Algérie

L'absurde de la vie !



L'absurde de la vie !
«Ma yebka fel oued ghir hdjarou» (ne restent dans l'oued que ses galets), est l'un de ces proverbes du terroir qui illustre à merveille l'emprise de l'absurde dans la vie humaine. Il reflète, à n'en point douter, la constance et la fidélité de ces petits êtres ou plutôt ces choses qu'on croyait a priori sans intérêt pour nous, voire complètement futiles et qui s'avèrent être, en fin de compte, les plus importants. Beaucoup plus intéressants parfois que tout sur quoi on avait compté au départ. En l'empruntant, je pense en particulier à cette métaphore subtile d'un poète libanais qui aurait, lui, parlé de ce fameux «el-hadjar assaghir» (le petit caillou) calé dans un énorme barrage d'eau. Ce dernier, pourtant raillé par tous pour son insignifiance et son inutilité, aurait provoqué, une fois disparu, l'effondrement général du mur de soutènement dudit barrage. Et ce fut, vous l'aurez assurément bien deviné, la catastrophe. Comme si ces flots du val en crue qui peuvent tout emporter dans leur marche fougueuse ne craignaient vraiment que la résistance d'un fragment de roche méprisable, minuscule, arrondi, lisse ! Drôle comment l'infiniment grand (la vie) dépend des fois de «l'infiniment» petit (ici le galet). On peut aussi dénicher, dans un autre contexte, un dicton bien de chez nous qui reprend presque la même chose «ma tektâa el oued h'ta t'ban hdjarou» (ne traverse un oued que lorsque tu verras ses galets). Une façon de signifier aux gens distraits que la réalité ne se retrouve que dans le fond des choses ! Ironie du sort, ce sont justement ces galets-là qui, tout petits qu'ils sont, pèsent trop dans l'eau, en s'immergeant dans le ventre du fleuve ou du oued (le fond) comme pour bien s'accrocher, paraît-il, à ses profondeurs et résister au pouvoir destructeur des flots. Un oued ne tolère jamais l'erreur, l'aventure, la légèreté..., l'inattention de ceux qui l'empêchent de couler ou tentent même de le traverser.D'ailleurs, «dah el oued» (l'oued l'aurait emporté), une des formules consacrées dans nos rues ne désigne-t-elle pas cette personne qui est allée à sa perte sans aucun espoir d'être repêchée' Ainsi se moque-t-on depuis longtemps des gens de Bab El Oued, ce quartier populaire séculaire étalé au pied d'Alger la blanche, face à la mer, tout proche de la vieille Casbah, en répétant comme une mélodie macabre «Bab El Oued dah el oued» (Bab El Oued est emporté par la crue). Et le pire est bel et bien arrivé, hélas, un certain 10 novembre 2001 ! «El-hemla» (la crue) aurait submergé toute la ville, laissant derrière elle des morts, des dégâts, de la tristesse, le deuil de tout un pays. On dirait que, prophétiques, les gens d'antan auraient déjà aperçu passer quelque part un spectre de malheur dans la nuit algéroise. Quoique la symbolique inhérente à l'alchimie de cette configuration métaphorique ne procède, dans ce cas-là, que d'un hasard climatique !


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