indépendance est consacrée par la Constitution», le
chef de l'Etat a souligné qu'elle a fait l'objet en Algérie d'une «attention
particulière» par la mise en oeuvre, dès les années 2000, d'une «profonde
réforme visant le double objectif d'adapter l'appareil judiciaire aux mutations
actuelles et préparer le pays à composer avec les données de la nouvelle
conjoncture internationale». A ce titre, il a fait savoir que la révision des
divers codes et textes législatifs réglementaires «a eu pour but d'assurer un
meilleur encadrement et une protection plus efficace des droits de l'Homme,
conformément aux normes internationales et aux engagements conventionnels du
pays». Le président Bouteflika a précisé que, c'est dans ce cadre, qu'il faut
situer «le renforcement du principe de la présomption d'innocence, la
limitation du recours à la garde à vue et le contenu de son opportunité par le
procureur de la République, l'affirmation du caractère obligatoire de l'examen
médical, s'il est demandé par la personne gardée à vue, le renforcement des
droits de la défense de la personne présentée devant le procureur et
l'amélioration des droits des détenus, des conditions de leur détention et les
efforts pour leur réinsertion sociale». Des discours certainement très
encourageant en matière de Protection du justiciable, qui tardent
malheureusement à trouver place au sein de l'appareil judiciaire.
La pratique de la
détention provisoire prononcée souvent dans nos juridictions porte atteinte aux
droits fondamentaux du justiciable, telle que la présomption d'innocence qui
est garantie par la plus haute législation de la nation à savoir la
Constitution de la République algérienne démocratique et populaire. Le code de
procédure pénal (CPP) dans sa section intitulée : « De la détention provisoire
et de la liberté provisoire », la liberté est la règle et la détention
l'exception (article 123). La détention provisoire en tant que mesure
exceptionnelle est fixée à vingt jours en matière délictuelle (article 124 du
CPP) et en principe à quatre mois (article 125 du CPP) en matière criminelle.
Le juge d'instruction peut prolonger si nécessaire la détention provisoire par
ordonnance pour une durée de quatre mois, renouvelable une seule fois. Ce qui
porterait cette durée à douze mois. Exceptionnellement, l'article 125 bis
autorise la Chambre d'accusation, sous certaines conditions, à prolonger la
détention pour une durée supplémentaire de quatre mois non renouvelable. La
détention provisoire, en matière criminelle, ne devrait donc pas excéder seize
mois, et huit mois en matière délictuelle. Le maintien en détention au-delà du
délai légal équivaut au délit de détention arbitraire puni par le code pénal ;
toute détention en dehors des conditions légales est une détention arbitraire.
C'est une interprétation conforme au caractère exceptionnel de la détention
provisoire, ainsi qu'aux articles 124 et 125 du CPP pour lesquels la durée
maximale de la détention provisoire est fixée par la loi. De l'avis pondéré et
mesuré du président de la Commission pour la protection et la promotion des
droits de l'Homme, Maître F.Ksentini, convaincu qu'il faut réduire le nombre
des détentions provisoires, et qu'en matière délictuelle, cette mesure doit
être purement et simplement supprimée. Sur ce point, il apporte une précision
de taille à savoir que dans la plupart des cas, les magistrats refusent
d'appliquer les textes de lois qui sont pourtant clairs en matière de détention
provisoire. Pis, après plusieurs mois de détention provisoire, et après leur
relaxe, des dizaines de détenus n'ont pas obtenu réparation. Chose aberrante,
aux yeux du bon sens (l'Expression 06 septembre 2004). La détention provisoire,
quelquefois «injustifiée» faute d'éléments à charge suffisants, est vécue par
l'innocent comme un lynchage gratuit qui, en outre, conforte l'idée de
culpabilité dans l'opinion publique. L'innocent est donc doublement puni sans
avoir commis la moindre infraction : puni, avant toute preuve d'infraction, par
le châtiment de détention que lui inflige l'institution judiciaire au nom de la
société, et puni par le message de culpabilité adressé à l'opinion publique
qu'un non-lieu ou acquittement ne suffit jamais à enterrer. Il est par ailleurs
nécessaire d'affirmer que le préjudice subi par l'innocent injustement
incarcéré ne s'arrête pas au seuil de la prison. Libéré, ou même seulement mis
en examen sans incarcération, l'innocent doit supporter, pendant des mois et
parfois des années, les affres de l'instruction, les frais de sa défense, les
interdits professionnels ou géographiques liés au contrôle judiciaire, la
souffrance collatérale de ses proches et toutes les conséquences qui peuvent en
découler, soit tout un ensemble de préjudices que l'indemnisation ne pourra
jamais effacer. De par le pouvoir qui lui est conféré par le peuple, l'autorité
judiciaire doit protéger la liberté individuelle. La protection de la liberté
individuelle est érigée en principe fondamental reconnu par les lois de la
République. Aussi, elle résulte non seulement de l'esprit de la Constitution,
mais également des articles 9, 11 alinéa 1 de la déclaration universelle des
droits. Cette dernière est la référence de tous les textes juridiques nationaux
et internationaux garantissant la protection des droits fondamentaux du
citoyen.
L'emprisonnement
étant au coeur du système judiciaire algérien, placer une personne en détention
provisoire, c'est faire de la répression avant qu'une décision de justice ne
soit intervenue à l'égard de l'intéressé. Cette mesure s'analyserait en un
préjugé inadmissible au regard de la présomption d'innocence. Cette dernière
est reconnue être un des piliers de notre semblant de démocratie. Mais pourquoi
revêt-elle une si grande importance la présomption d'innocence face à la
détention provisoire ? Parce que le magistrat chargé de l'instruction doit
toujours se méfier d'une possible erreur judiciaire.
A la question quelles sont les causes de
l'erreur judiciaire, Roland Agret, président de l'Association «Action-justice»
en France et membres d'honneur de «Reporters sans Frontières», condamné à 15 ans
de réclusion criminelle pour un crime qu'il n'a pas commis, innocenté et
réhabilité en 1984, rétorqua : «Une somme d'erreurs, de police, d'instruction,
de justice, quelquefois il y a de la négligence, de l'acharnement, une enquête
bâclée, des témoins qui mentent, un juge paresseux». A travers cette réponse
spontanée d'une personne avertie, on déduit que le magistrat n'est pas le seul
responsable de l'erreur judiciaire, différents facteurs interviennent, que ce
soit avant le procès ou à l'audience. Souvent, les juges se contentent des
conclusions établies par le juge d'instruction. Et, pourtant, il est dit que le
procès en public est une deuxième instruction qui permet au magistrat qui
préside la séance d'apprécier les débats en leur accordant le temps nécessaire,
sachant pertinemment que sa responsabilité est engagée au nom du peuple.
Cependant, dans la pratique quotidienne, souvent le corporatisme judiciaire
fait que le juge avant même les débats sa conviction est faite. Pour ainsi
dire, il ne peut y avoir de pouvoir sans responsabilités, ni de responsabilités
sans pouvoir. Si, dans la vie de tous les jours, l'erreur est réparable ou
oubliable, qu'en est-il lorsque l'erreur est le fruit de la justice. Elle peut
être aussi la conséquence de plusieurs facteurs à savoir les influences
extérieures et intérieure (la rumeur publique, les médias, les pressions, le
corporatisme judiciaire...). Si, l'erreur judiciaire demeure présente,
néanmoins, il est judicieux qu'elle soit reconnue, réparée ou encore mieux avec
beaucoup de persévérance évitée. La justice doit faire des efforts de
conscience, et elle doit admettre encore une fois qu'elle n'est pas
infaillible. La réforme de l'appareil judiciaire algérienne tant souhaitée doit
s'efforcer à revoir les prérogatives du juge d'instruction en matière de
restrictions de la liberté individuelle et renforcer l'action de l'avocat au
cours de l'instruction pour accroître les garanties et consolider la
présomption d'innocence. On indique souvent que le magistrat chargé de l'instruction
ne doit pas «préjuger» de la culpabilité, et il lui est souvent reproché de
violer la présomption d'innocence en plaçant en détention. Mais souvent,
lorsqu'il existe des indices qui atteignent un certain niveau d'intensité, le
juge prend la décision attentatoire à la liberté individuelle. Même si la
détention provisoire s'avère parfois nécessaire, l'abus n'est pas autorisé.
En conclusion, je cite l'avis de Jean
François Bugelin, haut magistrat français, procureur général près de la Cour de
cassation en 1996 dans sa contribution, intitulé l'erreur judiciaire (06
février 2003) ou il affirme : que tous les Palais de justice devraient avoir
inscrit dans chacune de leur salle la phrase de Descartes suivante, extraite du
« Discours de la méthode » : « ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que
je ne la connusse évidemment être telle. C'est-à-dire d'éviter soigneusement la
précipitation et la prévention et de ne comprendre rien de plus en mes
jugements que ce qui se présenterait si clairement et distinctement à mon
esprit que je n'eusse aucune occasion de le mettre en doute ». C'est
admirablement écrit et pensé.
Tout magistrat devrait être philosophe,
c'est-à-dire être ami de la sagesse, prendre de la distance et faire preuve de
réflexion. Comme le dit Descartes, il faut éviter la précipitation. Or, la vie
concrète de la justice rend difficile cette prise de distance par rapport au
dossier, à l'information ou à l'événement. Dans son parquet, le procureur
reçoit chaque jour des dizaines voire des centaines d'informations importantes.
Les questions se pressent et il faut y répondre. Or les renseignements sont
souvent flous, imprécis et difficiles à interpréter. Le juge examine des
dossiers trop nombreux pour être vus en détail, mal bâtis, où manquent souvent
des indications essentielles. Ces considérations nous conduisent à quelques
conclusions qui me paraissent s'imposer pour éviter autant que faire se peut
l'erreur judiciaire. En résumé, une justice démocratique, indépendante et
transparente constitue un élément essentiel de l'Etat de droit. Elle doit
s'accompagner de la création d'un espace judiciaire cohérent, voué à un régime
de droit qui protège et développe la démocratie et les droits de I'Homme. Si
l'erreur judiciaire est réparée par l'Etat (article 49 de la Constitution),
cela ne veut pas dire que l'Etat protège la faute professionnelle qui engendre
un lourd préjudice souvent irréparable au justiciable et à son environnement.
Notes:
-Détention
provisoire-mémoire soutenue par D.Melique-Université Lille2.
-Les erreurs
judiciaires-A.Ficheau (faculté des sciences juridiques, politiques et sociales)
Lille2.
- Pacte
international relatif aux droits civils et politiques-conclu à New York le 16
décembre 1966.
- Lerreur
judiciaire-J.F.Burgelin-Procureur général près de la cour de cassation-Paris
1996-
- Sur
l'indépendance et la responsabilité des magistrats. R.Errera-Conseiller d'état
honoraire, ancien membre du conseil supérieur de la magistrature-France-
(1)-L.Jardin-Les
erreurs judiciaires et leur réparations-Thèse. Caen 1897.p1
(2)-M.Martin-Procédés
de rectifications des erreurs dans les décisions judiciaires. Thèse Nacy-1940.
(3)-Les erreurs
judiciaires-R.Floriot-Flammarion-Paris-1968-P5.
* Docteur
• Secrétaire
général de l'Académie Africaine pour la Paix.(ACAP)
• Délégué Adjoint
de l'Organisation de la Société Civile Africaine (OSCA)
• Membre élu du
Conseil d'Administration du Croissant-Rouge Algérien
• Conseiller
régional et national de la Section Ordinale des Chirurgiens Dentistes.
-
Votre commentaire
Votre commentaire s'affichera sur cette page après validation par l'administrateur.
Ceci n'est en aucun cas un formulaire à l'adresse du sujet évoqué,
mais juste un espace d'opinion et d'échange d'idées dans le respect.
Posté Le : 13/08/2009
Posté par : sofiane
Ecrit par : Driss Reffas *
Source : www.lequotidien-oran.com